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21 morts dans le troisième échec consécutif d'un lanceur brésilien de satellites

L'explosion d'une fusée spatiale sur la base d'Alcantara freine l'ambition de puissance du Brésil

En haut: prototype brésilien VLS sur la base d'Alcantara. (Photo CLA)
En bas: vue générale de l'aire de lancement d'Alcantara. (Photo CLA)
RIO DE JANEIRO, dimanche 24 août 2003 (LatinReporters.com) - Vingt-et-un ingénieurs et techniciens ont été tués vendredi dans l'explosion au sol d'une fusée spatiale brésilienne sur la base d'Alcantara (nord-est du Brésil). Il s'agit du troisième échec consécutif, depuis 1997, du prototype VLS (Véhicule lanceur de satellites) qui pourrait faire du Brésil l'unique pays d'Amérique latine capable de mettre des satellites en orbite avec une technologie nationale.

Accident ou sabotage, la tragédie d'Alcantara aura des conséquences économiques, militaires et politiques. Elle freine l'ambition de puissance propre à un pays de taille continentale, ambition dont a hérité Luiz Inacio Lula da Silva, premier président de gauche du Brésil.

Selon le ministre brésilien de la Défense, José Viegas, l'explosion de la fusée s'expliquerait par la mise à feu involontaire de l'un des quatre moteurs. L'instabilité du combustible solide utilisé serait une cause possible de la catastrophe. Elle est suggérée, dans des déclarations au quotidien "O Estado de Sao Paulo", par deux ingénieurs de l'armée brésilienne et par Georges Fakas, ex-directeur technique du programme spatial français.

Il s'agirait donc d'un accident. Mais le président de l'Agence spatiale brésilienne, Luiz Bevilacqua, estime que le sabotage est une possibilité qui ne doit pas être écartée.

Le président Lula a aussitôt réaffirmé, par l'intermédiaire de son porte-parole, sa volonté de "doter le Brésil d'une technologie spatiale propre". Le programme spatial national est maintenu. Un quatrième prototype VLS va être mis en chantier. En 1997 et 1999, des problèmes techniques avaient entraîné la destruction des deux premiers quelques secondes après leur lancement.

L'explosion du dernier VLS -haut de 19 mètres et pesant 50 tonnes- signifie une perte économique importante. Au coût du lanceur -6,5 millions de dollars- s'ajoute le coût, non précisé, de la destruction d'installations -dont la tour de lancement- et des deux satellites de télécommunications de technologie brésilienne que la fusée devait mettre en orbite lundi. D'autres coûts inestimables sont la mort de 21 ingénieurs et techniciens hautement qualifiés (difficilement remplaçables à court terme) et le coup d'arrêt porté à la commercialisation de la base d'Alcantara.

Accord polémique avec les Etats-Unis

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Le Brésil voudrait hisser Alcantara aux premières places du marché mondial de lancement de satellites. Idéalement située à la latitude 2°28 au sud de l'équateur, sur la côte de l'Etat du Maranhao, la base permet aux fusées spatiales de bénéficier d'un effet de fronde, la rotation de la terre étant plus élevée à l'équateur. Le carburant peut en conséquence être réduit au profit de la charge à mettre en orbite. Par rapport à Cap Canaveral (Etats-Unis), une fusée gagne 30% de charge utile.

Mis en chantier dès 1980, le site d'Alcantara, contrôlé par l'armée de l'air brésilienne, attire notamment les Etats-Unis. Un accord signé avec Washington en avril 2000 autorise les firmes américaines à tirer des fusées du Brésil. Toutefois, les réserves sur les transferts de technologies sensibles et l'accès réservé à certaines zones du centre d'Alcantara exigés par le gouvernement américain ont retardé la ratification de l'accord. Le ministre brésilien des Relations extérieures, Celso Amorim, et son collègue de la Défense, José Viegas, auraient recommandé son annulation au président Lula. (Alcantara n'a donc jamais été une base militaire américaine, contrairement aux affirmations passées de divers médias).

Le député João Alfredo, du Parti des travailleurs (PT) de Lula, estime que "le gouvernement doit étudier les propositions d'autres pays intéressés par l'usage de la base (d'Alcantara), comme l'Ukraine, l'Australie et la Russie", afin d'obtenir non seulement une contrepartie financière, mais aussi et surtout "une cession de technologie spatiale permettant au Brésil de progresser".

Précisément, l'explosion de vendredi s'est produite alors que le président de l'Agence spatiale brésilienne, Luiz Bevilacqua, annonçait la signature avec l'Ukraine d'un accord sur l'utilisation de la base d'Alcantara pour le lancement de satellites avec des fusées ukrainiennes.

Si le directeur de l'agence spatiale ukrainienne, Valery Komarov, a assuré que l'accident ne remettrait pas en cause l'accord bilatéral, l'un des directeurs de programmes d'Alcantara, Rogerio Largman, estime néanmoins que la "tragédie pourra avoir un effet terrible sur le plan international".

Ambitions militaires

Les problèmes du site d'Alcantara secouent aussi les ambitions militaires du Brésil. Si de nos jours le Brésil a officiellement renoncé à ses programmes de missiles balistiques -développés par la dictature militaire dans les années 1980 sous prétexte notamment d'une tension avec l'Argentine- il reste néanmoins capable d'en fabriquer. Des experts estiment que le VLS lui-même pourrait lancer 500 kg à 5000 km.

D'autres experts relèvent que le combustible solide -comme celui du VLS qui a explosé- est habituellement utilisé dans les missiles et fusées militaires. La combustion d'un carburant solide est intense et rapide. Celle d'un liquide, comme dans les fusées Ariane, est plus lente, mais élargit les possibilités de contrôle.

Par ailleurs, le Brésil possède des moyens nucléaires civils suffisants pour réaliser des armes atomiques. Il a été classé par l'Institut du Pacifique comme l'un des pays qui, comme l'Argentine et l'Afrique du Sud, "ont la capacité (de mettre au point l'arme nucléaire) et avaient pris des dispositions pour la posséder, mais y ont renoncé."

L'adhésion du Brésil, en 1990, au Traité de non prolifération des armes nucléaires, avait été critiquée par Luiz Inacio Lula da Silva pendant la campagne précédant son élection, en octobre 2002, à la présidence de la République fédérale.

Ovationné à l'Ecole supérieure de guerre de l'armée par 400 officiers, dont cinq ex-ministres de la dictature militaire (1964-1985), Lula estimait alors que le Traité de non prolifération "n'aurait de sens que si tous les pays possédant des armes nucléaires les détruisaient, mais, dans l'état actuel, il n'est qu'un obstacle au développement militaire des pays plus pauvres". Et Lula d'insister: "Nous autres, les pays en développement, nous restons avec un lance-pierre, tandis qu'eux ont des bombes atomiques".

Dans ce contexte, le nouvel accord ukraino-brésilien pour l'utilisation du site de lancement d'Alcantara conduit à rappeler que l'Ukraine est l'une des principales puissances militaires nucléaires de la planète. Elle a hérité d'armes de destruction massive de l'ancienne Union soviétique, dont elle était un territoire stratégique.

Puissance politique

Que ce soit pour accéder au club restreint des puissances spatiales ou/et pour conserver la capacité de développer, le cas échéant, des armes dissuasives non conventionnelles, le site d'Alcantara participe de l'ambition globale de puissance du Brésil. Une ambition non seulement économique et militaire, mais aussi politique.

De taille continentale, ayant des frontières communes avec quasi tous les pays d'Amérique du Sud (sauf avec le Chili et l'Equateur), le Brésil -170 millions d'habitants- se considère comme le leader naturel du sous-continent sud-américain.

Dominant le Mercosur (marché commun régional incluant aussi l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay), le Brésil du président Lula veut l'élargir à d'autres pays et créer, à l'image de l'Union européenne, un parlement du Mercosur et une monnaie et une politique extérieures communes unissant les pays membres.

Le Brésil jouerait alors en Amérique du Sud un rôle comparable à celui de la France et de l'Allemagne réunies en Europe. Dans l'immédiat, Brasilia est le principal contrepoids aux prétentions des Etats-Unis dans le cadre de la négociation de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou, en espagnol, ALCA) que le président américain George W. Bush veut mettre en place dès 2005, de l'Alaska à la Terre de Feu.

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