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Des paysans indiens isolent La Paz du reste du pays

La Bolivie menacée d'explosion par son gaz naturel

Opposition populaire à l'exportation du gaz via le Chili

Bolivie: barrage routier dressé par des paysans autochtones
Photo archives Jeremy Bigwood
LA PAZ, jeudi 25 septembre 2003 (LatinReporters.com) - Depuis plusieurs jours, la ville de La Paz, siège du gouvernement bolivien, est pratiquement isolée du reste du pays par le blocus de routes organisé par la Confédération syndicale de travailleurs agricoles de l'Indien Felipe Quispe, ex-candidat à la présidence de la République.

Parallèlement à leurs revendications contre la la marginalisation économique et sociale des populations autochtones, les protestataires se mobilisent contre le projet d'exportation de gaz naturel bolivien via le Chili et contre l'éventuelle adhésion de la Bolivie à la future Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou, en espagnol, ALCA).

Par solidarité, des marchés de La Paz, où s'approvisionne la majorité de la population, ont fermé leurs portes. "Nous défendons le gaz et nous nous opposons à l'ALCA" déclare une vendeuse de légumes à une télévision locale.

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La Fédération des producteurs a décidé de freiner l'entrée d'aliments dans la ville aussi longtemps que le gouvernement du président Gonzalo Sanchez de Lozada n'acceptera pas de développer des infrastructures permettant aux Boliviens de bénéficier de leur gaz naturel avant qu'il ne soit exporté au Mexique et aux Etats-Unis, via un port chilien.

Le ministère français des Affaires étrangères a lancé aux voyageurs cet avertissement: "La Bolivie connaît actuellement une période de tension sociale caractérisée par des blocages de route et des affrontements violents entre manifestants et forces de l'ordre. Il est difficile et risqué de se rendre par la route de La Paz à Cochabamba et de Cochabamba à Santa Cruz. Il est probable que d'autres routes seront très prochainement bloquées à leur tour (La Paz - frontières chilienne et péruvienne, La Paz - Yungas), isolant de facto chacune des principales villes du pays... De manière générale, il est déconseillé aux voyageurs de se rendre près des zones de front entre manifestants et forces de l'ordre (tirs à balles réelles)."

Vu la situation actuelle de convulsion, l'ambassadeur d'Allemagne en Bolivie, Bernd Sproedt, et le consul du Chili, Fernando Urrutia, recommandent à leurs compatriotes de suspendre leurs projets de voyage. Le diplomate allemand qualifie de "grave erreur des forces de sécurité l'abandon de la localité de Sorata", après en avoir évacué, samedi dernier, un millier de touristes boliviens et étrangers bloqués pendant une semaine par les barrages routiers. "Pour se venger", dit Bernd Sproedt, les paysans révoltés "ont réduit en cendres" l'hôtel Copacabana, propriété d'un Allemand qui va exiger une compensation de l'Etat bolivien.

Lors de l'évacuation des touristes, des affrontements entre paysans et l'armée ont fait cinq morts et 13 blessés, répartis entre les deux camps. Le ministre de l'Intérieur, Yerko Kukoc, affirme que l'usage d'armes à feu par les forces de l'ordre répondait à "des embuscades" contre le convoi de touristes. La télévision a montré des paysans brandissant de vieux fusils Mauser.

L'école de Warisata

Plus de 1.500 soldats et policiers patrouillent sur les routes principales autour de La Paz. Toutefois, les barrages persistent, bloquant au moins 400 personnes dans la région de l'Altiplano. Le ministre de l'Intérieur reconnaît que le trafic y est extrêmement réduit.

Selon le gouvernement, la protestation désormais insurrectionnelle serait partie de l'Ecole normale de Warisata, premier centre bolivien de formation de maîtres ruraux, à 100 km de La Paz, sur l'Altiplano. Le vice-ministre de l'Intérieur, José Luis Harb, affirme qu'on y enseigne des matières "racistes et antirépublicaines". Le président Gonzalez Sanchez de Lozada, multimillionnaire libéral investi en août 2002, accuse des professeurs et des élèves d'avoir tiré sur la caravane de touristes évacuée de Sorata. Le chef de l'Etat a décrété la fin anticipée, deux mois avant le début de l'été austral, de l'année académique 2002-2003 à l'Ecole normale de Warisata. Ses 2.000 élèves vont bénéficier d'un satisfecit automatique.

Outre le leader syndical paysan Felipe Quispe, la "guerre du gaz" mobilise un autre dirigeant autochtone, le charismatique Evo Morales, porte-parole de 30.000 familles de cocaleros (cultivateurs de la coca), inattendu second de l'élection présidentielle de 2002 et député du premier parti de l'opposition, le MAS (Mouvement vers le socialisme). Evo Morales et Felipe Quispe sont antioccidentaux et adversaires de l'économie de marché. Ils tirent à boulets rouges sur le projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA). Tous deux applaudirent les attentats terroristes islamistes du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis. La somme de leurs voix à la présidentielle du 30 juin 2002 fut de 27 %, la proportion d'Indiens en Bolivie atteignant pourtant 65%.

Le MAS d'Evo Morales, des cultivateurs de coca, des syndicats, des ouvriers et des petits commerçants ont créé dans la ville de Cochabamba la "Direction unique de la défense du gaz".

Alors que la pauvreté frappe 60% des 8,3 millions de Boliviens, le sous-sol du pays renferme les plus vastes réserves de gaz naturel d'Amérique du Sud après celles du Venezuela. Prévue à partir de 2006, l'exportation de gaz naturel bolivien liquéfié vers les Etats-Unis et le Mexique nécessite un investissement préalable de six milliards de dollars, dont la moitié en aménagements portuaires. La Bolivie n'ayant pas de fenêtre maritime, le Pérou et le Chili tentent chacun d'attirer cet investissement, le premier au profit de son sud marginalisé, le second pour développer son nord sous-équipé.

Priorité sociale et nationalisme antichilien

Pour les membres de la "Direction unique de la défense du gaz", les projets d'exportation soulèvent deux problèmes.

D'abord la priorité sociale. Il serait injuste, argumentent les contestataires, d'exporter le gaz sans en faire bénéficier auparavant ou simultanément les Boliviens eux-mêmes par des infrastructures domestiques et industrielles qu'il serait urgent de créer. Le gouvernement réplique que dans quelques mois 250.000 premiers logements seront connectés au gaz.

Ensuite le problème nationaliste, capable d'enflammer la majorité des Boliviens. Lors de la guerre du Pacifique (1879-1883), la Bolivie dut céder au Chili sa façade océanique et plus de 100.000 km2. Depuis, les autorités de La Paz ne cessent de revendiquer l'accès au Pacifique. Malgré l'apaisement de la tension entre les deux pays, leurs relations diplomatiques sont suspendues depuis 1961, hormis une brève parenthèse de 1975 à 1978. Hier, à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, la Bolivie réclamait une fois de plus, par la voix de son vice-président Carlos Mesa, la restitution par le Chili de la longue fenêtre océanique perdue au 19e siècle.

Les études de faisabilité indiquent que l'exportation du gaz naturel bolivien via un port chilien serait plus rationnelle et rentable que via le Sud péruvien. Le gouvernement de La Paz voudrait que l'attrait d'avantages économiques incite le Chili a satisfaire au moins partiellement la revendication territoriale bolivienne. Mais le sentiment antichilien séculaire des Boliviens se dresse contre l'octroi d'un quelconque avantage au Chili. Le gaz naturel risquerait donc de faire exploser la Bolivie si un port chilien était tout de même choisi pour son exportation.

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