BUENOS AIRES, dimanche 23 octobre 2011 (LatinReporters.com) - Bataille présidentielle ? Non, simple promenade. La réélection
au premier tour, ce 23 octobre en Argentine, de la présidente Cristina
Fernandez de Kirchner, péroniste de gauche, est si certaine que
le vote obligatoire des électeurs de la troisième puissance
d'Amérique latine ne sera qu'une promenade dominicale. Le succès
portera-t-il le "cristinisme" à tenter de réviser la Constitution
pour se perpétuer lors d'élections futures, comme le chavisme au Venezuela ?
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La présidente argentine Cristina Fernandez de Kirchner, le 13 septembre
2011 à Paris. Toujours vêtue de noir depuis la mort de son mari,
l'ancien président Nestor Kirchner. (Photo Casa Rosada) |
Signes d'identité du "cristinisme"
Femme de 58 ans dotée d'une forte personnalité et de talent
oratoire, vêtue chaque jour de noir depuis le 27 octobre 2010, date
de la mort de son mari, l'ancien président Nestor Kirchner auquel elle
succéda en remportant la présidentielle de 2007, Cristina Kirchner
bénéficie toujours du fort courant de sympathie populaire qui
l'entoura après ce décès. Elle-même nourrit ce
courant en rappelant sans cesse, avec parfois des accents de veuve éplorée,
l'oeuvre et la personnalité de son mari. Taxer sa réélection
de sentimentale serait un peu court, quoique partiellement juste.
La remontée de sa popularité, après une forte baisse
en 2008 et 2009 suite au conflit avec les agriculteurs, doit aussi beaucoup
à une spectaculaire croissance économique, grâce à
la forte revalorisation sur les marchés internationaux des exportations
de matières premières et de produits agricoles, notamment le
soja. Selon les statistiques officielles, le produit intérieur brut
(PIB) argentin a progressé de 9,2% en 2010. Pour les huit premiers
mois de 2011, la hausse interannuelle est de 9,1%.
Croissance, meilleure répartition sociale de ses fruits, persécution
des responsables des pires crimes de la dictature militaire (1976-1983) et
sud-américanisme militant face à la globalisation sont les signes
d'identité du modèle K, c'est-à-dire du kirchnérisme
que la présidente a hérité de son défunt mari
et qu'elle dit vouloir approfondir. Parler de plus en plus de cristinisme
revient à saluer le pouvoir grandissant de Cristina.
Entre social-démocratie à la brésilienne et symptômes
croissants d'interventionnisme public radical de type vénézuélien,
le modèle K cristiniste a ses zones d'ombre : criminalité galopante,
scandales de corruption impliquant des membres du gouvernement et des organisations
proches du pouvoir, notamment la Confédération générale
du travail (syndicat dominant) et l'association Mères de la place de
Mai, hausse vertigineuse du patrimoine des Kirchner, manipulations des statistiques
de l'inflation et conflit frontal aux accents chavistes avec les médias
privés critiques du pouvoir, surtout le groupe Clarin.
Entre 52 et 57% des voix pour Cristina selon les sondages
L'actif de la gestion présidentielle semble surpasser le passif au
moment où près de 29 millions d'Argentins appelés
aux urnes, soit 72% des 40 millions d'habitants du pays, élisent ce
dimanche président(e) et vice-président, 130 des 257 députés
et 24 des 72 sénateurs. Dans 9 des 23 provinces - Buenos
Aires, Entre Rios, La Pampa, San Luis, Santa Cruz, Jujuy, San Juan, Mendoza
y Formosa - on renouvelle aussi le gouverneur, les
législateurs provinciaux et les maires. (La
ville même de Buenos Aires, capitale fédérale au statut
autonome, n'est pas concernée. Son maire de centre droit, Mauricio
Macri, a été réélu en juillet dernier.).
"Jamais depuis 1983 [année du retour à la démocratie
après la dictature militaire; ndlr] une élection présidentielle
n'a mobilisé aussi peu en Argentine. Jamais non plus les électeurs
n'avaient perçu que le résultat de l'élection était
déjà si déterminé" estime l'influent analyste
argentin Rosendo Fraga.
Pour l'expliquer, il souligne qu'aux primaires du 14 août dernier,
obligatoires tant pour l'ensemble des partis que pour les électeurs,
Cristina Kirchner avait devancé [avec 50,24% des suffrages; ndlr] de
38 points son concurrent le plus proche, Ricardo Alfonsin, de l'Union civique
radicale (social-démocrate).
Rosendo Fraga ajoute que les sondages publiés ce mois d'octobre prédisent
la réélection de la présidente avec une majorité
absolue encore plus nette, allant de 52 à 57% des suffrages. Parmi
les six autres candidats, le socialiste Hermes Binner est le mieux situé,
mais avec à peine 14 à 17% des intentions de vote.
En 2007, CFK (initiales désignant souvent dans les médias Cristina Fernandez
de Kirchner) avait été élue au premier tour sur le score
de 45,29%. Selon la Constitution argentine, l'élection d'un candidat
à la présidence est acquise au premier tour s'il obtient soit
plus de 45% des votes valables, soit au moins 40% et plus de 10 points d'avance
sur l'adversaire le plus direct.
Révision constitutionnelle pour autoriser Cristina Kirchner
à se présenter indéfiniment ?
Trois des sept candidats à la présidence appartiennent au
Parti justicialiste (ou péroniste), divisé donc en trois fronts.
La présidente Cristina Kirchner représente le Front pour la
Victoire (gauche) créé par son mari. L'ex-président Eduardo
Duhalde et Alberto Rodriguez Saa, gouverneur de la province de San Luis,
sont chacun à la tête d'un front conservateur. Ces trois branches
d'un même famille totaliseront probablement près de 70% des votes.
L'Argentine reste donc dominée par l'héritage politique du
général Juan Domingo Peron, président de 1946 à
1955, puis du 12 octobre 1973 au 1er juillet 1974, date de sa mort.
Après les législatives partielles de ce 23 octobre, le Front
pour la Victoire de Cristina Kirchner contrôlera probablement, avec
divers alliés, la majorité absolue aux deux chambres du Congrès
(Chambre des députés et Sénat), mais sans atteindre la
majorité des deux tiers nécessaire à toute réforme
de la Constitution.
De nombreux observateurs prêtent toutefois à de proches collaborateurs
de la présidente l'intention de supprimer l'interdiction constitutionnelle
d'assumer plus de deux mandats présidentiels consécutifs, afin
que Cristina Kirchner puisse à nouveau briguer la charge suprême
en 2015.
L'analyste Rosendo Fraga croit à ce propos que "si le cristinisme
agit rapidement et recourt à l'utilisation ou à la menace d'instruments
de démocratie directe, par exemple une consultation populaire théoriquement
non contraignante, il pourrait entraîner un secteur de l'opposition
à négocier" cette réforme constitutionnelle permettant
la réélection présidentielle sans limitation du nombre
de mandats. Au Venezuela, le président Hugo Chavez jouit de cette prérogative,
inhabituelle sur le continent américain, grâce à une
réforme constitutionnelle adoptée par référendum
en février 2009.