L'ambition de continuité à la tête de "révolutions"
qui se proclament "démocratiques" et "irréversibles", deux
adjectifs pouvant se révéler bientôt contradictoires,
anime autant Daniel Ortega que ses homologues et alliés de la gauche
radicale, Hugo Chavez (Venezuela), Evo Morales (Bolivie), Rafael Correa (Equateur)
et Manuel Zelaya (Honduras).
| |
| "Unité totale contre la dictature d'Ortega" titre le 22 octobre 2009
le prestigieux journal indépendant nicaraguayen La Prensa. |
|
Les présidents Chavez, Morales et Correa ont assuré leur droit
à la réélection future, laquelle dépendra tout
de même théoriquement des électeurs, par des référendums
entérinant des refontes constitutionnelles. La mobilisation des institutions
publiques, y compris l'armée, au service exclusif du pouvoir lors
des campagnes référendaires a entaché, mais non délégitimé le processus.
Au Honduras, ce type de référendum est prohibé par la
Charte suprême, comme d'ailleurs toute initiative visant à permettre
la réélection présidentielle. Prétendant passer
outre en convoquant illégalement les électeurs, ce qui était
en soi une tentative de coup d'Etat correspondant à la définition
du Petit Robert, le président hondurien Manuel Zelaya s'est fait défenestrer
le 28 juin dernier par l'armée sur ordre de la Cour suprême
de justice avalisé par le Parlement. Le coup d'Etat du Honduras, si
l'on admet comme la communauté internationale que la défenestration
présidentielle en était un, en a donc brisé un autre dans l'oeuf.
Daniel Ortega, lui, a par rapport à Manuel Zelaya l'énorme
avantage de contrôler apparemment l'armée, puisqu'elle ne dit
mot, et la justice, devenue l'instrument de son nouveau coup contre l'Etat.
L'article 147 de la
Constitution nicaraguayenne stipule
que ne peuvent être candidats à la présidence ni le président sortant ni
celui qui a déjà exercé deux mandats présidentiels.
Ayant présidé le régime sandiniste de 1979 à
1990 et vu aussi sa nouvelle élection en novembre 2006 pour son mandat actuel de 5 ans,
Daniel Ortega est en principe frappé du double
interdit constitutionnel pour la présidentielle de 2011.
Une révision de la Constitution était la voie légale
pour surmonter cette barrière. Mais toute révision partielle de la Charte
suprême doit être, aux termes de son article 194, entérinée
à l'Assemblée nationale du Nicaragua par une majorité
de 60% des députés (56 sur 92), que les sandinistes tentèrent en vain de
réunir.
Daniel Ortega, conseillé par son ami personnel Rafael Solis, vice-président
de la Cour suprême de justice, porta alors le dossier devant la chambre
constitutionnelle de cette haute juridiction. Mais au lieu d'interpréter
la Constitution, la Cour suprême la mutila purement et simplement le
19 octobre, déclarant "inapplicable" son article 147 et ordonnant au
Conseil suprême électoral de permettre au leader sandiniste
de briguer à nouveau la présidence en 2011.
"Abus de pouvoir" avec "embuscade"
Les juges ont estimé que les barrières posées par
la Loi fondamentale à la réélection présidentielle
enfreignaient le principe d'égalité des citoyens, puisque les
parlementaires, eux, peuvent se représenter indéfiniment. Mais
ce verdict révise de fait la Constitution, ignorant
l'exclusivité réservée constitutionnellement en la matière
au pouvoir législatif.
Dénonçant cet "abus de pouvoir", le constitutionnaliste et
ex-président de l'Assemblée nationale Cairo Manuel Lopez estime
que "les magistrats sont sortis du cadre de leur compétence, se convertissant
en législateurs et en Constituante".
Selon Daniel Ortega, l'assentiment exprimé par le Conseil suprême
électoral fait de la décision de la Cour suprême de justice
un verdict "sans appel" possible. Sur le Canal 4 de télévision,
propriété de la famille Ortega, le député sandiniste
Edwin Castro a célébré cette "victoire du peuple".
Mais outre le mépris des prérogatives de l'Assemblée
nationale, le scandale est alimenté aussi par la composition même
de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême qui a statué.
Elle comprend d'ordinaire six magistrats, trois sandinistes et trois libéraux.
N'ayant pas été convoqués, sans doute à dessein, les
trois juges libéraux ne purent pas siéger et ils furent remplacés
par ... trois suppléants sandinistes! C'est donc à l'unanimité de six magistrats
idéologiquement acquis à Daniel Ortega qu'a été
pavé son droit supposé à la continuité présidentielle.
Le propre président de la Cour suprême de justice, Manuel
Martinez, s'est déclaré surpris de pareille "embuscade" et a reproché aux
six membres sandinistes de la chambre constitutionnelle leur "irrespect complet de la Constitution".
Le libéral Eduardo Montealegre, principal adversaire de Daniel Ortega
à la présidentielle de 2006, appelle pour sa part "la société
civile et la communauté internationale à rejeter ce coup d'Etat".
Candidat aussi en novembre 2008 à la mairie de Managua, capitale du
Nicaragua, Eduardo Montealegre avait attribué sa défaite municipale
face au candidat sandiniste et les revers d'autres candidats libéraux
dans l'ensemble du pays à une vaste
fraude
organisée par le pouvoir. Cette fraude supposée a été
dénoncée également par l'Eglise et de nombreuses ONG, ainsi que par les
Etats-Unis et l'Union européenne, qui ont depuis gelé partiellement leur
coopération avec le régime sandiniste de Daniel Ortega.
Quasi généralisée en Amérique latine jusqu'au
début des années 90 du siècle dernier, l'interdiction
constitutionnelle de la réélection présidentielle, considérée
parfois comme l'antidote d'aventures dictatoriales, est depuis battue
en brèche dans de nombreux pays de la région, la plupart gouvernés
par la gauche. Mais même le président conservateur de la Colombie,
Alvaro Uribe, briguera peut-être en 2010 un troisième mandat
consécutif si aboutit une nouvelle révision constitutionnelle
prônée par ses partisans.
On en déduirait que la réélection présidentielle n'est ni de gauche ni de
droite. L'essentiel est qu'elle suive une voie constitutionnelle et démocratique.
Ce n'est pas celle choisie par Daniel Ortega et des doutes entourent celle
empruntée par Alvaro Uribe.