"Compagnons militaires, ne perdons pas un jour pour notre mission fondamentale,
nous préparer à la guerre et aider le peuple à se préparer
à la guerre, c'est une responsabilité de tous", a affirmé
en kaki militaire l'ex-lieutenant colonel putschiste Hugo Chavez, président
élu du Venezuela depuis 1999. Il s'exprimait lors de son émission
dominicale "Alo Presidente", que télévisions et radios vénézuéliennes sont contraintes, sous peine de sanctions, de diffuser intégralement et en direct.
"Formons les corps de miliciens, entraînons-les, les étudiants
révolutionnaires, qui sont majoritaires, les travailleurs, les femmes,
tous prêts à défendre cette patrie sacrée appelée
Venezuela" ajoutait Chavez en présence notamment de chefs des trois armes
qui acquiesçaient au garde-à-vous.
"Se préparer à la guerre est la meilleure manière de
l'éviter" a estimé Hugo Chavez. Il conférait ainsi un
caractère préventif à son ordre de mobilisation, néanmoins
interprété comme une menace par la Colombie voisine.
Il s'agirait, selon le leader du socialisme dit bolivarien, d'être
prêt à repousser une éventuelle agression des Etats-Unis à partir de la Colombie.
Hugo Chavez considère en effet que la signature, en octobre, d'un
accord américano-colombien
permettant à l'armée américaine de faire usage d'au
moins sept bases colombiennes est une menace directe pour le Venezuela, pour
son pétrole et sa "révolution", ainsi que pour les gouvernements
de gauche d'Amérique latine.
Depuis que le projet d'accord a été rendu public, en juillet,
le Venezuela a gelé ses relations diplomatiques avec la Colombie,
réduit les échanges commerciaux bilatéraux et renforcé
sa présence militaire dans les zones stratégiques des 2.219
km de frontière commune.
Washington et Bogota affirment que leur nouvel accord se limiterait à
actualiser leur coopération contre le trafic de drogue et les guérillas
d'extrême gauche en vigueur depuis 1999 dans le cadre du Plan Colombie,
lancé à l'époque par le président américain
Bill Clinton. Le chef de l'Etat colombien, le président conservateur
Alvaro Uribe, assimile cette coopération avec les Etats-Unis à
une nécessaire et légitime défense, d'autant que le
Venezuela se réarme massivement depuis plusieurs années et
qu'aucun pays d'Amérique latine ne contribue à la lutte contre
les guérillas colombiennes. Elles disposent même de bases de
repli et d'entraînement dans deux pays voisins de la Colombie, le Venezuela
et l'Equateur.
Paraphrasant son ami cubain Fidel Castro, Hugo Chavez a estimé dans
son "Alo Presidente" que les Etats-Unis ont "annexé" la Colombie,
que "le gouvernement colombien, transféré aux Etats-Unis, n'est
plus à Bogota" et que "les militaires yankees peuvent être à
leur aise en Colombie, comme s'il s'agissait d'un Etat de l'Union".
Hugo Chavez a interpellé le président américain Barack
Obama, l'invitant "à ne pas se tromper en donnant l'ordre d'une agression
ouverte contre le Venezuela via la Colombie ... Nous sommes prêts à
tout. Le Venezuela ne sera jamais une colonie yankee ni de personne".
"Si les Etats-Unis agressent militairement le Venezuela, la guerre de 100
ans commencera et elle s'étendra sur l'ensemble du continent", car
"le Venezuela n'est pas seul; nous avons un grand groupe d'amis" a averti
le président vénézuélien.
Réactions : discours guerrier pour camoufler la situation interne?
Parallèlement à son intention de saisir l'ONU et l'OEA, la
Colombie a réitéré dans son communiqué présidentiel
sa "disposition au dialogue franc" avec le Venezuela. A cet égard,
le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva s'est offert
la semaine dernière comme éventuel médiateur,
proposant d'organiser une prochaine rencontre entre les présidents
Chavez et Uribe.
Camilo Reyes, ex- ministre colombien des Relations extérieures, croit
que par son discours guerrier "le président Chavez cherche à
camoufler la difficile situation interne" du Venezuela. Les observateurs
relèvent à ce propos qu'à 10 mois de leurs élections
législatives de septembre 2010, les Vénézuéliens
sont harcelés notamment par des pénuries d'eau, d'électricité
et de certains aliments, par une criminalité galopante qui frôlera
les 20.000 meurtres en 2009 (contre plus de 14.000 en 2008) et par une
inflation chiffrée déjà à 20,7% pour les dix
premiers mois de cette année.
Hugo Chavez recourt à "une tactique de manuel pour unir le pays et
justifier une militarisation de départements frontaliers [de la Colombie,
ceux de Tachira et de Zulia; ndlr] aux mains de gouverneurs de l'opposition"
écrit pour sa part à Caracas l'analyste Tulio Hernandez dans
l'influent quotidien d'opposition El Nacional. D'autres analystes vont jusqu'à
redouter que dans le climat actuel les adversaires du régime
soient bientôt déclarés traîtres à la patrie.
Lors de son "Alo Presidente", Hugo Chavez qualifiait dimanche ses opposants
"d'apatrides sordides formant une 5e colonne".
A usage interne ou non, la militarisation du Venezuela et le discours belliqueux
de son président accroissent les risques d'un dérapage international.
Mais le président Chavez sait sans doute qu'en cas de conflit militaire
avec la Colombie, sur laquelle le leader bolivarien rêve d'étendre
sa "révolution", il aurait aussi pour adversaire un prix Nobel
de la Paix, Barack Obama, et son armée.