BUENOS AIRES, jeudi 28 octobre 2010 (LatinReporters.com) - L'avenir politique de la
présidente Cristina Fernandez de Kirchner est au centre de quasi toutes les questions.
La disparition de son mari, Nestor Kirchner, foudroyé à 60 ans le 27 octobre par
une crise cardiaque, laisse en Argentine et ailleurs en Amérique latine
une sensation d'incertitude liée d'ordinaire au décès
d'un chef d'Etat. Nestor Kirchner ne l'était plus, mais...
Les Argentins sont en fait confrontés à une mort influant dans
diverses directions sur l'avenir immédiat du pays. Car au-delà
de sa qualité d'ex-président (2003-2007), Nestor Kirchner était
à la fois cochef d'Etat dans l'ombre aux côtés de sa
femme Cristina, leader de l'historique Parti Justicialiste (péroniste),
député de la République, secrétaire général
de l'Union des nations sud-américaines (Unasur), candidat probable
à l'élection présidentielle d'octobre 2011 et donc potentiel
titulaire d'un nouveau mandat présidentiel.
Trois questions s'imposent :
1. La présidente Cristina Fernandez de Kirchner pourra-t-elle combler
les vides multiples ouverts par la disparition de son mari?
Selon le diagnostic de l'influent analyste argentin Rosendo Fraga, Nestor
Kirchner "exerçait réellement le pouvoir" et "il laisse à
son épouse" de 57 ans un gouvernement solide sur le plan économique,
mais en conflit ou en mauvaises relations avec le secteur clé de l'agriculture,
avec le secteur industriel, ainsi qu'avec la Cour suprême. Idem avec
le Parlement, l'Eglise, les principaux médias privés et avec
des barons régionaux du péronisme qui cherchent à se
positionner en vue de l'élection présidentielle de 2011.
Les analystes convergent à pronostiquer que Cristina n'aura pas sur
le Parti Justicialiste le contrôle qu'exerçait Nestor. Le courant
"kirchnériste", très marqué à gauche, perdra
sa force au sein du péronisme. Une part substantielle du pouvoir qu'assumait
le couple présidentiel échapperait ainsi à la présidente
désormais veuve. Le "kirchnérisme" avait d'ailleurs déjà
du plomb dans l'aile depuis sa défaite aux législatives de
juin 2009 et la perte de sa majorité au Congrès.
Mais les risques accrus pour la gouvernabilité ne menaceraient pas la continuité
institutionnelle. En tant que présidente, Cristina Fernandez de Kirchner
continue à occuper le centre de la scène politique. Rosendo
Fraga souligne qu'elle peut désormais "exercer elle-même le
pouvoir" et assurer la gouvernabilité jusqu'à la fin de son
mandat , à condition de "cesser d'être la présidente
d'une faction pour devenir celle de tous les Argentins". Cela supposerait
l'abandon du style de confrontation imposé par son mari.
2. Cristina Fernandez de Kirchner sera-t-elle candidate à sa propre
succession à la présidentielle d'octobre 2011?
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Buenos Aires, 10 décembre 2007 - Nestor Kirchner remet son
sceptre présidentiel à sa femme Cristina, qui devient à ce moment
présidente de l'Argentine. Photo Presidencia |
Constitutionnellement, elle le peut. Le problème est qu'il appartient
au Parti Justicialiste, que présidait Nestor Kirchner mais que Cristina
ne contrôlerait donc pas, de désigner le candidat du péronisme
à l'élection présidentielle.
Cristina va bénéficier d'une grande vague de sympathie que
porte vers elle la mort de son mari. "Fuerza Cristina" (De la force, Cristina)
sont les mots les plus répandus sur les écriteaux façonnés
par les dizaines de milliers d'Argentins exprimant à Buenos Aires
leur émotion devant le palais présidentiel, la Casa Rosada.
Mais cette vague de sympathie retombera-t-elle avant le terme des douze mois qui précèdent
l'élection présidentielle? Les clichés négatifs
reviendront-ils en surface avec force?
Grandie par un redressement de l'économie et par la levée de l'impunité
des chefs et de tortionnaires de la dictature militaire, l'image des Kirchner
fut ensuite écornée par les conflits avec de nombreux secteurs
de la société, parfois harcelés par de violents commandos
syndicaux de choc inféodés au "kirchnérisme". Le tableau se noircissait aussi
d'une présumée contribution financière vénézuélienne
(illégale car étrangère) à la campagne présidentielle de Cristina
en 2007, ainsi que de soupçons d'enrichissement personnel. Selon
sa propre déclaration patrimoniale, le couple Kirchner a amassé
une fortune de 55 millions de pesos (11 millions d'euros), soit une augmentation
supérieure à 700% depuis 2003, année de l'élection
de Nestor à la présidence.
Daniel Scioli, vice-président de la République sous le mandat
de Nestor Kirchner et actuel gouverneur de la puissante province de Buenos
Aires, est cité abondamment par les médias argentins comme
l'un des mieux placés pour prendre la tête du Parti Justicialiste, dont il est le
vice-président. Son ambition présidentielle est connue. Celle d'autres barons
péronistes aussi. Les résultats de leur prévisible lutte pour le pouvoir
influenceront la décision de Cristina Fernandez de Kirchner de tenter
ou non d'être candidate à sa propre succession.
3. La disparition de Nestor Kirchner affaiblit-elle la gauche en Amérique
latine?
Situé par les analystes à mi-chemin entre le socialisme modéré
du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et le socialisme
radical du président vénézuélien Hugo Chavez,
le "kirchnérisme" semblait parfois plus proche de ce dernier et il est
raisonnable de croire que la mort de Nestor Kirchner a plus de probabilités
d'affaiblir la gauche latino-américaine que de la consolider.
"Les cloches doivent carillonner au Venezuela, dans toute l'Amérique
latine et partout où on lutte pour un monde d'égalité,
un monde de paix. C'est la mort d'un juste, la mort d'un patriote, d'un grand
patriote, un des piliers de la nouvelle heure latino-américaine" s'est
exclamé Hugo Chavez sur TeleSur. Le président vénézuélien
a décrété trois jours de deuil officiel, comme en Argentine
et dans plusieurs autres pays latino-américains. Il a aussi écrit
sur Twitter "Ma chère Cristina, quelle douleur! Quelle perte pour
l'Argentine et nos Amériques!"
Hugo Chavez rappelle que c'est en Argentine, en novembre 2005 au IVe
Sommet des Amériques réuni à Mar del Plata, que sa complicité
avec Nestor Kirchner avait contribué, devant le président américain
George W. Bush, à donner le coup de grâce à la Zone de
libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA) que Washington tenta
en vain de constituer sur l'ensemble du continent.
Signe d'une modération attendue maintenant de la politique de Buenos Aires, les
actions des compagnies argentines et les bons d'Etat ont enregistré
une forte hausse à l'annonce de la mort de Nestor Kirchner. Les opérateurs
financiers misent sur la diminution du pouvoir de la gauche "kirchnériste"
au sein du péronisme. Les milieux économiques espèrent
une amélioration de la sécurité juridique et la fin
de la manipulation de données statistiques, notamment le taux annuel d'inflation (11%
selon le gouvernement, 25% selon des analystes indépendants), qui
réduiraient les hésitations d'investisseurs.
Quant à l'Union des nations sud-américaines (Unasur), elle
perd un leader de taille internationale auquel il sera difficile de trouver
un successeur de la même stature. Nestor Kirchner était nommé
en mai dernier secrétaire général de cette organisation
politique qui regroupe les douze pays situés au sud du canal
de Panama. La fonction équivaut à celle de "premier président
de l'Amérique du Sud" estimait alors le président socialiste
de la Bolivie, l'Amérindien Evo Morales. Ses homologues Luiz Inacio
Lula da Silva (Brésil), Hugo Chavez (Venezuela) et Rafael Correa (Equateur),
tous de gauche, furent les principaux promoteurs de cette nomination désormais
sans lendemain.