BUENOS AIRES, samedi 10 novembre 2012 (LatinReporters.com) - Au vu de la marée humaine qui a déferlé le 8 novembre
en Argentine contre la politique de la présidente Cristina Kirchner
(péroniste de gauche), le printemps austral prend des allures de "printemps
argentin", nourri en marge des partis politiques par les réseaux sociaux
de l'Internet, à l'instar du "printemps arabe", des Indignés
en Espagne, des anti-Wall Street aux États-Unis et des étudiants
anti-corruption au Mexique.
"Oui à la démocratie, non à
la réélection" lançaient jeudi soir des multitudes
de manifestants à Buenos Aires et dans d'autres grandes villes du
pays, dont Rosario (centre-est), Cordoba (centre), Mendoza ou Bariloche (ouest).
Ils dénonçaient aussi l'insécurité, la corruption,
le contrôle des changes ou "l'arrogance" attribuée à
la présidente et ses "mensonges" sur l'inflation. (En
2011, l'Argentine a déclaré une inflation de 9,5% mais les
instituts privés l'évaluent à 23%, voire 25%).
Élue en 2007, Mme Kirchner fut réélue
en octobre 2011. Certains parlementaires du parti péroniste proposent
une réforme de la Constitution pour lui permettre de se faire élire
une troisième fois en 2015. Plus de 80% de la population rejette cette
initiative, selon l'Institut Management & Fit, cité par l'AFP.
Le principal sujet d'inquiétude est l'insécurité (79,4%),
suivi de l'inflation (64%), note le même institut.
Des dizaines de milliers d'Argentins avaient déjà manifesté
à travers le pays au soir du 13 septembre dernier. L'ampleur de cette
première protestation convoquée via les réseaux sociaux
avait étonné, mais celle du 8 novembre l'a largement surpassée.
Des proches du gouvernement admettent que quelque 200.000 manifestants ont
défilé dans l'ensemble du pays. Réseaux sociaux et des
médias d'opposition parlent néanmoins de 700.000 protestataires
rien qu'à Buenos Aires.
"La présidente est en train de perdre le soutien d'une partie de la
classe moyenne qui a voté pour elle il y a un an", estime la politologue
Graciela Romer, interrogée par l'AFP. A cet égard, l'influent
analyste politique Rosendo Fraga s'étonne que le pouvoir utilise avec
mépris, pour disqualifier la mobilisation, l'expression "classe moyenne urbaine" dans un pays où
90% de la population est précisément urbaine, plus de 50% appartenant
en outre à la classe moyenne.
"Il y avait beaucoup de femmes et de jeunes" le 8 novembre, constate pour
sa part l'analyste Jorge Giacobbe. "C'est un mouvement hétérogène,
dont la base sociale s'est élargie par rapport au 13 septembre", ajoute-t-il.
La colère de la rue n'a pas de représentation institutionnelle
Cristina Kirchner traverse probablement l'un des moments les plus difficiles
depuis son arrivée au pouvoir. La croissance, 8% en moyenne jusqu'à
l'an dernier, devrait être réduite au moins de moitié
cette année à cause de la crise mondiale. La popularité
de la présidente est en forte baisse, à 30% environ, après
avoir obtenu 54% des voix lors de sa réélection dès
le premier tour, il y a seulement treize mois.
Mais l'opposition politique sera-t-elle capable de canaliser électoralement
l'actuel rejet spectaculaire de l'action gouvernementale ? Les élections
législatives de mi-parcours, en octobre 2013, donneront une première
réponse. Pour l'heure, sept Argentins sur dix critiquent aussi le
rôle de l'opposition, impuissante et atomisée. Et Cristina
Kirchner a beau jeu de constater "le manque de dirigeants représentant
un modèle alternatif", signifiant ainsi que la colère apparente
de la rue est dénuée de représentation politique et
institutionnelle.
L'analyste Rosendo Fraga relève dans ce contexte que les dernières
élections en Tunisie, au Maroc, en Égypte, en Espagne et aux
États-Unis ont montré, selon lui, la difficulté de concrétiser
sur le plan politico-électoral des éruptions sociales telles
que le "printemps arabe" ou les mouvements des Indignés et des anti-Wall
Street.
Rosendo Fraga croit néanmoins que l'Argentine participe désormais
du phénomène global qu'est l'irruption des réseaux du
web comme "espace central de l'activité politique", perçue
dans ce cas comme "un concept civique large, non circonscrit à une
vision partisane".
Actuellement, un Argentin sur deux utilise le réseau social Facebook (
46,9% des 40 millions d'habitants en septembre 2012) et un
sur sept son concurrent (ou complément, c'est selon) Twitter.