Par Julio Burdman BUENOS AIRES, lundi 31 mars 2003 (NuevaMayoria.com) - L'Argentine affronte dans un nouveau contexte la succession du président Eduardo Duhalde. Dans le cas présent, la nouvelle politique n'est pas un progrès, mais plutôt le contraire: une incertitude exceptionnelle, les séquelles de la détérioration institutionnelle laissée par la crise, la perspective d'un gouvernement faible et l'absence d'idées claires et de plans soutenables pour faire face à la prochaine transition, voilà quelques unes des caractéristiques de ce nouveau scénario qui se répercute déjà négativement sur les perspectives concernant l'Argentine jusqu'à la fin de l'actuelle décade. La crise des partis et l'évolution provincialiste de la politique, phénomènes liés entre eux, sont les axes de cette nouvelle politique qui apporte avec elle de nouveaux défis à la gouvernabilité.
La base électorale du prochain président sera l'une des plus étroites de l'histoire. Il est quasi sûr que la fragmentation de l'électorat débouchera sur un ballottage au premier tour. Une forte abstention est également probable au second tour, surtout s'il oppose deux péronistes, ce qui inciterait de nombreux non-péronistes à ne pas participer au scrutin. Le Congrès actuel -avec encore une forte proportion de députés radicaux et frepasistes (1) et un justicialisme (2) à la fois inférieur à 50% des députés et subdivisé en trois ou quatre blocs consistants- se maintiendra jusqu'au 10 décembre. Le mois de mars a démontré que les initiatives de l'exécutif aboutissent (rappelons-nous les lois prévues par le mini-accord avec le FMI), mais après plusieurs tours de négociations sectorielles. Les coûts de transaction dans la relation nation-provinces seront très élevés. La tendance au provincialisme perçue depuis la fin des années 1990 se consolidera, à moins que le prochain président ne prenne la tête d'une stratégie visant à transformer le fédéralisme politique en Argentine. Il y a enfin les résistances que le nouveau gouvernement pourrait rencontrer dans certains secteurs de la population. Le rejet de la politique par la classe moyenne ne se dissipera pas du jour au lendemain et moins encore en cas de victoire de Carlos Menem. Les plans sociaux se convertiront en politique d'Etat, mais, dans une mesure dépendant de la personnalité du prochain président, on assistera à un changement dans les relations avec les piqueteros (3), aujourd'hui alliés du gouvernement dans la gestion de la politique sociale. Une rupture de cette alliance avec les organisations de piqueteros accroîtrait le risque de conflit social pendant la première étape du prochain exécutif. Voilà donc certains des nouveaux problèmes que devra esquiver le prochain président. Ces problèmes sont neufs non quant à leur nature, mais plutôt quant à leur forme et leur intensité. Ils impliquent des difficultés sur divers fronts et une diminution des ressources pour les affronter. Cela ne signifie pas que le pays sera ingouvernable - la moitié des gouvernants du monde affronte des problèmes plus graves- mais la matrice de gouvernabilité sera différente. En fonction de la fragmentation des partis et de la réalité politique provincialisée, les appuis pour gouverner s'obtiendront en négociant, point par point, avec divers gouverneurs et législateurs. L'influence des leaders nationaux et des partis majoritaires sera moindre et les chefs de groupes parlementaires -rappelons, par exemple, le rôle joué par Augusto Alasino (4)- ne détiendront plus autant de pouvoir. Les restrictions fiscales de la prochaine période limiteront aussi le pouvoir de négociation du gouvernement central avec les provinces. Tant le rôle politique comme la crise fiscale de Buenos Aires au cours des dernières années ont ouvert les portes à un conflit potentiel entre les provinces, qui risque d'éclater à court terme si le prochain président n'y prend garde. Ce panorama semble suggérer un parcours impossible, mais ce n'est pas le cas. La matrice de gouvernabilité sera la même que celle qui a caractérisé le Brésil au long de quasi toute son histoire, y compris les époques du président Cardoso et de son successeur actuel, Lula. Il s'agit d'un scénario qui, s'il se maintient, rendra nécessaire à la longue la naissance d'une culture de consensus et de coalitions que l'Argentine ne possède pas, comme l'a démontré l'échec de l'Alliance (5). Dans l'immédiat, il faudra de l'habileté et de la patience pour négocier. Si le prochain président est justicialiste, il trouvera une large coalition potentielle au sein de son propre mouvement, pour autant qu'il parvienne à le réunifier lors d'intenses négociations avec les factions internes, les gouverneurs et les législateurs. Le contexte dans lequel évoluera le prochain président ne sera pas celui d'un pays ingouvernable, mais d'une gouvernabilité à la brésilienne. Ce qui revient à dire une gouvernabilité plus coûteuse.
Notes explicatives de latinreporters.com (1) "Frepasistes": membres ou partisans du FREPASO (Front pays solidaire), coalition de péronistes dissidents et de militants de centre gauche. Avec 30% des suffrages à l'élection présidentielle de 1995, il mit fin au bipartisme traditionnel de l'Union civique radicale (UCR, sociale-démocrate) et du Parti justicialiste (parti des péronistes). (2) "Justicialisme" ou "péronisme": doctrine de Juan Domingo Peron (président de 1946 à 1955 et de 1973 à 1974, année de sa mort). Cette doctrine conciliait mesures sociales, antiaméricanisme, catholicisme, nationalisations et répression. (3) "Piqueteros": chômeurs qui protestent contre la crise économique et sociale en dressant sur les routes des barrages appelés "pìquetes". (4) Ex-président du groupe des sénateurs nationaux du Parti justicialiste, Augusto Alasino fut très influent sous la présidence de Carlos Menem. Il dut se défendre contre l'accusation d'enrichissement illicite. (5) L'Alliance désigne celle formée pour l'élection présidentielle de 1999 par l'UCR et le FREPASO. Sa victoire déboucha sur la formation d'un gouvernement de coalition dirigé par le président de la République Fernando De la Rua (UCR). Les principales figures du FREPASO abandonnèrent ce gouvernement, qu'elles jugeaient trop à droite, avant que le président De la Rua ne soit contraint à la démission par les émeutes sanglantes du 20 décembre 2001. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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