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L'Argentine de Kirchner consolide un nouveau modèle politico-économique: le TDK

Par Julio Burdman

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Dossier Argentine

BUENOS AIRES, mardi 30 septembre 2003 (NuevaMayoria.com) - La politique argentine, caractérisée historiquement par des présidents peu durables et des projets ratés, est encore loin d'obtenir un "10" en stabilité et prévisibilité. Le président Nestor Kirchner est arrivé au pouvoir de manière accidentelle, avec un faible appui électoral, voici à peine 120 jours. Sa stratégie pour compenser ce déficit est efficace, mais il lui sera difficile de surpasser le traumatisme du 22%. (Score de Kirchner au 1er tour de la présidentielle du 27 avril et avec lequel il accéda à la présidence, son adversaire du second tour, Carlos Menem, ayant déclaré forfait ). Un nouveau modèle politico-économique teinté de populisme, le TDK, se consolide néanmoins.

Le péronisme (ou justicialisme) au pouvoir est certes le parti dominant en Argentine. Il lui manque néanmoins un leadership national, car le pouvoir est fragmenté entre des chefs provinciaux. La rivalité paraît inexorable entre les deux principaux actionnaires de ce pouvoir, Kirchner et son prédécesseur péroniste à la présidence, Eduardo Duhalde.

En outre, les conditions économiques et sociales demeurent explosives en Argentine. L'impact en est négatif sur la politique en termes de stabilité gouvernementale et de qualité attribuable aux gouvernants.

Ainsi, les conditions nécessaires à la gouvernabilité -force électorale, solidité des partis et développement économique- demeurent-elles encore dans un état critique, qui prédispose à l'incertitude politique et économique.

Un panorama plus clair a toutefois surgi des dernières élections provinciales et locales et des premières initiatives de Kirchner. Le justicialisme s'étend et se consolide en tant que force politique. Tant aux élections provinciales et municipales qu'aux législatives, il a obtenu des majorités plus écrasantes que celles d'aucun autre parti depuis 1983. Et cela sans renouveler, ou peu, ses dirigeants provinciaux et locaux.

Mais bien que ce soit à nouveau le péronisme, et de la main des mêmes personnes, la force responsable du gouvernement en Argentine, on perçoit un changement -ou, mieux dit, un approfondissement- de l'orientation générale du mouvement. Le péronisme plutôt de "centre droit" qui aurait pu occuper, moyennant certaines distances et différences, l'espace laissé vacant par le "menemisme" (le péroniste Carlos Menem fut président de 1989 à 1999) a perdu face au péronisme de Nestor Kirchner et d'Eduardo Duhalde, aujourd'hui les deux protagonistes quasi exclusifs du niveau national de la politique.

Kirchner et Duhalde pourront avoir des visions distinctes de la politique et du pouvoir. Des intérêts, surtout, peuvent en faire des rivaux. Mais ils partagent la même vision générale sur l'orientation de l'économie. De commun accord, cette orientation a pris forme au cours des quatre premiers mois de gestion de Kirchner. Il s'agit d'une orientation qui, en principe, se construit par référence aux années 1990. Elle change, par rapport à cette époque, le discours (mais les faits restent à voir) sur les dépenses publiques, la relation avec les marchés et les relations économiques internationales.

Quant aux réformes structurelles qu'exige l'économie, elles sont subordonnées sans hésitation au "timing" marqué par la politique. Et cela dans une vision plus nationaliste et mercantile du rôle de l'Etat dans l'économie, avec des interventions en faveur de certains acteurs et au détriment d'autres. Tant pour Kirchner que pour Duhalde, la politique sociale est un instrument économique de construction de coalitions politiques.

Ce virage est visible dans un ensemble de mesures et de prises de position. Dans le budget 2004, dans la négociation avec le Fonds monétaire international, dans la proposition de réduction de la dette de l'Argentine faite à ses créanciers privés à Dubaï et dans la prochaine révision et renégociation de privatisations.

"Capitalisme national" et "populisme modéré"

Tous ces éléments forment quasiment un autre "modèle", même si les dénominations varient: Duhalde l'a qualifié de "modèle productif" et Kirchner, depuis le 25 mai, date de son investiture, de "capitalisme national". A la recherche d'une définition qui tienne compte d'écoles de pensée ou d'expériences antérieures, des spécialistes de l'analyse économique et politique parlent de "néokeynésianisme" ou "de populisme modéré".

Une lecture plus propre aux historiens -pensant en termes de périodes- fera sûrement la distinction entre la décade des années 1990, caractérisée par une gouvernabilité solide avec un programme plus ou moins cohérent (mais souffrant de fortes inconsistances dans sa mise en oeuvre), et une période postérieure, qui tente de rompre le modèle antérieur. Les livres d'histoire parleront probablement des "années 90 de Menem" et de la période "anti-90" de ceux qui l'ont suivi.

Ce virage vers "l'autre modèle" comporte plusieurs chapitres et s'opère lentement. Les premiers à l'avoir tenté furent les "transversaux", comme on appelle les "alliancistes" de centre gauche qui s'opposèrent jusqu'à la rupture au président radical Fernando De la Rua (1999-2001), avec lequel ils s'étaient alliés. Duhalde fit un deuxième essai au cours de ses 17 mois de présidence de transition. Et aujourd'hui Kirchner, installé à la présidence, jouit peut-être de l'opportunité la plus concrète.

Il ne s'agit pas de virer du blanc au noir, car le modèle TDK (Transversaux-Duhalde-Kirchner) inclut des éléments modérés, qui pourraient provoquer des fuites sur le flanc gauche du modèle. A cause, par exemple, d'un certaine orthodoxie fiscale ou, malgré le discours enflammé, d'un rapprochement étroit avec les Etats-Unis.

A l'approche de 2004, ce modèle TDK semble s'affermir. Il a la préférence de l'opinion publique et il se consolide en tant que consensus au sein du péronisme dominant. Après le coup porté au "centre droit" lors des élections provinciales de ce mois de septembre, le conflit politique relèvera plus, à moyen terme, de la lutte pour le pouvoir et les espaces que de celle pour les programmes et les idées.

Comme signe de sa consolidation, le modèle TDK devrait occuper au cours des prochains mois le centre de la politique. Il sera critiqué à gauche pour la relation avec les Etats-Unis, la modération de son hétérodoxie et l'hégémonie "santacrucienne" (Kirchner fut gouverneur de la province de Santa Cruz et nombre de ses collaborateurs d'alors l'ont suivi à Buenos Aires). Il sera aussi critiqué à droite, pour l'absence d'un climat favorable au commerce, pour le manque d'une stratégie pouvant réintégrer l'Argentine dans le monde et pour les apparences de "setentismo" ("soixante-dixisme"), certains reprochant à Kirchner d'encourager un national-populisme de gauche rappelant celui qu'avait connu l'Argentine au début des années 1970.

Donc, en quatre mois, grâce à l'influence des ex-"alliancistes transversaux", à celle de Duhalde en prise sur le péronisme de Buenos Aires et à celle de Kirchner lui-même devenu président de la République, s'est fortifié un justicialisme certes territorial, mais qui, au niveau du gouvernement national, débouche sur le consensuel modèle TDK. Ce modèle synthétise les tentatives de rupture menées depuis 1999, les modelant dans les divers positionnements et mesures de la politique économique. La bataille à venir dans le cadre du nouveau modèle qui s'affermit sera celle pour le pouvoir.

Les similitudes entre Nestor Kirchner et l'ex-président Carlos Menem ne sont pas peu nombreuses: tous deux partagent, au moins, la tradition et la culture politique du péronisme. Aujourd'hui, le "modèle TDK" recherche une gouvernabilité comme celle dont jouissait Menem, mais pour mettre en oeuvre un agenda distinct.

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