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Argent frais pour le gouvernement avant les élections législatives
Venezuela-Chavez: bolivar dévalué, avion américain "intercepté"

En onze ans de pouvoir du président Hugo Chavez, depuis 1999, le bolivar a perdu 90% de sa valeur par rapport au dollar malgré la multiplication par huit, au tarif actuel, du prix du pétrole vénézuélien pendant la même période.

CARACAS, dimanche 10 janvier 2010 (LatinReporters.com) - Nouvelles mesures contre la crise énergétique exacerbée par une sécheresse qu'il impute au changement climatique, "interception" d'un avion militaire américain violant l'espace aérien du Venezuela, puis forte dévaluation de la monnaie nationale, le bolivar, avec instauration d'un double taux de change ont été annoncées dans cet ordre au soir du 8 janvier par Hugo Chavez.

En direct à la télévision publique, le président vénézuélien s'exprimait lors de son premier conseil des ministres de 2010. L'ordre des diverses séquences de son annonce multiple permet de supposer qu'il tentait de réduire l'impact de la dévaluation, reflet de difficultés économiques et sociales, en dénonçant d'abord des dangers extérieurs qui menaceraient la révolution bolivarienne, surtout le militarisme attribué aux Etats-Unis. Officiellement, le mot "dévaluation" est ignoré. Le bolivar ne serait que "réajusté".

La menace supposée des forces américaines, qu'aviverait le récent accord sur l'utilisation de bases en Colombie voisine, est devenue un élément permanent et essentiel du discours politique d'Hugo Chavez. Ses opposants l'accusent d'agiter le spectre d'une invasion "yankee" pour susciter un patriotisme populiste glorifiant le chef de la patrie en danger. Plus prosaïquement, le président Chavez est aussi soupçonné de vouloir détourner ainsi l'attention des Vénézuéliens de problèmes internes: récession économique, criminalité galopante, pénurie de logements et de certains aliments, rationnement de l'eau et de l'électricité et dégradation des services publics, y compris dans le secteur de la santé.

Que des pénuries énergétiques et alimentaires frappent aussi Cuba, principal allié régional du Venezuela, suggère que l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) créée par Hugo Chavez et Fidel Castro n'a pas rang d'alternative à un libéralisme économique en voie de surmonter sa dernière crise cyclique.

Dévaluation allant jusqu'à 50%


Face à la crise économique mondiale, le gouvernement de Caracas avait écarté à plusieurs reprises une dévaluation de la monnaie nationale. Mais la vigueur insolite de l'inflation vénézuélienne, la plus forte des Amériques -25,1% officiellement en 2009 et 30,9% en 2008, soit des taux d'appauvrissement massif-, ainsi que la chute des cours du pétrole et la baisse de sa consommation mondiale l'an dernier ont eu raison du bolivar, monnaie baromètre d'une économie toujours basée sur la monoculture de l'or noir.

Le PIB (produit intérieur brut) du Venezuela a chuté de 2,9% l'an dernier. Selon la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (la CEPAL, qui dépend de l'ONU), le Venezuela a subi en 2009 la plus forte chute en valeur des exportations de la région, 42 % contre une moyenne régionale de 24 %.

Déjà dévalué en 2004 et 2005, le bolivar, fixé jusqu'à présent au taux de 2,15 bolivars pour un dollar, s'échangera dès lundi 11 janvier à 2,60 bolivars le dollar (dévaluation de 17%) pour les importations socialement prioritaires et à 4,30 bolivars le dollar (dévaluation de 50%) pour toutes les autres importations.

Le dollar coûtera 2,60 bolivars dans les transactions concernant, a dit textuellement Hugo Chavez, "le secteur de l'alimentation pour les importations nécessaires, le secteur de la santé, celui des machines et équipements pour le développement économique, scientifique et technologique - y compris livres et fournitures scolaires- et aussi tout ce qui concerne les importations du secteur public, les envois d'argent familiaux, les étudiants vénézuéliens à l'étranger, les consulats et ambassades accrédités au Venezuela, les retraités et pensionnés et des cas spéciaux".

Dans tous les autres secteurs, le dollar se paiera 4,30 bolivars. Le chef de l'Etat a énuméré "l'automobile, le commerce, les télécommunications, les plastiques, le textile, les appareils électro-ménagers, les services, la construction, le tabac et les boissons". Citant comme exemple les véhicules et les chaussures, Hugo Chavez a précisé que "les importations non nécessaires coûteront plus cher", ce qui contribuerait à relancer la production et l'économie nationales. Au lendemain de cette annonce, les Vénézuéliens faisaient la queue samedi à Caracas devant les magasins du secteur électro-ménager pour profiter de prix ne répercutant pas encore la dévaluation.

La dévaluation financera les dépenses publiques, mais alourdira une inflation record

Le dollar à 4,30 bolivars a été qualifié par Hugo Chavez de "dollar pétrolier". Le pétrole brut, dont le Venezuela est le 5e exportateur mondial, lui fournit 90% de ses devises et la moitié du budget national. Pouvant grâce à la dévaluation recevoir au Venezuela 4,30 bolivars pour chaque dollar de ses ventes de pétrole à l'étranger et ne payant que 2,60 bolivars le dollar pour l'acquisition de biens d'importation, le monopole géant public Petroleos de Venezuela S.A. (PDVSA) va pouvoir mettre rapidement des sommes considérables en monnaie nationale à la disposition du gouvernement d'Hugo Chavez. Cela lui permettra de relancer les dépenses publiques, notamment pour sa politique sociale ou d'assistance directe, avant les élections législatives cruciales du 26 septembre.

La contrepartie est le risque d'accroître l'inflation qui lamine déjà fortement le pouvoir d'achat des Vénézuéliens, d'autant que le Venezuela importe la majorité de ce qu'il consomme, dont près de 90 % de sa nourriture selon les données officielles. Le ministre de l'Economie et des Finances, Ali Rodriguez Araque, reconnaît que la dévaluation pourrait alourdir de 3 à 5 points le taux d'inflation annuel en 2010, ce qui à ses yeux est une incidence modérée.

Dans un communiqué, le principal parti d'opposition, Un Nuevo Tiempo (social-démocrate), qualifie la dévaluation de "coup dur à l'estomac des Vénézuéliens", qui s'en trouveraient appauvris, tandis que le gouvernement va en retirer de l'argent frais en cette année électorale. "En établissant le taux de change à 4,3 bolivars contre le dollar, la qualité de vie des Vénézuéliens sera automatiquement dévaluée, puisque nous n'aurons que la moitié de l'argent que nous avions auparavant", schématise pour sa part Antonio Ledezma, maire de Caracas et adversaire de Chavez.

Enfin, le maintien des restrictions à la libre circulation de devises en vigueur depuis 2003 favorisera sans doute encore le marché parallèle sur lequel le dollar vaut actuellement plus de 6 bolivars. La monnaie nationale vénézuélienne est ainsi l'une des rares de la planète, sinon la seule, soumise à trois taux de change distincts.

AVION AMÉRICAIN

"Nous accusons le gouvernement des Etats-Unis et le gouvernement des Pays-Bas de lancer des actions de provocation et d'agression contre le Venezuela pour chercher l'excuse. L'excuse d'agresser le Venezuela." avait clamé le président Chavez avant d'annoncer la dévaluation du bolivar.

Exhibant une photo d'un présumé patrouilleur maritime P-3 Orion de l'armée de l'air des Etats-Unis, il a affirmé que cet "avion de guerre" avait décollé de l'île de Curaçao, dans les Antilles néerlandaises, avant de violer à deux reprises l'espace aérien vénézuélien le 8 janvier à la mi-journée, d'abord pendant 15 minutes, puis pendant 19 minutes.

"J'ai donné l'ordre à deux F-16 de l'intercepter, avec ordre de ne pas céder aux provocations. L'avion est parti vers le Nord, mais ensuite il est revenu" a expliqué Chavez. Selon lui, les deux F-16 vénézuéliens ont escorté et "mis sous pression" l'avion américain jusqu'à sa sortie de l'espace aérien national.

Un porte-parole du département américain de la Défense a rejeté l'accusation portée par Hugo Chavez. "Nous pouvons confirmer qu'aucun appareil militaire américain n'est entré [le 8 janvier] dans l'espace aérien du Venezuela. Par principe politique, nous ne volons pas dans l'espace aérien d'un autre pays sans accord préalable ou coordination", a ajouté le porte-parole. Hugo Chavez prétend pourtant disposer "de l'enregistrement des traces de l'appareil sur nos radars".

Quant aux nouvelles mesures annoncées par le leader bolivarien contre la crise énergétique, due tant à l'insuffisance d'investissements qu'à la sécheresse qui raréfie la production d'hydro-électricité, il s'agit d'une réduction des horaires de travail de fonctionnaires. Des mesures similaires imposées sous menace de sanctions ralentissent depuis plusieurs semaines de multiples services et industries.

Crise énergétique au pays du gaz et du pétrole... Hugo Chavez n'a pas fini d'étonner après onze ans de pouvoir, lors desquels le bolivar a perdu 90% de sa valeur par rapport au dollar malgré la multiplication par huit, au tarif actuel, du prix du pétrole pendant la même période. [Au cours de la 1ère semaine de 2010, le baril de pétrole brut vénézuélien s'est négocié au prix moyen de 74,45 dollars.]


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