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Equateur - Châtiments corporels sur l’altiplano andin: justice indienne et justice des blancs

par Philippe Herriau

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QUITO, mardi 20 mai 2003 (LatinReporters.com) - Ce matin-là, Elena, à moitié dénudée, est fouettée en place publique. Son bourreau a le visage dissimulé par une cagoule. “Qui es-tu, d’où viens-tu, que faisais-tu sur notre territoire ?” crie-t-il. Elena sanglote sous les coups, puis s’agenouille et, le visage tourné vers son bourreau, les mains jointes, elle implore le pardon. Une partie de la population hurle son soutien au bourreau, mais la grande majorité se contente d’approuver en conservant un silence épais. Plus tard, Elena et sa compagne Paola sont aspergées d’essence et menacées d’immolation. On les fouette à l’aide d’orties et, enfin, on les baigne dans de l’eau glacée. Voilà deux jours qu’elle subissent ce châtiment, décidé par l’assemblée des chefs de 18 communautés indigènes. La scène se passe à 150 km au sud de Quito, dans le village de Salasaca.

Leur crime ? Avoir tenté d’escroquer un commerçant indigène en lui proposant d’échanger un billet de loterie falsifié contre de la marchandise.

Ce cas de justice parallèle sur les hauts plateaux équatoriens n’est pas isolé ; ce serait le dixième depuis le début de l’année. En fait, cela fait environ dix ans que certaines communautés indiennes rendent ainsi leur justice. Un code oral des peines existe. Des tribunaux ont été construits. Des cachots aussi. Il y a des juges… Et il y a des bourreaux.

Les chefs évoquent des traditions pluri-séculaires : “Nous appliquons nos lois car nous ne croyons pas en la justice commune”. Dans ces communautés, on raconte que meurtriers et violeurs ne passent pas plus de six mois dans les prisons d’Etat avant de retrouver leur liberté. Les Indigènes, eux, croient que leur justice est plus efficace et plus dissuasive. A cela, les juges officiels répondent que de tels actes relèvent de l’auto-justice et sont donc constitutionnellement interdits.

L’opinion publique non-indigène estime que la police devrait avoir un meilleur contrôle du territoire. D’autant plus que ces châtiments peuvent durer, au vu et au su de tous, deux à trois jours avant que les “coupables” ne soient éventuellement  remis aux forces de l’ordre. Toutefois, chacun sait aussi que, dans ces communautés plutôt fermées, la police, craignant de violentes réactions, n’intervient qu’avec beaucoup de précaution.

Au-delà de l’aspect tristement spectaculaire de ces procès et au-delà des raisons des uns et des autres, il faut rappeler un contexte historique particulier. L’Equateur a été colonisé pendant près de trois siècles par l’Espagne. Son indépendance a été obtenue par la rébellion des Espagnols y résidant contre ceux représentant le pouvoir madrilène. On peut dire que ce sont des blancs qui ont mis dehors d’autres blancs, que ce sont des Espagnols qui en ont remplacé d’autres. Un pays comme l’Equateur, surtout dans sa partie andine, reste marqué par cette réalité. Aujourd’hui encore, il y a la justice des blancs et la justice des indigènes. La justice “légale” et “l’illégale”. Ou vice-versa, selon le point de vue.

L’évolution de la conception politique a donné des droits spécifiques aux peuples natifs. Ainsi, la dernière Constitution dont s’est doté l’Equateur en 1998 précise en son article 181 : “...Les autorités des peuples indigènes exercent des fonctions de justice en appliquant des normes et des procédés qui leur sont propres dans le but de solutionner des conflits internes et ceci en conformité avec leurs coutumes ou leurs droits ancestraux à la condition qu’ils ne soient contraires à la Constitution et aux lois. La loi organisera la compatibilité de ces fonctions avec le système judiciaire national.”

Cette reconnaissance constitutionnelle, au même titre que le droit de préserver leur identité ou de parler leur langue, autoriserait les Indiens à châtier. Reste la question de l’organisation et du contrôle d’une telle justice. Or, il semblerait qu’en ce domaine, les pouvoirs publics équatoriens n’aient pas, volontairement ou non, fait tout ce qu’ils auraient dû faire. Dans un tel contexte, certains indigènes n’hésitent pas, au risque d’enfreindre la loi, de pratiquer leur propre justice

La volonté de retrouver ou de préserver une identité jusque dans des traditions judiciaires peut être compréhensible. En revanche, les flagellations en place publique, si manifestement contraires aux droits de l’homme, ne sont certainement pas le meilleur moyen pour convaincre de la légitimité d’une telle justice.

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