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Repentir opportuniste pour amortir le choc d'un prochain rapport explosif?

Chili: mea-culpa historique de l'armée... avant 35.000 accusations de torture!

Soldats chiliens - Photo Ejercito de Chile
SANTIAGO DU CHILI , dimanche 7 novembre 2004 (LatinReporters.com) - Avant la prochaine publication d'un rapport sur la torture accablant pour l'armée chilienne, son commandant en chef, le général Juan Emilio Cheyre, fait un opportun mea-culpa historique visant peut-être à amortir le choc que provoquera l'accusation de 35.000 cas de torture. Le général admet pour la première fois la responsabilité de l'armée, en tant qu'institution, dans la violation des droits de l'homme sous la dictature du général Pinochet (1973-1990), alors que ce dernier tente d'échapper à un nouveau procès.

Jusqu'à présent, la thèse "d'excès individuels" et de "faits isolés" exemptait l'institution militaire en tant que telle de responsabilité dans les crimes de la dictature, dont le bilan officiel est de 3.190 morts et disparus. Le général Cheyre brise définitivement cette argumentation. "L'armée du Chili a pris la dure mais irréversible décision d'assumer les responsabilités qui, en tant qu'institution, lui reviennent dans les faits punissables et moralement inacceptables du passé" écrit-il dans un document intitulé "Armée du Chili: la fin d'une vision".

La théorie de la culpabilité individuelle d'exécutants était encore brandie en septembre dernier par le général Pinochet devant le juge Juan Guzman Tapia, qui l'interrogeait pour déterminer ses responsabilités dans l'Opération Condor, élaborée dans les années 1970 et 1980 par les dictatures sud-américaines pour éliminer leurs opposants. "Ce n'était pas mon problème. J'étais président et en-dessous il y avait les services de renseignement, qui dépendaient de responsables intermédiaires" affirmait l'ex-dictateur.

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Le chef de l'armée venant d'enfoncer cette ligne de défense, c'est sur sa santé vacillante -il aura 89 ans le 25 novembre- qu'Augusto Pinochet devra à nouveau compter pour se soustraire une fois de plus à la justice.

Publié vendredi par le quotidien La Tercera, le mea-culpa institutionnel du général Cheyre était aussitôt reproduit par l'ensemble des médias. Le site internet de l'armée (www.ejercito.cl) le diffuse également.

Le général y regrette que l'armée ait pris dans le passé des décisions centrées "sur une optique propre à la Guerre froide... menant à la radicalisation et à l'imposition d'une logique de confrontation, qui aboutit à accepter comme légitimes tous les procédés et moyens de lutte... Une vision qui conduisit à la compréhension de la politique à partir d'une perspective qui considérait comme ennemis ceux qui n'étaient que des adversaires et [qui conduisit aussi] à la réduction du respect des personnes, de leur dignité et de leurs droits."

"Dans ce contexte, poursuit le commandant en chef, l'armée a agi avec la certitude absolue que sa conduite était juste et qu'elle défendait le bien commun général de la majorité des citoyens".

Mais le général Cheyre ajoute aussitôt: "Le scénario de conflit global [découlant de la Guerre froide] excuse-t-il les violations des droits humains au Chili? Ma réponse est unique et sans équivoque: non. Les violations des droits humains ne peuvent jamais avoir pour quiconque une justification éthique".

Le président chilien, le socialiste Ricardo Lagos, ainsi que la plupart des éditorialistes ont qualifié "d'historique" l'acceptation par le général Cheyre d'une responsabilité institutionnelle de l'armée.

Du Brésil, où il participait au sommet du Groupe de Rio, le président Lagos déclarait vendredi, avec "satisfaction et orgueil", que "cette nouvelle vision est la continuation d'un processus de changement graduel lié à la modernisation institutionnelle et démocratique du Chili".

Du côté de l'opposition, le sénateur Andres Chadwick, vice-président de l'Union démocrate indépendante (UDI, parti dominant au sein de la droite) croit que le général Cheyre a mis en valeur "des antécédents qui nous permettent de pondérer avec un juste équilibre les situations vécues dans le passé". Une référence probable à l'ancien contexte mondial de Guerre froide rappelé par le commandant en chef de l'armée.

Quant aux familles des victimes de la dictature, elles demeurent sceptiques. Elles ignorent si le mea-culpa de l'armée permettra ou non à la justice de progresser dans les multiples enquêtes sur les plus de trois mille assassinats ou disparitions imputés au régime militaire de Pinochet, d'autant plus que tous les secteurs des forces armées ne s'estiment pas concernés par le mea-culpa.

Selon le Rapport Valech, la torture fut une politique systématique des forces armées

Selon des sources militaires citées par le journal La Tercera, qui publia en primeur le document du général Cheyre, "l'objectif central" du mea-culpa institutionnel du chef de l'armée serait de réduire l'impact du rapport de la Commission nationale sur la détention politique et la torture, élaboré sous la direction de l'évêque catholique Sergio Valech.

Ce Rapport Valech sur la torture, comme le surnomment les médias, sera remis au président Lagos le 10 novembre. Il établit que l'application de la torture fut une politique systématique des forces armées, marine et aviation y compris, pendant les 17 années de dictature du général Pinochet.

Le rapport relève près de 35.000 cas de torture. Il dresse une véritable carte des centres, parfois clandestins, de détention et de torture. Il mentionne les noms ou numéros de régiments, d'unités militaires, de commissariats, de camps de prisonniers et même de bateaux impliqués dans la politique systématique de torture.

Parmi les méthodes de torture les plus utilisées, le Rapport Valech cite les exécutions simulées, les décharges électriques, les brûlures à la cigarette, au chalumeau ou à l'acide, l'arrachement des ongles, les abus sexuels, l'immersion de la tête dans l'eau ou dans l'huile, les coups sur les oreilles jusqu'à éclatement des tympans et l'obligation d'assister à la torture d'autres détenus.

La stratégie d'amortissement de l'impact sur l'opinion publique de ce rapport explosif aurait été exposée par le général Cheyre, avant son son mea-culpa institutionnel, au président Lagos et aux chefs des autres secteurs des forces armées. Sans s'y déclarer hostiles, les responsables de la marine et de l'aviation ne s'y sont pas associés. Le corps des carabiniers non plus.

Pour des raisons d'agenda diplomatique et afin de mieux en évaluer les effets politiques, le président Lagos souhaiterait ne pas diffuser avant décembre le Rapport Valech, qui lui sera remis mercredi prochain. Les éléments déjà diffusés par la presse de Santiago montrent qu'il sera difficile, voire suspect, de maintenir le secret aussi longtemps.

La diffusion officielle du Rapport Valech sur la torture devrait être suivie de l'élaboration d'un projet de loi visant à indemniser économiquement les victimes ou leurs proches.

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