Cet accord imminent soulève depuis un mois de vifs remous diplomatiques
en Amérique latine. Au sommet annuel ordinaire de
l'
Unasur, le 10
août à Quito, capitale de l'Equateur, le président vénézuélien
Hugo Chavez a répété qu'à ses yeux le renforcement
de la présence militaire américaine en Colombie "fait souffler
des vents de guerre". Chef de file des gauches radicales latino-américaines,
le président Chavez prétend que les Etats-Unis veulent provoquer
un conflit armé entre Bogota et Caracas dans le but de s'emparer des
champs pétroliers vénézuéliens et de dynamiter
tant l'Unasur que les régimes de gauche en Amérique latine.
"Il faut sauver le peuple colombien... empêcher que la Colombie ne
devienne un Israël" enchaînait au sommet de Quito le président
bolivien Evo Morales, allié inconditionnel de Hugo Chavez, prônant
ainsi un interventionnisme intellectuellement comparable à celui dont
il accuse les Etats-Unis. Un diplomate occidental note que personne au sommet n'a eu
le réflexe de proposer de sauver aussi le peuple vénézuélien
de la muselière que lui confectionne Hugo Chavez avec un projet de
"
Loi
spéciale contre les délits médiatiques", projet aujourd'hui
ralenti car universellement dénoncé, y compris par le rapporteur
spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit
à la liberté d'opinion et d'expression,
Frank La Rue.
Arbitre habituel des sommets latino-américains et père spirituel
de l'Unasur, le socialiste modéré Luiz Inacio Lula da Silva,
président du Brésil, canalisait à Quito sa propre inquiétude
sur les bases militaires en portant soudainement le débat sur la personne
de son homologue américain Barack Obama.
Il faudrait "songer qu'à un certain moment l'Unasur puisse inviter
le gouvernement des Etats-Unis à une discussion profonde sur sa relation
avec l'Amérique du Sud" suggérait Lula, dont Barack Obama,
à l'instar de son prédécesseur George W. Bush, veut
faire un interlocuteur privilégié.
La présidente argentine Cristina Fernandez de Kirchner ayant proposé
dans la foulée de réunir les 27 et 28 août à Bariloche,
dans le sud argentin, un sommet extraordinaire de l'Unasur dédié
à l'analyse des implications pour la région de la prochaine
présence militaire américaine sur sept bases colombiennes,
les regards se tournent désormais vers Barack Obama. Sera-t-il invité
ou non à Bariloche et si oui, y viendra-t-il?
La présence de Barack Obama relancerait de manière spectaculaire
l'esprit de réconciliation continentale qu'il symbolisa en avril dernier
à Trinité-et-Tobago au
5e
Sommet des Amériques. Le risque,
pour les Etats-Unis, serait que leur président apparaisse aux yeux de
l'opinion publique américaine et internationale comme un inculpé
de militarisme comparaissant devant des juges personnifiés par les
présidents ou chefs de gouvernement des douze pays de l'Unasur (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Paraguay, Pérou,
Surinam, Uruguay et Venezuela). Et parmi ces juges figureraient donc Hugo
Chavez, Evo Morales, ainsi que le socialiste radical Rafael Correa, à
la fois président de l'Equateur et, pour un an depuis le 10 août,
président de l'Unasur.
Le cas échéant, Barack Obama répéterait au sommet
de Bariloche ce qu'il disait le 7 août dernier à
Washington à des journalistes latino-américains: "Nous avons
depuis de nombreuses années un accord de sécurité avec
la Colombie et nous l'actualisons ... Nous n'avons aucune intention d'établir
une base militaire en Colombie et on ne nous l'a pas demandé". Les
sept bases qui font débat, cinq aériennes et deux navales,
resteraient donc théoriquement sous commandement colombien et les
effectifs globaux américains n'y dépasseraient pas le plafond,
sous-utilisé actuellement, de 800 militaires et 600 contractuels autorisés
en Colombie par le Congrès de Washington.
Selon le département d'Etat, l'objectif essentiel demeurerait la lutte
contre le trafic de drogue entre l'Amérique du Sud et les Etats-Unis, lutte
qui s'exerça aussi pendant dix ans jusqu'en juillet dernier à
partir de la
base aérienne
équatorienne de Manta. Rafael Correa
n'a pas renouvelé l'accord qui en permettait l'utilisation par les
Etats-Unis.
Alvaro Uribe, président conservateur d'une Colombie qui demeure le premier producteur
mondial de cocaïne, précisait à la mi-juillet que l'accord sur l'utilisation
de bases colombiennes permettrait aux Etats-Unis de "nous aider dans cette
bataille contre le terrorisme, contre le narcotrafic". Or, la guérilla
marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) est
financée tant par le trafic de cocaïne que par le racket et la prise d'otages pour
rançon et elle est en outre étiquetée comme terroriste par la Colombie, les Etats-Unis et
les 27 pays de l'Union européenne. Les Etats-Unis pourraient donc s'impliquer plus ouvertement
dans la lutte contre les FARC, la rendre plus efficace par un renfort d'armes, de logistique et de technologie
plus ample qu'aujourd'hui, sans toutefois participer aux combats.
Ne pas limiter le débat à l'accord américano-colombien
Les FARC disposant de facilités et de bases arrières au Venezuela
et en Equateur, deux pays voisins de la Colombie, Barack Obama aurait beau
jeu de se transformer en accusateur devant l'Unasur en rejetant la responsabilité
des "vents de guerre" décriés par Hugo Chavez sur ceux qui
alimentent la guerre civile colombienne en épaulant l'une des plus
vieilles guérillas de la planète.
Caracas et Quito démentant malgré les évidences leurs
liens avec les FARC (une prudence liée à la dégradation
de l'image de la guérilla), Barack Obama pourrait exhiber devant les
chefs d'Etat de l'Unasur les dernières photos prises par satellite
de camps des FARC en Equateur et au Venezuela. Ce repérage satellitaire
est effectué depuis plusieurs années. Le président colombien Alvaro Uribe s'en
est peut-être servi lors de sa tournée effectuée dans sept pays
sud-américains avant le sommet de Quito afin de justifier, avec un succès
relatif, son nouvel accord militaire avec les Etats-Unis.
Le président américain pourrait aussi, toujours devant l'Unasur,
reprendre à son compte le souhait exprimé lundi au sommet de
Quito par la vice-ministre colombienne des Relations extérieures,
Clemencia Forero. Parlant au nom du président colombien Alvaro Uribe,
absent au sommet ordinaire de l'Unasur, car Quito a rompu ses relations avec
Bogota après le
bombardement par
l'armée colombienne en mars 2008 d'un camp des FARC au nord de l'Equateur,
Clemencia Forero a souhaité que le débat ne se limite pas à l'accord
américano-colombien et qu'il porte à l'avenir sur l'ensemble "des accords de
coopération militaire souscrits dans la région", ainsi que sur "les situations
de tension engendrées par les trafics illicites, l'activité
de groupes armés illégaux et la course aux armements".
Le débat s'élargirait alors nécessairement aux conséquences
du soutien de certains pays à la guérilla des FARC, à
l'achat massif d'avions, d'hélicoptères et d'armes diverses
ces cinq dernières années par le Venezuela pour un montant
global d'au moins quatre milliards de dollars. On évaluerait aussi
les conséquences potentielles pour la sécurité de la
région des facilités, pour l'heure seulement ponctuelles,
offertes
par le Venezuela à l'aviation et à la marine de guerre russes.
Autre point peut-être plus qu'anodin: à peine 200 km séparent
le canal de Panama de la Colombie. Les Etats-Unis et pas seulement eux apprécieraient
peu les incertitudes que ferait peser à leurs yeux sur cette voie
maritime stratégique une Colombie qui aurait succombé par violence
intérieure ou extérieure à la révolution bolivarienne
de Hugo Chavez. D'autant que le maître de Caracas s'identifie au libertador
historique Simon Bolivar, qui fit souffler au 19e siècle ses "vents
de guerre" sur les troupes de l'empire, alors espagnol.