L'accord avive la tension entre la Colombie et
deux de ses voisins gouvernés par la gauche radicale, le Venezuela
et l'Equateur. Washington s'est tourné vers Bogota pour
compenser la fin de la présence militaire américaine sur la
base équatorienne de Manta,
Quito ayant interdit le maintien de forces étrangères sur son sol.
"Le gouvernement colombien informe qu'aujourd'hui
ont été conclues les négociations de l'Accord en Matière
de Coopération et d'Assistance Technique à la Défense
et à la Sécurité entre les gouvernements de Colombie
et des Etats-Unis. Cet accord réaffirme l'engagement des parties dans
la lutte contre le trafic de drogue et le terrorisme. Le texte conclu
va être soumis à l'examen technique des instances gouvernementales
de chaque pays avant signature" annonçait vendredi à Bogota,
sans autre précision, ce bref communiqué du ministère
des Relations extérieures.
"Ennemis transnationaux"
Peu avant cette annonce, le porte-parole du département d'Etat américain,
Philip Crowley, indiquait à Washington que l'accord permettra de mener
avec la Colombie des actions conjointes contre "le trafic de drogue, le crime
transnational et le terrorisme". Deux jours plus tôt, le ministre colombien
de la Défense, Gabriel Silva, voyait en l'accord "un effort pour défendre
la souveraineté de la patrie contre les ennemis transnationaux".
Le narcotrafic entre l'Amérique du Sud et les Etats-Unis, que Washington
entend combattre à partir de la Colombie, premier producteur mondial
de cocaïne, est certes "transnational". Mais l'ambiguïté
de ce terme permet de spéculer. Car
si la lutte contre la drogue et le terrorisme vise manifestement la guérilla
marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie),
financée notamment par le trafic de cocaïne et étiquetée
comme terroriste par les Etats-Unis et l'Union européenne, qui sont
"les ennemis transnationaux" de la Colombie? Peut-être les FARC encore,
dans la mesure où ils disposent, selon les preuves de Bogota, de complicités
et de bases arrières au-delà des frontières, en Equateur
et au Venezuela, qui le nient malgré les évidences. Ou s'agit-il aussi de ces deux pays,
dont les présidents dérivent vers l'autocratie?
Au sommet annuel ordinaire de l'Unasur, le 10 août à
Quito, capitale de l'Equateur, le président vénézuélien
Hugo Chavez affirmait que le renforcement de la présence militaire
américaine en Colombie "fait souffler des vents de guerre" sur la
région. Chef de file des gauches radicales latino-américaines,
le président Chavez prétend que les Etats-Unis veulent provoquer
un conflit armé entre Bogota et Caracas dans le but de s'emparer des
champs pétroliers vénézuéliens et de dynamiter
tant l'Unasur que les régimes de gauche en Amérique latine.
Les présidents de l'Equateur, Rafael Correa, et de la Bolivie, Evo
Morales, souscrivent à ce discours alarmiste.
"Ce que nous faisons contre le terrorisme convient à nos voisins"
a répliqué vendredi le président colombien Alvaro Uribe,
affirmant que la guérilla des FARC se livre également au-delà
des frontières colombiennes au narcotrafic et aux enlèvements
pour rançon. Tant Washington que Bogota ont par ailleurs assuré
récemment à diverses reprises que les bases utilisées
par les forces américaines en Colombie ne serviraient pas de tremplin
à des actions contre d'autres pays. Appelant à une normalisation
de ses relations avec Quito et Caracas, le président Uribe s'est même
à nouveau excusé, vendredi, de la
destruction par l'armée
colombienne, le 1er mars 2008, d'un important camp des FARC au nord de l'Equateur.
Quito rompait alors ses relations diplomatiques avec Bogota et se refuse
jusqu'à présent à les renouer.
Le Brésil veut des garanties de Barack Obama
Au Brésil, le ministre des Relations extérieures, Celso Amorim,
a réclamé vendredi tant de la Colombie que des Etats-Unis la
"garantie juridique" que l'utilisation des bases colombiennes "ne compromettra
pas la sécurité d'autres pays de la région". Le ministre
a en outre confirmé que le président brésilien Luiz
Inacio Lula da Silva souhaite débattre de ce dossier avec le président
des Etats-Unis, Barack Obama.
Le 10 août, au sommet ordinaire de l'Unasur, le président Lula
recommandait de "songer qu'à un certain moment l'Unasur puisse inviter
le gouvernement des Etats-Unis à une discussion profonde sur sa relation
avec l'Amérique du Sud". Hugo Chavez appuyait cette démarche
et estimait qu'un débat collectif avec Barack Obama pourrait avoir
lieu en septembre à New York, en marge de l'Assemblée générale
annuelle des Nations unies. Des analystes ont aussi émis l'hypothèse
que Barack Obama soit invité à s'exprimer devant le sommet
extraordinaire que l'Unasur dédiera le 28 août à Bariloche,
dans le sud argentin, aux implications régionales de l'accord américano-colombien.
Bien qu'admettant qu'un dialogue sur cet accord pourrait être ouvert
par les Etats-Unis avec d'autres nations, le porte-parole du département
d'Etat, Philip Crowley, a marqué clairement les limites de cet éventuel
dialogue, estimant que l'accord est "strictement bilatéral" et n'est
pas du ressort de la région. Il est donc improbable que Barack Obama
s'explique formellement devant les douze pays de l'Unasur (Argentine, Bolivie,
Brésil, Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Paraguay, Pérou,
Surinam, Uruguay et Venezuela).
Elargir le débat
Absent au sommet ordinaire de Quito à cause de la tension persistante
avec l'Equateur, le président colombien Alvaro Uribe a annoncé
qu'il participera au sommet extraordinaire de l'Unasur du 28 août
en Argentine. Mais il a laissé entendre qu'il n'y viendrait pas en
accusé. Sa participation, a-t-il précisé, ne conditionnera
en rien l'accord conclu avec les Etats-Unis. En outre, le président
colombien prétend élargir les débats du sommet à
d'autres accords militaires souscrits dans la région, au trafic illégal
d'armes et au terrorisme.
Au-delà de l'accord américano-colombien, l'Unasur devrait donc,
si Alvaro Uribe est écouté, soupeser les conséquences
du soutien de certains pays à la guérilla des
FARC, ainsi que de l'achat massif d'avions, d'hélicoptères
et d'autres engins militaires et armes diverses ces cinq dernières années par le Venezuela
pour un montant global d'au moins quatre milliards de dollars. On évaluerait
aussi les conséquences potentielles pour la sécurité
de la région des facilités, pour l'heure seulement ponctuelles,
offertes par le Venezuela à l'aviation et à la marine de guerre
russes. Mais il est probable que Hugo Chavez n'acceptera pas plus qu'Alvaro
Uribe de faire figure d'accusé. S'il n'est pas ajourné, le sommet du 28 août
risque donc d'être agité.