Sommet extraordinaire avec duel Chavez - Uribe
Unasur, bases "américaines" et "préguerre" entre Colombie et Venezuela
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De fabrication russe, des chasseurs Sukhoï de la force aérienne du Venezuela
survolent l'Orénoque - Archives, juillet 2007, photo Ariel R {{GFDL}} |
BOGOTA / CARACAS, jeudi 27 août 2009
(LatinReporters.com) - "Ces sept bases sont une déclaration de guerre
contre la révolution bolivarienne et c'est ainsi que nous l'assumons"
avertissait le 25 août le président du Venezuela, Hugo Chavez,
à propos de l'accord permettant aux Etats-Unis d'utiliser sept bases
militaires colombiennes. Arbitré par le Brésil, un duel entre
le président Chavez et son homologue colombien Alvaro Uribe devrait
dominer le sommet extraordinaire de l'Unasur (Union des nations sud-américaines)
convoqué pour évaluer, ce 28 août à Bariloche
(sud de l'Argentine), les implications régionales de l'accord américano-colombien.
"Les relations sont brouillées avec l'Equateur, incendiées
avec le Venezuela, au point que nous sommes en situation de préguerre"
diagnostiquait mercredi l'ex-président colombien Ernesto Samper.
Chef de file des gauches radicales latino-américaines,
le président Chavez prétend que les Etats-Unis veulent provoquer
un conflit armé entre Bogota et Caracas dans le but de s'emparer des
champs pétroliers vénézuéliens et de dynamiter
tant l'Unasur que les régimes de gauche en Amérique latine.
Les présidents de l'Equateur, Rafael Correa, et de la Bolivie, Evo
Morales, souscrivent à ce discours alarmiste.
L'opposition vénézuélienne redoute que l'état
d'exception non déclaré que, grâce ce dossier, fait régner
progressivement Hugo Chavez au Venezuela ne facilite ce que le maire de Caracas,
Antonio Ledezma, appelle le "coup d'Etat à petit feu" du pouvoir chaviste,
dont chaque nouvelle loi est accusée de réduire les libertés.
L'unité idéologique bolivarienne prônée à
Caracas face à un présumé péril extérieur
conduira-t-elle Chavez, qui divise les Vénézuéliens en
"révolutionnaires patriotes" et "traîtres pro-Yankees", à
museler prochainement toute opposition?
Chavez disposerait d'un rapport de l'US Air Force
Le sommet extraordinaire des 12 pays de l'Unasur (Argentine, Bolivie, Brésil,
Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Paraguay, Pérou, Surinam, Uruguay
et Venezuela) aura pour "unique sujet l'installation des bases militaires
nord-américaines en Colombie" affirmait mercredi Hugo Chavez, plantant
d'office le drapeau des Etats-Unis sur des bases colombiennes, et qui le resteront,
d'où décolleront des avions de surveillance antidrogue et antiguérilla
de l'US Air Force. Ils le font déjà depuis plusieurs années,
mais cette aide à la Colombie sera désormais amplifiée.
Le président vénézuélien a annoncé qu'il
dévoilera au sommet de Bariloche un rapport de l'US Air Force attestant
du caractère offensif et transfrontalier des "bases américaines"
en Colombie, bases que ce rapport qualifierait "d'expéditionnaires".
Mais sur la prétention de limiter le sommet à un "unique sujet", Chavez
a peut-être déjà perdu la partie. Le sommet sera "l'occasion
pour les leaders sud-américains de passer en revue tous les sujets
qui sont des sources potentielles de tension dans le domaine de la sécurité"
a en effet déclaré mercredi Marcelo Baumbach, porte-parole
de la présidence du Brésil, puissance dominante au sein de
cette Unasur que le président brésilien Luiz Inacio Lula da
Silva portait sur les fonts baptismaux le 23 mai 2008 à Brasilia.
Selon le même porte-parole du président Lula, "les achats d'armes
et les accords avec des puissances extrarégionales" [qui ne sont pas
nécessairement les Etats-Unis; ndlr] génèrent des tensions
et "il est nécessaire d'en débattre dans la transparence afin
d'éviter une possible escalade". Marcelo Baumbach a été
explicite au point d'affirmer que le Brésil ne s'opposerait pas à
traiter au sommet de l'Unasur de la polémique née de la découverte
aux mains de la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires
de Colombie) d'armes suédoises [des lance-roquettes; ndlr] que Stockholm
reconnaît avoir vendu à l'Etat vénézuélien.
Prônant l'exemple, le porte-parole brésilien a assuré
que son pays est disposé à expliquer au sommet ses négociations
avec la France sur l'achat de sous-marins, d'avions de combat et d'autres
équipements militaires.
La Colombie a donc été entendue. En annonçant sa participation
au sommet extraordinaire de l'Unasur, le président colombien Alvaro
Uribe avait en effet souhaité l'élargissement des débats
à d'autres accords militaires souscrits dans la région, au
trafic illégal d'armes et au terrorisme de la guérilla des
FARC.
Le militarisme du Venezuela n'échappera pas au débat
Au-delà de l'accord américano-colombien, l'Unasur devrait
donc, au risque de provoquer la fureur de Hugo Chavez, soupeser aussi les
conséquences du soutien de certains pays (le Venezuela et l'Equateur,
selon Bogota) à la guérilla des FARC, ainsi que de l'achat
massif d'avions, d'hélicoptères et d'autres engins militaires
et armes diverses ces cinq dernières années par le Venezuela
pour un montant global d'au moins quatre milliards de dollars. Les chefs
d'Etat sud-américains pourraient également être appelés
à évaluer les conséquences potentielles pour la sécurité
de la région des facilités, pour l'heure seulement ponctuelles,
offertes par le Venezuela à l'aviation et à la marine de guerre
russes.
L'expert colombien Alfredo Rangel, directeur de la Fondation Sécurité
et Démocratie, affirme que Moscou et Caracas viennent de conclure
un accord dénommé "Statut de la commission intergouvernementale
russo-vénézuélienne pour la coopération technico-militaire".
"Cet accord est secret. On ignore comment il régit la présence
de navires et de personnel militaires russes au Venezuela.
Puisse Chavez, en réciprocité à Uribe, expliquer à
l'Amérique du Sud les objectifs et la portée de cet accord
secret avec la Russie et de ceux qu'il développe avec la Chine et l'Iran" ajoute
Alfredo Rangel.
"Il est possible" que la Colombie introduise aussi dans les débats
"l'interventionnisme" du Venezuela dans la politique intérieure colombienne
a indiqué pour sa part mercredi le ministre colombien des Relations
extérieures, Jaime Bermudez. Il réclame dans ce contexte la
retransmission radio-télévisée des débats du
sommet de Bariloche.
Trois jours plus tôt, le président Chavez s'était
écrié à la télévision vénézuélienne
"Peuple colombien, ne tombe pas dans le piège, joins-toi à nous
pour faire la grande patrie de Bolivar, la Grande Colombie!" Et le 11 janvier
2008, à la tribune de l'Assemblée nationale (Parlement) du
Venezuela, Hugo Chavez avait clamé ses affinités idéologiques
"bolivariennes" avec la guérilla colombienne et appelé
la communauté internationale, en particulier l'Europe, à l'exclure
des listes d'organisations terroristes.
Pour réduire les inquiétudes liées à l'élargissement
de son accord militaire avec les Etats-Unis, que seul le Pérou semble
appuyer au sein de l'Unasur, la Colombie s'est engagée à garantir
que l'accord ne vise aucun pays tiers. Le ministre brésilien de la
Défense, Nelson Jobim, l'a affirmé après s'être
réuni cette semaine à Bogota avec son homologue colombien, Gabriel
Silva. S'ils apprécient peu l'accord américano-colombien, la
plupart des chefs d'Etat de la région se limitent, comme le Brésil,
à réclamer de Bogota des explications et des garanties sur
sa portée réelle.
Lula demande des "garanties formelles" à Obama
Cherchant des garanties au plus haut niveau, le président brésilien
Luiz Inacio Lula da Silva avait téléphoné le 21 août
au président des Etats-Unis, Barack Obama, lui proposant de se réunir,
à la date et au lieu qui lui conviendraient, avec les chefs d'Etat
de l'Unasur à propos de l'accord américano-colombien.
Barack Obama a répondu qu'il "évaluera la possibilité
de concrétiser cette réunion" indiqua aux journalistes le ministre
brésilien des Relations extérieures, Celso Amorim. Au cours
de leur conversation, a ajouté le ministre, Lula a dit à Barack
Obama qu'il juge nécessaire "des garanties formelles, juridiquement
valables, que l'équipement et le personnel [américains en Colombie]
ne seront pas utilisés au-delà de leur but strictement déclaré,
soit le combat contre le trafic de drogue, les FARC et le terrorisme".
Des éditorialistes attribuent au Brésil la crainte que des
motifs écologiques ne conduisent un jour la communauté internationale
à mettre sous protectorat l'Amazonie. Dans cette perspective,
Brasilia serait hostile à toute présence militaire extrarégionale
en Amérique du Sud. Mais au sommet de Bariloche, c'est surtout l'unité
de l'Unasur que tentera de maintenir le Brésil afin que cette jeune
organisation devienne à terme l'un des leviers du rôle d'acteur
planétaire global qu'ambitionne Brasilia.
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