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Constitution violée pour briguer à nouveau la présidence
Nicaragua - "Coup d'Etat" du président Ortega? Silence international

Par Christian GALLOY

MANAGUA / MADRID, jeudi 22 octobre 2009 (LatinReporters.com) - "Coup d'Etat: conquête ou tentative de conquête du pouvoir par des moyens illégaux, inconstitutionnels". Cette définition du Petit Robert concerne peut-être l'actuel président du Nicaragua, le sandiniste Daniel Ortega. Il tente déjà de (re)conquérir le pouvoir à l'élection présidentielle de 2011 en violant dès à présent la Constitution de son pays. Le silence international sur ce scandale contraste avec la clameur entourant la crise au Honduras, qui a une origine comparable.

L'ambition de continuité à la tête de "révolutions" qui se proclament "démocratiques" et "irréversibles", deux adjectifs pouvant se révéler bientôt contradictoires, anime autant Daniel Ortega que ses homologues et alliés de la gauche radicale, Hugo Chavez (Venezuela), Evo Morales (Bolivie), Rafael Correa (Equateur) et Manuel Zelaya (Honduras).

Les présidents Chavez, Morales et Correa ont assuré leur droit à la réélection future, laquelle dépendra tout de même théoriquement des électeurs, par des référendums entérinant des refontes constitutionnelles. La mobilisation des institutions publiques, y compris l'armée, au service exclusif du pouvoir lors des campagnes référendaires a entaché, mais non délégitimé le processus.

Au Honduras, ce type de référendum est prohibé par la Charte suprême, comme d'ailleurs toute initiative visant à permettre la réélection présidentielle. Prétendant passer outre en convoquant illégalement les électeurs, ce qui était en soi une tentative de coup d'Etat correspondant à la définition du Petit Robert, le président hondurien Manuel Zelaya s'est fait défenestrer le 28 juin dernier par l'armée sur ordre de la Cour suprême de justice avalisé par le Parlement. Le coup d'Etat du Honduras, si l'on admet comme la communauté internationale que la défenestration présidentielle en était un, en a donc brisé un autre dans l'oeuf.

Daniel Ortega, lui, a par rapport à Manuel Zelaya l'énorme avantage de contrôler apparemment l'armée, puisqu'elle ne dit mot, et la justice, devenue l'instrument de son nouveau coup contre l'Etat.

L'article 147 de la Constitution nicaraguayenne stipule que ne peuvent être candidats à la présidence ni le président sortant ni celui qui a déjà exercé deux mandats présidentiels. Ayant présidé le régime sandiniste de 1979 à 1990 et vu aussi sa nouvelle élection en novembre 2006 pour son mandat actuel de 5 ans, Daniel Ortega est en principe frappé du double interdit constitutionnel pour la présidentielle de 2011.

Une révision de la Constitution était la voie légale pour surmonter cette barrière. Mais toute révision partielle de la Charte suprême doit être, aux termes de son article 194, entérinée à l'Assemblée nationale du Nicaragua par une majorité de 60% des députés (56 sur 92), que les sandinistes tentèrent en vain de réunir.

Daniel Ortega, conseillé par son ami personnel Rafael Solis, vice-président de la Cour suprême de justice, porta alors le dossier devant la chambre constitutionnelle de cette haute juridiction. Mais au lieu d'interpréter la Constitution, la Cour suprême la mutila purement et simplement le 19 octobre, déclarant "inapplicable" son article 147 et ordonnant au Conseil suprême électoral de permettre au leader sandiniste de briguer à nouveau la présidence en 2011.

"Abus de pouvoir" avec "embuscade"

Les juges ont estimé que les barrières posées par la Loi fondamentale à la réélection présidentielle enfreignaient le principe d'égalité des citoyens, puisque les parlementaires, eux, peuvent se représenter indéfiniment. Mais ce verdict révise de fait la Constitution, ignorant l'exclusivité réservée constitutionnellement en la matière au pouvoir législatif.

Dénonçant cet "abus de pouvoir", le constitutionnaliste et ex-président de l'Assemblée nationale Cairo Manuel Lopez estime que "les magistrats sont sortis du cadre de leur compétence, se convertissant en législateurs et en Constituante".

Selon Daniel Ortega, l'assentiment exprimé par le Conseil suprême électoral fait de la décision de la Cour suprême de justice un verdict "sans appel" possible. Sur le Canal 4 de télévision, propriété de la famille Ortega, le député sandiniste Edwin Castro a célébré cette "victoire du peuple".

Mais outre le mépris des prérogatives de l'Assemblée nationale, le scandale est alimenté aussi par la composition même de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême qui a statué. Elle comprend d'ordinaire six magistrats, trois sandinistes et trois libéraux. N'ayant pas été convoqués, sans doute à dessein, les trois juges libéraux ne purent pas siéger et ils furent remplacés par ... trois suppléants sandinistes! C'est donc à l'unanimité de six magistrats idéologiquement acquis à Daniel Ortega qu'a été pavé son droit supposé à la continuité présidentielle.

Le propre président de la Cour suprême de justice, Manuel Martinez, s'est déclaré surpris de pareille "embuscade" et a reproché aux six membres sandinistes de la chambre constitutionnelle leur "irrespect complet de la Constitution".

Le libéral Eduardo Montealegre, principal adversaire de Daniel Ortega à la présidentielle de 2006, appelle pour sa part "la société civile et la communauté internationale à rejeter ce coup d'Etat".

Candidat aussi en novembre 2008 à la mairie de Managua, capitale du Nicaragua, Eduardo Montealegre avait attribué sa défaite municipale face au candidat sandiniste et les revers d'autres candidats libéraux dans l'ensemble du pays à une vaste fraude organisée par le pouvoir. Cette fraude supposée a été dénoncée également par l'Eglise et de nombreuses ONG, ainsi que par les Etats-Unis et l'Union européenne, qui ont depuis gelé partiellement leur coopération avec le régime sandiniste de Daniel Ortega.

Quasi généralisée en Amérique latine jusqu'au début des années 90 du siècle dernier, l'interdiction constitutionnelle de la réélection présidentielle, considérée parfois comme l'antidote d'aventures dictatoriales, est depuis battue en brèche dans de nombreux pays de la région, la plupart gouvernés par la gauche. Mais même le président conservateur de la Colombie, Alvaro Uribe, briguera peut-être en 2010 un troisième mandat consécutif si aboutit une nouvelle révision constitutionnelle prônée par ses partisans.

On en déduirait que la réélection présidentielle n'est ni de gauche ni de droite. L'essentiel est qu'elle suive une voie constitutionnelle et démocratique. Ce n'est pas celle choisie par Daniel Ortega et des doutes entourent celle empruntée par Alvaro Uribe.



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