BRASILIA, vendredi 30 mai 2008 (LatinReporters.com) - De l'intention unitaire exprimée en
décembre 2004 à Cuzco (Pérou), les 12 pays de l'Amérique
du Sud sont passés à la signature, le 23 mai 2008 à
Brasilia, du Traité constitutif de l'Union des nations sud-américaines
(Unasur). Les trois ans et demi séparant ces deux étapes initiales
suggèrent que l'approfondissement de l'Unasur sera aussi lent que
celui de l'Union européenne, dont elle s'inspire. Le Brésil
est le principal promoteur de ce processus qui reflète et accentue
sa montée en puissance sur la scène mondiale.
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"Nous avons décidé de former la Communauté sud-américaine
des nations" (CSN) disaient en 2004 dans la Déclaration de Cuzco les
chefs d'Etat sud-américains. Le 23 mai dernier à Brasilia,
la naissance officielle de l'Unasur qu'ils concrétisaient était
en fait celle de la CSN sous un autre nom.
Sur le papier, une même personnalité juridique régionale
unit désormais les pays du Mercosur (marché commun regroupant
Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et bientôt le Venezuela),
ceux de la Communauté andine (Colombie, Pérou, Equateur et
Bolivie), ainsi que le Chili, le Surinam et la Guyana.
Leur ambition proclamée est de "construire une identité et
une citoyenneté sud-américaines et développer un espace
régional intégré dans les domaines politique, économique,
social, culturel, de l'environnement et des infrastructures". Le Traité
constitutif inscrit cette intégration dans "le renforcement du multilatéralisme"
et la construction d'un "monde multipolaire". En clair, il s'agit de s'affranchir
davantage de l'influence de Washington et de parler d'une seule voix qui
serait mieux écoutée, notamment aux Nations unies et à
l'Organisation mondiale du commerce.
Plus que régionale, l'assise de cette ambition se veut quasi continentale,
puisqu'à partir de la 5e année de l'entrée en vigueur
du Traité constitutif, les autres Etats d'Amérique latine
et ceux des Caraïbes qui le sollicitent pourront adhérer à
l'Unasur. Il leur est déjà offert de s'y associer. L'Amérique
centrale, le Mexique, Cuba et ses voisins insulaires ont donc la faculté
théorique, voire utopique, d'élargir la nouvelle union jusqu'à
la frontière sud des Etats-Unis.
Les 12 pays fondateurs de l'Unasur couvrent 17,6 millions de km² et
abritent 382 millions d'habitants, dont le PIB par tête, estimé
en avril par le Fonds monétaire international (FMI), sera en 2008
de 7.557 dollars. A titre de comparaison, les 27 pays de l'Union européenne
s'étendent sur 4,4 millions de km², comptent 494 millions
d'habitants avec un PIB par tête estimé pour cette année,
toujours selon le FMI, à 26.742 dollars, trois fois et demie celui
des Sud-Américains.
Le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement est l'organe suprême
de l'Unasur. A Brasilia, la présidence rotative annuelle a été
confiée à la présidente du Chili, la socialiste Michelle
Bachelet. Elle revenait en principe à la Colombie, mais son président,
le conservateur Alvaro Uribe, y a renoncé "par prudence" au vu des
difficultés l'opposant à ses homologues du Venezuela, Hugo
Chavez, et de l'Equateur, Rafael Correa, accusés par Bogota de soutenir
la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires
de Colombie).
Le Traité constitutif doit être ratifié par les parlements
des Etats signataires. Il confirme l'installation du Secrétariat
général de l'Unasur à Quito, capitale de l'Equateur,
et celle du futur Parlement sud-américain à Cochabamba, en
Bolivie. Deux institutions clefs siégeront donc dans des pays aujourd'hui
partisans du socialisme radical dit bolivarien instauré au Venezuela.
Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et son homologue
vénézuélien Hugo Chavez sont les deux personnalités
les plus en vue de l'Unasur. Si l'intégration politique et économique
de l'Amérique du Sud pour faire contrepoids à la prépondérance
des Etats-Unis est la ligne directrice de leur politique étrangère,
Lula observe toutefois une prudence sociale-démocrate qui contraste
avec l'antiaméricanisme exacerbé du président Chavez
et son mépris de l'économie de marché.
L'envergure géographique, économique et diplomatique du Brésil
le porte naturellement à assumer de fait, dans le sous-continent sud-américain,
le rôle de puissance dominante ou pour le moins de partenaire indispensable.
Washington considère cette influence comme stabilisatrice face à
l'expansion de la gauche radicale.
Outre l'approbation du Traité constitutif de l'Unasur, le Brésil
souhaitait, au sommet de Brasilia du 23 mai, le lancement d'un Conseil de
défense sud-américain. Il a été renvoyé
à une nouvelle analyse en fonction des réticences de l'Uruguay
et surtout de l'opposition de la Colombie. Bogota croit que la "menace terroriste"
des FARC sur son territoire, non qualifiée comme telle pas les autres
pays sud-américains et même soutenue par certains d'entre eux,
exclut de fait toute coopération militaire. Pour les questions de
sécurité régionale, la président colombien Alvaro
Uribe, appuyé militairement par Washington, s'en remet à l'Organisation
des Etats américains (OEA), dont sont membres les Etats-Unis.
Un autre problème de fond, à la fois politique et commercial,
s'est reflété dans la démission, à la veille
du sommet de Brasilia, du premier secrétaire général
de l'Unasur, l'ex-président équatorien Rodrigo Borja. Il dénonce
la résistance de dirigeants sud-américains à son projet
de placer le Mercosur et la Communauté andine sous l'égide
de l'Unasur.
Le principal handicap de la nouvelle union régionale est le choc en
son sein de modèles de société antagonistes. En Europe,
le consensus, du centre gauche au centre droit, sur le modèle d'économie
sociale de marché fut et reste un ciment essentiel de l'Union européenne.
Ce modèle est relativement suivi par la majorité des pays de
l'Unasur, y compris ceux relevant d'une gauche modérée (Brésil,
Chili, Uruguay et, avec des nuances, l'Argentine), mais il est combattu par
la gauche radicale qui instaure progressivement un néocollectivisme
d'Etat au Venezuela, en Equateur, en Bolivie et dès août prochain
au Paraguay si son président élu, Fernando Lugo, confirmait
ses sympathies pour le modèle dit bolivarien. |