BUENOS AIRES, jeudi 23 juin 2011 (LatinReporters.com) - Première
femme élue (Isabel Peron ne le fut pas) à la présidence de l'Argentine, en 2007,
la péroniste de gauche Cristina Fernandez de Kirchner a annoncé
mardi sa candidature à sa propre succession. Une décision logique,
car cette veuve qui ne quitte plus le noir du deuil est à 58 ans l'indiscutable
favorite de l'élection présidentielle du 23 octobre prochain.
|
Capture d'écran de la présidente Cristina Fernandez de Kirchner
annonçant le 21 juin 2011 à la télévision publique
argentine sa candidature à sa propre succession. (Photo LatinReporters.com) |
Finis les doutes entretenus peut-être tactiquement pendant plusieurs mois. "Nous allons
nous soumettre à la volonté populaire une fois de plus, comme
je l'ai toujours fait" a déclaré la présidente, qui
fut aussi députée et sénatrice. Elle s'exprimait à
la nation dans une allocution radiotélévisée depuis
la Galerie des patriotes latino-américains de la Casa Rosada, le palais
présidentiel.
Dans cette même galerie fut veillé et honoré par la foule
et plusieurs chefs d'Etat l'ancien président Nestor Kirchner, mari
de Cristina, foudroyé à 60 ans par une crise cardiaque, le 27 octobre 2010.
"J'ai toujours su ce que je devais faire. Je l'ai su le 28 octobre [2010]
en ce même lieu, lorsqu'ils défilaient ici par milliers pour
prendre définitivement congé de Nestor Kirchner et me criaient
'Sois forte, Cristina!' " a révélé dans son allocution
CFK, initiales par lesquelles les Argentins désignent populairement
leur présidente.
"Mon engagement est irrévocable, non seulement pour la mémoire
et l'héritage de [Nestor] Kirchner, mais aussi fondamentalement pour
les jeunes qui attendent tant de ce nouveau pays, dans lequel j'espère
être un pont entre nouvelles et vieilles générations"
a poursuivi la présidente Kirchner. Par instants visiblement émue, mais sans perdre contenance, elle invoqua "la douleur" pour estimer que "peu de choses incitent autant
à l'humilité".
La mort inopinée de Nestor Kirchner a raccourci la perspective
d'une longue appropriation familiale de la présidence. Chef de
l'Etat de 2003 à 2007, il avait cédé le bâton
présidentiel à sa femme, qui le lui aurait sans doute renvoyé.
Quoique tout de même conditionnée au plébiscite des Argentins
à chaque élection présidentielle, cette alternance népotique
permettait de contourner l'interdiction constitutionnelle de briguer plus de deux
mandats consécutifs.
Si elle est à nouveau élue le 23 octobre comme le prédisent
tous les sondages, CFK sera privée à la fois, en 2015, de relève
maritale et du droit d'être à nouveau candidate. L'ère
Kirchner prendra-t-elle alors fin? L'affirmer serait oublier que Cristina a parmi
ses amis une star du transformisme constitutionnel, le président vénézuélien
Hugo Chavez, qui fit voter son droit à la réélection
immédiate sans limite du nombre de mandats.
Victoire probable au premier tour
Le doute entourant la présidentielle ne porte pas sur
la victoire de Cristina Fernandez de Kirchner, mais sur la possibilité
qu'elle triomphe dès le premier tour. Pour éviter un second tour, qui aurait lieu le 20
novembre, elle devrait arriver en tête le 23 octobre soit avec plus de 45% des votes valables, soit
avec au moins 40% et plus de 10 points d'avance sur son concurrent le plus proche.
En 2007, CFK l'emporta d'emblée
avec 45,29% des voix, près du double de sa principale rivale de l'époque, l'actuelle
députée de centre gauche Elisa Carrio. Le chef du cabinet présidentiel,
Anibal Fernandez, assure que cette année aussi un seul tour sera nécessaire.
Un
sondage de l'Institut CEOP publié
le 12 juin répartissait
comme suit les intentions de vote entre les
six principaux candidats à
la présidence : Cristina Fernandez de Kirchner 48,2%; Ricardo
Alfonsin 12,8%; Eduardo Duhalde 7,5%; Elisa Carrio 5,9%; Alberto Rodriguez
Saa 5,5%; Hermes Binner 4,3%.
Trois de ces candidats appartiennent théoriquement au Parti justicialiste
(ou péroniste), qui est divisé en trois fronts. La présidente
CFK représente le Front pour la victoire (gauche). L'ex-président
Eduardo Duhalde et Alberto Rodriguez Saa, gouverneur de la province de San
Luis, sont chacun à la tête d'un front conservateur.
Très largement distancé, le principal adversaire de la présidente,
Ricardo Alfonsin, est le fils de l'ex-président Raul Alfonsin, décédé
en mars 2009. Comme son père, il porte les couleurs de l'historique
Union civique radicale, le plus vieux parti politique argentin. Louvoyant entre social-démocratie
et socio-libéralisme, ce parti est affilié depuis
1996 à l'Internationale socialiste.
|
Cristina Fernandez de Kirchner devant le cercueil de son mari, Nestor Kirchner,
le 28 octobre 2010 à la Casa Rosada, le palais présidentiel argentin.
La présidente est entourée de l'ex-footballeur Maradona, qui
pose la main sur le cercueil, et du président bolivien Evo Morales.
(Photo Telam / ABr) |
La mort de son mari et la croissance, facteurs clefs de la popularité de Cristina
En 2008, un long conflit national avec les agriculteurs, qui refusaient de
nouveaux impôts à l'exportation, avait fait chuter de manière
spectaculaire, à seulement 29%, la popularité de Cristina Fernandez
de Kirchner. Aux législatives de 2009, son Front pour la victoire
perdait le contrôle du Parlement.
Mais la mort de son mari, le
27 octobre 2010, porta vers CFK une grande vague de sympathie populaire,
consolidée par le retour d'une croissance record après les pires mois de la crise
internationale. En hausse moyenne annuelle de 7% depuis huit ans, l'économie
est stimulée par les prix élevés des matières premières,
en particulier du soja, dont l'Argentine est l'un des principaux exportateurs.
Jusqu'à l'élection présidentielle, l'opposition dispose
encore de quatre mois pour mettre l'accent sur les
zones d'ombre des deux
présidences successives des Kirchner. Certains griefs sont personnels
: hausse de 700%, depuis 2003, du patrimoine du couple, qui atteignait fin 2009 onze millions
d'euros, et scandale sur une présumée contribution financière
vénézuélienne, illégale car étrangère,
à la campagne présidentielle de Cristina en 2007.
D'autres accusations visent le système kirchnériste : corruption
répétitive de membres du gouvernement et d'organisations proches
du pouvoir, notamment la Confédération générale
du travail (syndicat dominant) et l'association Mères de la place
de Mai; utilisation de commandos de chocs violents composés de syndicalistes
et /ou de piqueteros contre des manifestations et grèves antigouvernementales;
manipulation à la baisse des statistiques de l'inflation pour limiter
la hausse des salaires et l'indexation de dettes extérieures; conflit
frontal aux accents chavistes avec les médias privés critiques
du pouvoir, surtout le groupe Clarin.
Dans ce panorama, Cristina Fernandez de Kirchner, comme avant elle son défunt
mari, fait naviguer l'Argentine, 40 millions d'habitants et troisième
puissance latino-américaine, entre social-démocratie à la brésilienne
et symptômes grandissants d'interventionnisme public radical de type
vénézuélien.