BOGOTA, vendredi 17 juillet 2009 (LatinReporters.com) - Alors que la présence
militaire américaine en Equateur prend fin, la Colombie voisine ouvre
ses bases aux Etats-Unis pour lutter non seulement contre le trafic de drogue,
mais aussi "contre le terrorisme et autres délits". L'accord négocié
par Washington et Bogota soulève des remous. Il incitera le Venezuela et ses alliés de
la gauche radicale latino-américaine à maintenir leurs réserves à
l'égard de Barack Obama.
L'ambassade américaine à Quito annonçait jeudi que s'effectuerait
le 17 juillet le dernier vol de surveillance antidrogue à partir du
FOL (Forward
Operating Location - Poste d'opération avancé)
cédé pendant dix ans aux Etats-Unis sur 27 des 500 hectares
de la base équatorienne de Manta.
"Ensuite, les militaires et adjudicataires [civils] du FOL commenceront à
empaqueter et à préparer leur départ. En septembre,
ils auront terminé et ils remettront les clefs à la force aérienne
équatorienne " précisait la porte-parole de l'ambassade, Martha
Youth.
Le socialiste radical Rafael Correa, président de l'Equateur et allié
du Vénézuélien Hugo Chavez, n'a pas renouvelé,
comme il l'avait annoncé, l'accord sur le FOL de Manta conclu en 1999.
La nouvelle Constitution équatorienne prohibe la présence de
toute base militaire étrangère sur le sol national. Juridiquement,
le FOL n'en a jamais été une, mais il était considéré
comme telle par l'opinion publique et les nouvelles autorités socialistes
équatoriennes.
Les adversaires de cette présence américaine accusaient les
avions-radars du FOL d'outrepasser leur mission de lutte contre le narcotrafic
en aidant la Colombie voisine à combattre la guérilla marxiste
des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), quoique
la cocaïne soit l'une des principales sources de financement de cette
guérilla. Le président Correa lui-même suggéra
ouvertement l'existence de cette collaboration lors de l'anéantissement
par l'armée colombienne, le 1er mars 2008, d'un camp des FARC au nord
de l'Equateur. Depuis cette date, les relations diplomatiques entre Quito
et Bogota sont rompues.
[NDLR - Réussie le 2 juillet 2008, la spectaculaire libération
par l'armée colombienne de 15 otages des FARC, dont Ingrid Betancourt
et trois Américains, nécessita un appui technologique assuré
peut-être aussi partiellement, dans le fil des soupçons de Rafael Correa, par le FOL
américain de Manta].
L'accord sur le point d'être signé entre la Colombie et les
Etats-Unis permettrait à l'aviation américaine d'effectuer
à partir d'au moins trois bases militaires colombiennes les missions
antidrogue, surtout la localisation d'avions et d'embarcations de narcotrafiquants,
que facilitait à partir de l'Equateur le FOL de Manta.
Mais désormais d'autres ambitions deviennent explicites. Le gouvernement
de Bogota parle littéralement d'un "accord de coopération contre
le narcotrafic, le terrorisme et d'autres délits". Le président
conservateur de la Colombie, Alvaro Uribe, confirme que les Etats-Unis seraient
appelés "à nous aider dans cette bataille contre le terrorisme,
contre le narcotrafic". Or, la guérilla des FARC, financée
par le trafic de cocaïne, les enlèvements pour rançon
et le racket est considérée officiellement comme terroriste
tant par la Colombie que par les Etats-Unis et les 27 pays de l'Union européenne.
Parmi les paramètres de cette situation, on notera, en cas de confirmation
de l'accord américano-colombien jugé imminent:
1. L'implication plus explicite que jamais des Etats-Unis dans les opérations
de lutte contre la guérilla colombienne des FARC, alors que cette
dernière dispose de facilités au Venezuela et en Equateur,
deux pays voisins de la Colombie.
2. L'acceptation au moins implicite par le président des Etats-Unis,
Barack Obama, d'un certain degré d'interventionnisme militaire très peu
apprécié en Amérique latine. La gauche latino-américaine y verra
un lien avec les événements du Honduras, où les Etats-Unis ont
sur la base Soto Cano (appelée aussi Palmerola) de Comayagua une présence militaire
très supérieure à celle de leurs FOL d'Equateur, du Salvador et du Curaçao
et d'Aruba, îles des Antilles néerlandaises proches du Venezuela.
3. La consolidation de la Colombie comme citadelle de résistance à la vague de socialisme
et d'antiaméricanisme, radical ou modéré, qui a déferlé
sur l'Amérique du Sud. Volontairement ou non, le nouvel accord militaire
américano-colombien répondrait aussi à la coopération
militaire du Venezuela avec la Russie, dont l'aviation et la marine de guerre
sont invitées par le président Hugo Chavez à faire escale
dans des ports et aéroports vénézuéliens.
Réactions
La perspective de l'utilisation systématique et non plus ponctuelle par les Etats-Unis de
bases militaires colombiennes suscite de nombreuses réactions. L'ex-président
du tribunal constitutionnel colombien, Carlos Gaviria, qui aspire à
nouveau à briguer la présidence sous l'étiquette du
Pôle Démocratique Alternatif (PDA, gauche) aux élections
de 2010, prétend que "la souveraineté colombienne est fanée.
Nous livrons notre souveraineté. Nous nous comportons comme un sujet
des Etats-Unis".
L'ex-ministre colombien de la Défense Rodrigo Pardo, précandidat
du Parti Libéral à la présidentielle de 2010, parle
de "geste d'hostilité" à l'égard de pays voisins. L'accord
reviendrait, selon lui, à "prêter notre territoire souverain
pour des opérations que nous ne contrôlerons pas".
En Bolivie, le président Evo Morales s'adressait implicitement au
président colombien Alvaro Uribe en déclarant jeudi que "les
politiciens latino-américains acceptant une base militaire nord-américaine dans l'un
quelconque des pays d'Amérique latine sont des traîtres à
leur patrie". L'opposition bolivienne adresse toutefois un reproche équivalent
à Evo Morales pour son accord militaire avec Hugo Chavez, qui prévoit
notamment l'intervention armée du Venezuela en cas de conflit interne
en Bolivie.
Quant à Hugo Chavez, il avait déjà réagi l'an
dernier aux premières informations parlant alors non de l'usage de
bases colombiennes par les Etats-Unis, mais de l'établissement de
bases militaires américaines en Colombie, hypothèse strictement
démentie aujourd'hui par Washington et Bogota. Le président
vénézuélien y voyait une "agression". Il ajoutait:
"Nous ne permettrons jamais que le gouvernement colombien livre la Guajira
à l'empire [américain]". Un vieux différend frontalier
oppose le Venezuela à la Colombie dans cette région du nord
colombien. Aucune base militaire de la Guajira ne serait toutefois concernée
par le nouvel accord américano-colombien, qui serait conclu pour au
moins dix ans.