Argentine: 20 ans après, la guerre des Malouines reste une blessure ouverte269 ex-combattants se sont suicidés
Ce discours du président argentin Eduardo Duhalde a accentué l'émotion de 3.000 ex-combattants du conflit des îles Malouines réunis mardi à Ushuaia, la ville la plus australe de la planète, pour commémorer le 20e anniversaire du début d'une guerre perdue contre la Grande-Bretagne. Les ex-combattants, dont 269 se sont suicidés, ont enfin reçu du chef de l'Etat la reconnaissance morale de leurs compatriotes. "C'est la première fois en vingt ans qu'un président de la nation participe à une cérémonie des vétérans revendiquant la cause historique des Malouines" constate Hector Beiroa, président de la Fédération des vétérans de guerre de la République argentine.
Deux mois et demi plus tard, le 14 juin, l'Argentine capitulait devant le corps expéditionnaire britannique dépêché par la "Dame de fer", le Premier ministre Margaret Thatcher, pour reconquérir les Falkland (nom anglais des Malouines, appelées Malvinas en espagnol). A Buenos Aires, les héros d'hier étaient jetés dans un oubli teinté de honte. "Pour éviter le contact avec les gens, on fit entrer de nuit dans les casernes les soldats revenus des Malouines" rappelle Hector Beiroa. Il souligne qu'au cours des années suivant la guerre, 269 ex-combattants, "soit quasi 50% de nos pertes pendant le conflit", se sont suicidés. Le bilan de l'affrontement pour les Malouines s'éleva à 904 morts, 649 Argentins et 255 Britanniques. Selon la Fédération des vétérans, 7.000 des 10.000 ex-combattants de la guerre de 1982 sont actuellement chômeurs et près de 60% "ne peuvent obtenir un logis digne". Le suivi médical fut inexistant ou tardif pour ceux frappés d'un stress post-traumatique consécutif aux combats. Hector Beiroa croit que cette "desmalvinizacion" ("démalouinisation") imposée par la société explique la vague de suicides. Plusieurs dizaines d'ex-combattants déposèrent lundi soir à Buenos Aires des croix blanches devant le domicile de l'ex-dictateur Leopoldo Fortunato Galtieri, considéré comme "symbole et responsable" des morts des Malouines. Le 17 juin 1982, trois jours après la capitulation argentine, le général Galtieri démissionna de la Présidence de la République. Il avait lancé son pays dans l'aventure nationaliste pour sauver la dictature militaire menacée par la crise économique et les mobilisations syndicales. Le désastre des Malouines précipita la chute de la junte militaire, en 1983, et le retour à la démocratie. "Il ne faut pas confondre, d'une part, les hommes qui luttèrent fièrement et, d'autre part, Galtieri et la dictature militaire... La guerre fut menée pour renforcer la dictature en jouant avec notre orgueil" déclare le général à la retraite Martin Balza, commandant en chef de l'armée dans les années 1990. Lui-même ex-combattant des Malouines, Martin Balza estime que la guerre fut "totalement improvisée". Comme ses compagnons de combat, il regrette "le mépris" de la société à leur égard. Des sociologues estiment que ce "mépris" est le signe d'une profonde blessure laissée ouverte au sein même de la population. L'humiliation des Malouines et le souvenir des atrocités de la dictature militaire donnent encore aux Argentins le sentiment d'être des déshérités de l'histoire contemporaine. La crise économique et sociale sans précédent que subit actuellement le pays entretient ce pessimisme. Londres et Buenos Aires rétablirent leurs relations diplomatiques en 1990. En octobre 1998, Carlos Menem, alors président de l'Argentine, déposa dans la capitale britannique une gerbe de fleurs devant le monument aux militaires tombés aux Malouines. Pour la première fois depuis 1982, un chef de gouvernement britannique, Tony Blair, se rendait le 1er août 2001 en Argentine. Il était reçu aux chutes d'Iguazu par le président Fernando de la Rua. Le successeur de ce dernier, Eduardo Duhalde, affirme que la diplomatie est désormais l'arme du combat pour la récupération des Malouines. Mardi soir à Buenos Aires, dans le cadre du 20e anniversaire de la guerre, quelque 150 Argentins, syndicalistes et militants d'organisations de gauche, entonnèrent des chants patriotiques devant l'ambassade de Grande-Bretagne, brûlèrent des drapeaux britanniques et maculèrent de peinture les murs de la représentation diplomatique.
© LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne Nos textes peuvent être reproduits s'ils sont clairement attribués à LatinReporters.com avec lien actif vers notre site (ou mention de notre adresse http://www.latinreporters.com si reproduction sur support autre qu'Internet). |