Accueil   |  Politique   |  Economie   |  Multimédia   |  Société   |  Pays+dossiers   | Forum 
Google
 
Web LatinReporters.com
Au moins 14 morts et des dizaines de blessés - Pénuries à La Paz - Son aéroport est fermé

Bolivie: la "guerre du gaz" devient un emblème sanglant de lutte contre la globalisation

Accusés de tentative de coup d'Etat, des opposants passent à la clandestinité

Bolivie: des policiers tentent de lever un barrage routier dressé par des manifestants indiens
Photo archives Jeremy Bigwood
LA PAZ, lundi 13 octobre 2003 (LatinReporters.com) - Attisée par la pauvreté, l'ethnicité et le nationalisme, la "guerre du gaz" -nom donné aux mobilisations contre l'exportation future, via le Chili, de gaz naturel bolivien vers l'Amérique du Nord- devient sanglante. Elle acquiert un caractère emblématique en visant aussi la globalisation.

En un mois, le conflit a fait, lors de heurts entre manifestants et force de l'ordre, au moins 14 morts et des dizaines de blessés, la majorité dans la ville d'El Alto, militarisée samedi, au lendemain du 21e anniversaire de la fin des régimes militaires en Bolivie. La troupe tente de lever les barrages routiers qui isolent La Paz, en proie aux pénuries. A cause des affrontements, tous les vols commerciaux à destination et au départ de son aéroport international ont été suspendus dimanche soir. Accusés de tentative de coup d'Etat, des opposants passent à la clandestinité.

Ville de 700.000 habitants, à 12 km à l'ouest de La Paz, El Alto est une banlieue défavorisée grossie par l'exode de paysans indiens. Ses comités de quartier participent depuis la semaine dernière à la "guerre du gaz". La violence y est inouïe. La police tire à balles réelles sur des manifestants dont certains lancent avec des frondes de petites charges de dynamite. Une vive émotion suivait la mort, samedi, d'un enfant de cinq ans atteint d'une balle perdue et d'un père de famille, le crâne fracassé par une grenade lacrymogène, aux côtés de l'un de ses fils âgé de huit ans. De nouveaux affrontements ont fait dimanche cinq morts de plus à El Alto. Des prêtres accusent l'armée et la police de "massacres".

VOIR AUSSI:

Bolivie-guerre du gaz:
malgré les tueries,
les Etats-Unis appuient
le président
Sanchez de Lozada

La Bolivie menacée
d'explosion par
son gaz naturel

Bolivie: gaz (naturel)
dans l'élection
présidentielle

Dossier Bolivie

Selon le porte-parole de la présidence de la République, Mauricio Antezana, des installations de l'aéroport international de La Paz, situé sur le territoire d'El Alto, auraient été attaqués vendredi soir. Les autorités soulignent en outre que les barrages routiers dressés par les manifestants empêchent l'approvisionnement en carburant de La Paz, capitale gouvernementale de la Bolivie, à partir de la raffinerie de Senkata, proche d'El Alto. Les 24 stations-service de La Paz étaient asséchées samedi. Un convoi de camions-citernes sous protection militaire a pu entrer dans la ville dimanche soir. La coupure d'autres routes d'accès à La Paz la soumet aussi à une pénurie de vivres.

Pour protester contre la probable exportation (pas encore annoncée officiellement) de gaz naturel bolivien vers le Mexique et les Etats-Unis via un port chilien, la "guerre du gaz" mobilise depuis la mi-septembre la Confédération syndicale des travailleurs agricoles de l'Indien aymara Felipe Quispe, les cocaleros (cultivateurs de coca) du charismatique Indien quechua Evo Morales, député du Mouvement vers le socialisme (MAS, deuxième force parlementaire) et la Centrale ouvrière bolivienne (COB, principal syndicat). Ils ont été rejoints progressivement par des collectifs de professeurs, d'étudiants, de commerçants, de mineurs, etc., ainsi que par les comités de quartier d'El Alto.

Outre leur hostilité à l'exportation du gaz, tous réclament la démission de "Goni", le président Gonzalo Sanchez de Lozada, un libéral multimillionnaire qu'ils qualifient de "vendeur de la patrie".

Jusqu'au week-end dernier, le chef de l'Etat ne voulait voir en la "guerre du gaz" qu'un conflit marginal. Il misait peut-être sur les dissensions traditionnelles entre Indiens quechuas et aymaras, ainsi que sur celles qui séparent les communautés andines et l'Est bolivien, plus occidentalisé et plus tourné vers l'exportation. Mais aujourd'hui, la "guerre du gaz" met le régime au pied du précipice. Gonzalo Sanchez de Lozada vient de recevoir des représentants de l'Eglise, de l'Assemblée des droits de l'homme et de la Confédération des travailleurs de la presse, qui offrent leur médiation.

Les plus vastes réserves de gaz naturel d'Amérique du Sud après celles du Venezuela

Alors que la pauvreté frappe 60% des 8,3 millions de Boliviens, le sous-sol du pays renferme les plus vastes réserves de gaz naturel d'Amérique du Sud après celles du Venezuela. Prévue à partir de 2006, l'exportation de gaz naturel bolivien liquéfié vers les Etats-Unis et le Mexique nécessite un investissement préalable de six milliards de dollars, dont la moitié en aménagements portuaires. La Bolivie n'ayant pas de fenêtre maritime, le Pérou et le Chili tentent chacun d'attirer cet investissement.

Mais pour ceux qui ont déclenclé la "guerre du gaz", les projets d'exportation soulèvent trois problèmes principaux.

D'abord la priorité sociale. Il serait injuste, argumentent les contestataires, d'exporter le gaz sans en faire bénéficier auparavant ou simultanément les Boliviens eux-mêmes par des infrastructures domestiques et industrielles qu'il serait urgent de créer. Le gouvernement réplique que dans quelques mois 250.000 premiers logements seront connectés au gaz.

Ensuite, la Bolivie ne percevrait que 18% du montant de ses exportations de gaz, un pourcentage jugé insuffisant par l'opposition et par les syndicats.

Enfin, il y a le problème nationaliste, capable d'enflammer la majorité des Boliviens. Lors de la guerre du Pacifique (1879-1883), la Bolivie dut céder au Chili sa façade océanique et plus de 100.000 km2. Depuis, les autorités de La Paz ne cessent de revendiquer l'accès au Pacifique. Malgré l'apaisement de la tension entre les deux pays, leurs relations diplomatiques sont suspendues depuis 1961, hormis une brève parenthèse de 1975 à 1978. Le 24 septembre dernier, à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, la Bolivie réclamait une fois de plus, par la voix de son vice-président Carlos Mesa, la restitution par le Chili de la longue fenêtre océanique perdue au 19e siècle.

Les études de faisabilité indiquent que l'exportation du gaz naturel bolivien via un port chilien serait plus rationnelle et rentable que via le Sud péruvien. Le gouvernement de La Paz  ne s'est prononcé encore ni pour le Chili ni pour le Pérou, mais il voudrait que l'attrait d'avantages économiques incite le Chili a satisfaire au moins partiellement la revendication territoriale bolivienne. Le sentiment antichilien des Boliviens se dresse toutefois contre l'octroi d'un quelconque avantage au Chili. Le gaz naturel risquerait donc de faire exploser davantage encore la Bolivie si un port chilien était tout de même choisi pour son exportation.

Contre la ZLEA-ALCA

Les principaux stratèges de la "guerre du gaz" la dirigent aussi contre la globalisation, concrètement contre l'éventuelle adhésion de la Bolivie à la future Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou, en espagnol, ALCA).

Evo Morales et Felipe Quispe, leaders de la gauche ethnique, sont en effet des antioccidentaux adversaires de l'économie de marché. Ils tirent depuis longtemps à boulets rouges sur le projet de ZLEA-ALCA. Tous deux applaudirent même les attentats terroristes islamistes du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis. La somme de leurs voix à l'élection présidentielle bolivienne du 30 juin 2002, à laquelle ils étaient candidats, ne fut toutefois que de 27 % (21% pour Morales et 6% pour Quispe). La proportion d'Indiens en Bolivie atteignant 65% de la population, la gauche ethnique ne représenterait donc qu'une minorité, mais active, des autochtones.

Dans son dernier message présidentiel télévisé, jeudi soir, "Goni" croyait utile de préciser que, pour l'instant, "l'ALCA n'a pas été approuvé", pas plus que la sortie du gaz via le Chili, contrairement, disait-il, à ce que "prétend une minorité qui veut diviser la Bolivie". Mais même les boulangers de La Paz ont annoncé une grève de 72 heures, à partir de ce lundi, "contre l'exportation de gaz, contre la loi de Sécurité et contre l'ALCA"...

La "guerre du gaz" devient donc un emblème -d'autant plus fort qu'il est sanglant- de la lutte contre la globalisation. Si le président Gonzalo Sanchez de Lozada était poussé à la démission (il s'est déjà senti contraint à affirmer qu'il ne jettera pas l'éponge), il deviendrait le premier chef d'Etat d'Amérique latine à succomber à une opposition populaire à la globalisation. Un tel exemple ne tarderait pas à faire école dans d'autres pays de la région.

"Processus séditieux de coup d'Etat"

Quoique le chef de l'Etat reçoive d'éventuels médiateurs, son gouvernement continue à miser sur la fermeté. Samedi soir, à La Paz lors d'une conférence de presse, le porte-parole présidentiel Mauricio Antezana assimilait la mobilisation contre l'exportation du gaz à "un processus séditieux de coup d'Etat mené à l'instigation d'Evo Morales et d'autres dirigeants politiques" de l'opposition.

Mauricio Antezana, prétend que "l'aide extérieure" reçue par les "séditieux" permettrait de les dénoncer devant l'Organisation des Etats américains. A ce propos, selon Javier Torres Goitia, ministre bolivien de la Santé, "Evo (Morales) a voyagé en Libye et dans divers pays pour obtenir un financement afin de structurer un coup d'Etat".

Evo Morales réplique qu'en l'accusant de putschiste, "le gouvernement ne fait que répéter le message de l'ambassade des Etats-Unis". Le dirigeant quechua ajoute: "Ce sont eux, les séditieux. Ils préparent un autoputsch, avec l'aide de l'ambassade (des Etats-Unis), pour fermer le Parlement".

Après la dénonciation, par le gouvernement, d'une tentative de coup d'Etat attribuée à l'opposition, plusieurs dirigeants syndicaux seraient passés à la clandestinité dans la crainte d'être arrêtés. C'est ce qu'affirme Roberto de la Cruz, dirigeant de la Centrale ouvrière bolivienne d'El Alto, qui a lui-même abandonné son domicile.

Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum


  Accueil   |  Politique   |  Economie   |  Multimédia   |  Société   |  Pays+dossiers  
 

© LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
Le texte de cet article peut être reproduit s'il est attribué, avec lien, à LatinReporters.com