Argentine: Kirchner et le nouveau "progressisme économique"Par Julio Burdman
Il existe toutefois suffisamment de signaux et d'indicateurs attestant d'un changement d'optique dans la politique économique. La dure négociation avec le Fonds monétaire international (FMI), les banques et les entreprises et concessionnaires privatisés, les programmes de hausse salariale ou l'entrée d'économistes de la FLACSO (Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales) au ministère de la Planification et des Services publics en sont la preuve. Beaucoup, néanmoins, succombent à une simplification analytique en opposant les conceptions "orthodoxes" à des points de vue "hétérodoxes" déjà périmés, sans comprendre la nature politico-économique de la nouvelle hétérodoxie. Un débat académique Le progressisme économique, dans les pays capitalistes avancés d'Europe, d'Asie du Pacifique et d'Amérique du Nord, ne débat pas des instruments de la croissance, mais des formes de développement. Ce qu'on appelle la "troisième voie" est essentiellement une nouvelle discussion sur la distribution de la croissance économique, articulée à l'initiative de l'Etat et de nouvelles organisations sociales. C'est le débat que le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a introduit dans son pays. En revanche, la "nouvelle hétérodoxie" débat des instruments et des institutions de la croissance économique. Des économistes convoqués actuellement par le nouveau gouvernement argentin, tels les chercheurs de la FLACSO Daniel Azpiazu ou Eduardo Basualdo, sont essentiellement académiques, de peu d'expérience en matière de politiques publiques et enrôlés dans un mélange de nouveaux courants hétérodoxes ("évolutionnistes", "postkeynésiens", "néoschumpetériens", "institutionnalistes hétérodoxes") qui, sans être anticapitalistes, ne croient pas en l'économie de marché. La nouvelle hétérodoxie qu'ils représentent n'a pas de corps théorico-analytique solide: c'est un ensemble de postulats partiels, qui tentent de démonter une à une les bases de l'école "néoclassique". L'un des aspects centraux de la nouvelle hétérodoxie est l'institutionnalisme. Un institutionnalisme de gauche, pour tenter de le définir, qui ne partage pas les préoccupations du "néoinstitutionnalisme" à propos de l'efficacité de l'encadrement politique du marché, mais qui croit que la distribution du revenu dans un pays est déterminée par les institutions, guidées par les secteurs ayant un pouvoir politique et économique en quête de bénéfices extraordinaires ou quasiment de rentes. C'est une conception politico-économique de l'économie, nouvellement à la mode dans des cercles académiques de France et de Grande-Bretagne, avec laquelle sympathisent les "globalophobes" du monde entier, de nombreux économistes consultés aujourd'hui par le gouvernement argentin, les équipes économiques de l'ARI (Alternativa por una República de Iguales) et -beaucoup l'affirment- le président Kirchner lui-même, qui a pris pendant quatre ans des cours particuliers d'économie. Il ne s'agit pas nécessairement d'une conception socialiste de l'économie et de la politique économique, car le droit de propriété ou les éléments de l'économie ouverte ne sont pas remis en question dans le cas de la composante institutionnaliste de gauche. (D'autres écoles de la nouvelle hétérodoxie, elles, comme le postkeynésianisme ou l'évolutionnisme, effectuent cette remise en question). Mais ce qui subsiste au sein de l'institutionnalisme de gauche, par rapport à la vieille gauche socialiste et keynésienne, est une notion semi-marxiste des secteurs sociaux et des "élites". Selon cette vision, les "élites" tenteront toujours "d'exploiter les travailleurs" et d'obtenir des rentes extraordinaires, le rôle des "institutions" étant de l'empêcher. Il est clair que les institutions ne sont pas définies d'entrée de jeu. Elles incluent l'Etat, les syndicats, les diverses entités régulatrices de l'économie que crée l'Etat ou les mesures de politique économique. Les années 1990, selon les institutionnalistes de gauche, furent celles du néoconservatisme, au cours desquelles un gouvernement associé au pouvoir économique permit à des entreprises et banques déterminées de réaliser des gains démesurés, au prix de l'appauvrissement d'autres secteurs de l'économie. Azpiazu y Basualdo, dans leurs écrits, vont même plus loin et parlent d'un "modèle néoconservateur" de bénéfices extraordinaires pendant un quart de siècle, de 1976 à 2001, établissant une continuité entre la dictature militaire et la décade des années 1990. Selon ce point de vue, le nouveau modèle économique, de la production et du travail, est défini par l'objectif politique de créer un nouveau "cadre institutionnel" pour favoriser ces secteurs. Cette vision, académique et de peu d'expérience au niveau des fonctions de politique publique, est celle qui s'impose aujourd'hui au moins dans une grande partie de l'administration économique gouvernementale. C'est aussi la vision la plus élaborée du diagnostic "antinoventista" (hostile aux années 90) qui existe, en Argentine, dans une bonne part de la société politique et civile. Le problème de cette vision politisée de l'économie réside non seulement dans ses préjugés contre les chefs d'entreprise, l'activité économique et l'initiative privée (préjugés très coûteux pour un pays en défaut de paiement et avec un risque pays très élevé entretenant la méfiance de nombreux investisseurs), mais aussi dans son imprévisibilité absolue. En ne s'assujettissant pas à un programme économique (assujettissement que beaucoup appellent, précisément, "orthodoxie"), ses limites sont infinies. L'imagination et les recours que peut utiliser l'Etat pour obtenir un cadre institutionnel de la "production et du travail" sont également insoupçonnés. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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