Equateur : " capitalisme " et " eurocentrisme " sont les cibles du mouvement indien
Le tiers des 12,5 millions d’Equatoriens sont indiens et la CONAIE affirme représenter les trois quarts d’entre eux. C’est à l’appel de cette puissante CONAIE que des milliers d’Indiens coupèrent en février dernier, pendant dix jours, les grands axes routiers de l’Equateur, saccageant même un aéroport régional, des installations de dépuration d’eau et des transformateurs électriques. On dénombra sept morts et plus de cent blessés. Les pénuries alimentaires furent sévères et les pertes économiques incalculables. Cette révolte répondait à la hausse de 100% des prix des combustibles et de 75% des tarifs des transports publics. Le calme ne revint qu’après la réduction du prix du gaz et l’adoption d’un agenda de négociations politiques entre le gouvernement et la CONAIE. Ces négociations n’ont encore produit aucun résultat. Outre le développement des communautés indiennes, elles portent en principe aussi sur des thèmes de politique nationale tels que la fiscalité, la présence militaire américaine et l’aide aux émigrés. A Quito, des éditorialistes estiment qu’un tel agenda offre à la CONAIE un pouvoir parallèle anticonstitutionnel. En janvier 2000, une autre révolte indienne menée par la CONAIE, alliée à des militaires putschistes, fit tomber le président Jamil Mahuad. Aujourd’hui, nombre d’observateurs équatoriens et internationaux s’interrogent sur les objectifs à long terme de la CONAIE, dont l’action présente une continuité forçant l’analyse. En remontant à 1993, on découvre l’ambition proclamée des Indiens équatoriens de " récupérer l’espace politique usurpé en 1492 " (année de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb). La " Déclaration politique des peuples indiens de l’Equateur " adoptée en décembre 1993 dénonce en effet " cinq siècles de colonialisme et d’oppression républicaine " et prône la transformation de " l’Etat uninational bourgeois " équatorien en un " Etat multinational " libéré des " relents coloniaux " et de " l’eurocentrisme ". Cette déclaration politique couronna le 4e congrès de la CONAIE. " Nous luttons frontalement, affirme la déclaration, contre le capitalisme économique, politique et idéologique ". Elle précise ensuite que " l’Etat multinational ", qui permettrait enfin aux Indiens de participer à la direction du pays, devrait promouvoir une " société communautaire… différente de l’hypocrite démocratie représentative actuellement en vigueur ". Dénonçant encore le " joug inhumain de la civilisation occidentale ", la déclaration indienne de 1993, que la CONAIE n’a jamais reniée depuis, appelle tous les Equatoriens " oppressés " et " exploités " à rallier le " processus de libération ". Un tel appel avait été entendu en janvier 2000, lorsque plusieurs dizaines d’officiers s’allièrent à l’actuel président de la CONAIE, Antonio Vargas, pour écarter le président Jamil Mahuad et contrôler brièvement le pays avant que le général Mendoza, l’un des putschistes, ne se ravise et remette le pouvoir à Gustavo Noboa, à l’époque vice-président. En mal de revanche sur l’histoire, mais aussi principales victimes de la crise économique dans un pays où l’inflation galopait à 91% l’an dernier, les Indiens équatoriens ont donc peu de goût pour la démocratie de type occidental. Les intégrer davantage à cette démocratie désamorcerait les risques d’une explosion peut-être un jour incontrôlable. Ce n’est qu’en 1996 que les Indiens de l’Equateur entrèrent pour la première fois dans le jeu démocratique. Leur mouvement Pachakutik (Nouvelle aube), créé un an auparavant, obtenait alors sept députés provinciaux et un député national. L’année dernière, il remportait 33 mairies.
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