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L'ex-guérillero sandiniste élu grâce à la division de la droite majoritaire
Nicaragua - Daniel Ortega président: néosandinisme entre Chavez et Bush
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"La Maison blanche disposée à travailler avec Ortega" titre le journal nicaraguayen El Nuevo Diario sous une photo de Daniel Ortega (à droite) félicité par son adversaire libéral Eduardo Montealegre |
par Christian Galloy
Analyste politique Directeur de LatinReporters
MANAGUA / MADRID, mercredi 8 novembre 2006 (LatinReporters.com) - Retrouvant
avec 38% des suffrages aux élections du 5 novembre la présidence du Nicaragua qu'il
avait perdue en 1990, l'ex-chef guérillero sandiniste Daniel Ortega, maudit à
Washington, doit sa victoire à la division d'une droite libérale,
majoritaire en voix et au Parlement. Le néosandinisme devra donc naviguer
avec prudence entre l'amitié de Fidel Castro et d'Hugo Chavez et l'aversion
de George W. Bush.
Au fil des élections générales, simultanément
présidentielles et législatives, convoquées les douze
derniers mois dans dix pays d'Amérique latine, l'axe radical "anti-impérialiste"
des présidents cubain Fidel Castro et vénézuélien
Hugo Chavez a été renforcé par la Bolivie de l'Amérindien
Evo Morales et d'une manière moins nette aujourd'hui par le Nicaragua
de Daniel Ortega.
Plutôt que deux, cela fait une victoire et demie
sur dix élections pour les partisans d'une hostilité militante
contre les Etats-Unis. Les autres pays gouvernés par la gauche en
Amérique latine observent globalement, malgré des débordements
passagers de l'Argentine de Nestor Kirchner, une modération propre à
la social-démocratie.
Fidel Castro et Hugo Chavez ont félicité Daniel Ortega. "Cher
Daniel, cette grande victoire sandiniste remplit notre peuple de joie et
discrédite le gouvernement américain terroriste et génocidaire",
a dit le leader cubain dans un message lu par un journaliste à la télévision.
Le président vénézuélien s'est pour sa part réjoui
que "les peuples se lèvent à nouveau" et de "l'union des révolutions sandiniste
et bolivarienne pour construire le socialisme du 21e siècle".
A Washington, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale,
Gordon Johndroe, a affirmé -ou prévenu- que "les Etats-Unis
vont travailler avec les leaders du peuple nicaraguayen sur la base de leurs
engagements et de leurs actions en faveur du futur démocratique du
Nicaragua".
Témoin, le 29 avril dernier à La Havane, de la signature d'un
"Traité commercial des peuples"
marquant l'adhésion de la Bolivie
à l'ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques) d'Hugo
Chavez et Fidel Castro, Daniel Ortega promettait alors de rallier à
son tour l'ALBA s'il gagnait l'élection présidentielle du 5
novembre au Nicaragua.
Au Parlement monocaméral nicaraguayen, l'Assemblée nationale,
le CAFTA (Central American Free Trade Agreement) avait pourtant déjà
été ratifié par les députés sandinistes,
de concert avec la droite libérale. Cet accord de libre-échange
signé en 2004 entre les Etats-Unis et cinq pays d'Amérique
centrale (plus aussi la République dominicaine) a relancé la
croissance au Nicaragua, pays de 5,6 millions d'habitants, le plus pauvre
de l'hémisphère occidental après Haïti. A Managua,
la capitale, Daniel Ortega réaffirmait le 6 novembre à l'ex-président
américain Jimmy Carter qu'il respectera ce traité de libre-échange
et la liberté d'entreprise.
Il serait intéressant d'examiner comment Daniel Ortega ferait, s'il
franchit le pas, cohabiter ALBA et libre-échange avec les Etats-Unis,
alors qu'Hugo Chavez claquait bruyamment, en avril dernier, la porte de la
Communauté andine des nations (CAN) sous prétexte des accords
de libre-échange conclus avec Washington par la Colombie et le Pérou.
Le mot "nationalisation" ignoré
Sous les notes de "Give a chance to peace" du regretté John Lennon,
prônant la "réconciliation" et un "amour" quasi biblique tant
il invoquait "Dieu qui nous donne la force de l'esprit", faisant voter par
les députés sandinistes l'abolition de l'avortement et enfin
marié avec sa compagne et mentor Rosario Murillo pour ne plus vivre
dans le péché, l'ex-chef guérillero marxiste Daniel
Ortega (il aura 61 ans le 11 novembre) n'a pas prononcé le mot "nationalisation"
pendant la campagne électorale.
Il sera secondé à la vice-présidence par Jaime Morales
Carazo, ... ex-banquier et ex-membre de la "Contra"!, la contre-révolution
financée et armée par Washington pendant une guerre civile
contre le régime sandiniste présidé de 1979 à
1990 par Daniel Ortega.
Avec l'aide de Cuba et de l'Union soviétique, les guérilleros
sandinistes avaient balayé la dictature pro-américaine d'Anastasio
Somoza pour établir la leur à coups de nationalisations, de confiscations de
propriétés, de fermetures de médias, d'enrôlement sous la
menace, d'hyperinflation et de rationnement. Le prix humain de l'enchaînement
révolution / contre-révolution, volet nicaraguayen de la guerre froide,
s'éleva à 30.000 morts.
Félicité mardi soir à Managua par son principal adversaire,
le libéral Eduardo Montealegre, Ortega lui a réaffirmé
publiquement que "le pays restera ouvert à tout type d'investissements,
qu'il faut encourager pour combattre la pauvreté et générer
des emplois, unis tous dans la réconciliation". Le vainqueur de la
présidentielle parle de "nouvelle culture politique". Le néosandinisme
serait donc né et il est ardu, du moins aujourd'hui, d'y déceler
les accents bolivariens chers à Hugo Chavez et Fidel Castro.
Daniel Ortega sera investi le 10 janvier 2007 pour un mandat de cinq ans.
Il retrouve la présidence après 16 ans d'opposition malgré
son net recul par rapport à 2001, lorsqu'il avait été
battu pour la 3e fois consécutive à l'élection présidentielle,
son score de 42,3% étant alors éclipsé par les 56,3% du libéral
Enrique Bolaños, élu au premier tour.
A la présidentielle du 5 novembre dernier, Daniel Ortega, leader du
Front sandiniste de libération nationale (FSLN), a séduit 38%
des électeurs nicaraguayens, selon les résultats officiels
quasi définitifs. Le favori du patronat et des Etats-Unis, Eduardo
Montealegre (Alliance libérale nicaraguayenne, ALN, droite), est 2e
avec 29%. José Rizo (Parti libéral constitutionnaliste, PLC,
droite) obtient 26,2% et se classe 3e. La 4e place revient avec 6,4% à
Edmundo Jarquin (Mouvement de rénovation sandiniste, MRS, dissidence
du FSLN). Enfin, le légendaire Comandante Cero de la révolution
sandiniste, mais aussi plus tard chef de la Contra, Eden Pastora (Alternative
pour le Changement, AC) mord la poussière avec 0,27% des suffrages.
Majoritaire si l'on additionne les scores des candidats de l'ALN et du PLC,
la droite libérale perd à cause de sa récente
division la présidence qu'elle assumait depuis 1990. Les efforts de
Washington pour tenter de réunifier la droite nicaraguayenne n'ont
pas abouti.
Les élections législatives concomitantes de la présidentielle
du 5 novembre confirment que le Nicaragua reste sociologiquement ancré
à droite. Selon les projections, le FSLN de Daniel Ortega n'obtiendrait
que 37 des 90 députés de l'Assemblée nationale, contre
49 à l'ensemble des deux composantes antagonistes de la droite libérale
divisée. Ce panorama devrait renforcer la prudence idéologique
du néosandinisme.
Le Pacto a divisé les partis et surtout la droite
Révisée en 2000 grâce au fameux et polémique Pacto
(pacte) entre le FSLN de Daniel Ortega et les libéraux du PLC qui
n'avait pas encore éclaté, la législation électorale
du Nicaragua prévoit qu'un candidat peut être déclaré
vainqueur de l'élection présidentielle s'il est en tête
au premier tour avec au moins 40% des voix (contre 45% auparavant) ou avec
un minimum de 35% et 5 points d'avance sur le concurrent le plus proche.
Sans cette dernière possibilité découlant de la révision,
Daniel Ortega aurait été contraint d'affronter lors d'un second
tour un candidat unique et probablement victorieux de la droite, dont les
électeurs se seraient naturellement rassemblés malgré
les frictions entre états-majors libéraux.
Dans le Pacto, que critique encore aujourd'hui l'Union européenne,
Daniel Ortega et le PLC de l'alors président libéral Arnoldo
Aleman se sont répartis nominations et influences au sein
des institutions politiques, judiciaires et électorales du Nicaragua.
Ce marchandage au sommet permet aujourd'hui à Arnoldo Aleman,
condamné à 20 ans de détention pour détournement de
plus de 50 millions de dollars et considéré par Transparency
International comme la 9e personnalité la plus corrompue de la
planète, de couler sa théorique privation de liberté
en arrêt domiciliaire dans le luxe de ses propriétés.
Le député libéral Miguel Lopez Baldizon prétend
que l'élection de Daniel Ortega permettra à Arnoldo Aleman
de bénéficier d'une grâce présidentielle. Adversaire
de l'ex-président libéral, le député croit en
outre que le FSLN et le PLC négocient déjà une alliance
parlementaire pour maintenir le Pacto.
Au-delà d'avantages politiques, le Pacto a servi à Daniel Ortega
de bouclier contre des accusations d'abus sexuels, d'enrichissement illégitime
et de massacre d'Indiens Misquitos au cours de la guerre civile.
C'est en réaction contre le Pacto que la droite s'est divisée,
l'ALN d'Eduardo Montealegre prétendant purifier la famille libérale
de la corruption du PLC, qu'Arnoldo Aleman contrôle toujours depuis sa
confortable captivité. Pour la même raison, un Mouvement de
rénovation sandiniste (MRS) s'est détaché du sandinisme
officiel de Daniel Ortega. Le décès inopiné, l'été
dernier, du leader charismatique du MRS, l'ex-maire de Managua Herty
Lewites, a fortement réduit le poids de cette dissidence.
Le secrétaire général de l'Organisation des Etats américains
(OEA), le Chilien José Miguel Insulza, estime que les élections
nicaraguayennes du 5 novembre se sont déroulées "conformément
à la loi" et il écarte l'éventualité de fraudes.
Dans son rapport préliminaire, la mission d'observation de l'Union
européenne (UE) relève néanmoins l'influence néfaste
du Pacto sur le scrutin, notamment quant à la politisation du Conseil
suprême électoral, dominé par le FSLN de Daniel Ortega
et dans une moindre mesure par le PLC. Cette politisation aurait détourné
le Conseil suprême électoral de son rôle d'arbitre impartial
du financement des partis et de l'équilibre de leur présence publicitaire dans les
médias.
Le rapport de l'UE déplore par ailleurs "des interférences
externes et des pressions non compatibles avec le respect de la souveraineté
nationale". Une allusion claire aux menaces sur l'aide au Nicaragua proférées
aux Etats-Unis par diverses personnalités qui mettaient en garde contre
le retour du "marxiste" Ortega. Une référence implicite aussi
aux engrais et pétrole que le Venezuela d'Hugo Chavez a fournis à
prix réduit pendant la campagne électorale non au Nicaragua en tant que tel,
mais bien aux organisations et institutions contrôlées par les sandinistes.
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