BUENOS AIRES, lundi 24 octobre 2011 (LatinReporters.com) - La présidente
argentine Cristina Fernandez de Kirchner, péroniste de gauche de 58
ans, a été réélue le 23 octobre pour un
second mandat de quatre ans. Sa victoire au premier tour, avec 53,93% des
voix et un avantage de 37 points sur le rival le plus proche, est d'une ampleur sans
précédent depuis le retour à la démocratie
après la dictature militaire, en 1983. Le mouvement présidentiel
récupère en outre la majorité absolue dans les deux chambres du
Congrès (Parlement).
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Vote de la présidente Cristina Fernandez de Kirchner, le 23 octobre
2011 à Rio Gallegos, dans la province de Santa Cruz. (Photo Casa Rosada) |
Cristina Kirchner s'est déclarée
"impressionnée" et "reconnaissante" en constatant ce raz-de-marée
électoral qui a assuré sa victoire dans 22 des 23 provinces
argentines, ainsi que dans la capitale, Buenos Aires, pourtant place forte
d'une opposition de centre droit. Si les classes populaires, électorat
traditionnel du péronisme, lui étaient acquises, de larges
franges des classes moyennes semblent lui faire désormais aussi confiance.
Portée par la croissance économique, par sa politique sociale
et par la compassion populaire l'entourant depuis la mort de son mari, l'ancien
président Nestor Kirchner, foudroyé par une crise cardiaque
en octobre 2010, Cristina Kirchner et son Front pour la Victoire (FpV)
n'ont pratiquement plus de rivaux politiques.
Un socialiste dépasse un radical
Le dépouillement de 98,13% des bulletins de vote n'octroie que 16,88%
des voix au mieux situé des six autres candidats à l'élection
présidentielle, le socialiste Hermes Binner.
Alors qu'au lendemain de l'effondrement de la dictature militaire le président
radical Raul Alfonsin fut élu en 1983 sur le score de 51,7%, son fils,
Ricardo Alfonsin, n'a récolté hier que 11,15% des suffrages,
condamnant peut-être à la marginalisation l'Union civique radicale,
le plus vieux parti politique argentin. Qu'un socialiste vienne de dépasser
un radical, c'est du jamais vu en Argentine.
Ricardo Alfonsin est suivi des deux candidats de la droite péroniste,
Alberto Rodriguez Saa, gouverneur de la province de San Luis, et l'ex-président
Eduardo Duhalde, crédités respectivement de 7,99% et 5,89 %
des voix. On notera que la gauche du péronisme, représentée
par Cristina Kirchner, et sa droite totalisent ensemble quasi 68% de l'électorat.
L'Argentine reste donc dominée par l'héritage politique du
général Juan Domingo Peron, président de 1946 à
1955, puis du 12 octobre 1973 au 1er juillet 1974, date de sa mort.
Le même 23 octobre, le FpV présidentiel a aussi remporté des législatives
partielles et des élections provinciales. Le renouvellement de la
moitié des députés et du tiers des sénateurs
rend aux partisans et alliés de Cristina Kirchner la majorité absolue
dans les deux chambres. Quant aux gouverneurs en jeu dans neuf provinces,
le mouvement présidentiel en rafle huit.
Priorité à l'émotion
Avec une émotion dont on ne sait plus si elle sincère ou calculée,
tant elle est systématique et rentable politiquement, Cristina Kirchner
a attribué son triomphe à son défunt mari, Nestor, auquel
elle succéda en remportant la présidentielle de 2007.
Rigoureusement vêtue de noir, portant ainsi le deuil depuis un an,
elle a fait après sa victoire deux discours d'un vide politique compensé
par l'émotion. Le premier devant les notables du FpV, à l'hôtel
Intercontinental de Buenos Aires. Le second aux milliers de sympathisants,
des jeunes pour la plupart, qui fêtaient sa victoire sur la Plaza de
Mayo, devant le palais présidentiel, la Casa Rosada.
"Sans les choses qu'il a osées, il aurait été impossible
d'arriver ici ... Il est allé lutter sans mesure pour les rêves
et sa vie s'en est allée. Je veux qu'il soit un exemple pour tous
les hommes et femmes politiques" a dit notamment Cristina Kirchner, "il"
étant son défunt mari, qu'elle invoque souvent comme un être
supérieur sans presque jamais citer son nom.
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Au soir du 23 octobre 2011 sur la Plaza de Mayo, devant le palais présidentiel,
la Casa Rosada, des milliers de partisans de Cristina Kirchner fêtaient
à Buenos Aires son triomphe électoral. (Photo Telam) |
Et ceux qui auraient aimé entendre la triomphatrice d'une journée
électorale tracer ou actualiser les grandes lignes de sa politique,
ils sont restés sur leur faim avec des phrases telles que "Je vous appelle
tous à l'unité nationale ... Pas d'affrontements inutiles ...
J'ai l'honneur d'être la première femme réélue
du pays. Que puis-je vouloir de plus? La seule chose que je veuille est contribuer,
avec la plus haute responsabilité, à agrandir l'Argentine ...
continuer à approfondir un projet de pays pour 40 millions d'Argentins".
Parlant d'elle-même, elle a indiqué que "cette femme n'est mue
par aucune ambition, mais par le profond amour pour la patrie et la nécessité
d'honorer sa mémoire" (celle de Nestor Kirchner). Banalités?
Sans doute, mais comme le relevait judicieusement en matinée Cristina
Kirchner, "quand on voit ce qui se passe dans le monde, on peut être
fier de l'Argentine". L'inutilité des gesticulations berlinoises,
parisiennes et bruxelloises pour sauver l'euro ne lui donne pas tort.
Sur la Plaza de Mayo, elle a dansé. La fin du deuil ? Non, sans doute
pas avant l'inauguration du mausolée de Nestor Kirchner, à
Rio Gallegos (sud) le 27 octobre, jour du premier anniversaire de sa mort.
Au bilan présidentiel, l'actif surpasse le passif
Parmi les félicitations venues de tous les pays du continent, celle
de l'ami vénézuélien, le président Hugo Chavez,
est la plus éloquente : "Pour les peuples et gouvernements d'Amérique
latine, la continuité [de Cristina Kirchner] ... est d'une importance
fondamentale, car il est juste d'affirmer que sa permanence à la tête
du destin du pays renforce l'espoir d'un futur digne et souverain pour toute
la région".
Croissance (9,2% en 2010) liée à la forte revalorisation des
exportations agricoles, meilleure répartition sociale de la richesse,
persécution des responsables des pires crimes de la dictature militaire
(1976-1983) et sud-américanisme militant face à la globalisation
sont les signes du kirchnérisme que la présidente a hérité
de son mari et qu'elle dit vouloir approfondir.
Entre social-démocratie à la brésilienne et symptômes
d'interventionnisme public radical de type vénézuélien,
ce modèle a ses zones d'ombre : criminalité galopante, scandales
de corruption impliquant des membres du gouvernement et des organisations
proches du pouvoir, notamment la Confédération générale
du travail (syndicat dominant) et l'association Mères de la place
de Mai, hausse vertigineuse du patrimoine des Kirchner, manipulations des
statistiques de l'inflation et conflit frontal aux accents chavistes avec
les médias privés critiques du pouvoir, surtout le groupe Clarin.
Mais les électeurs ont tranché : au bilan de la gestion présidentielle,
l'actif surpasse le passif.