LA HAVANE / BOGOTA, mardi 20 novembre 2012 (LatinReporters.com) - La guérilla
colombienne des Farc s'est adjugé un avantage médiatique en
annonçant par surprise, lundi à l'ouverture du dialogue de
paix à La Havane, un cessez-le-feu unilatéral de deux mois,
du 20 novembre au 20 janvier. Le ministre de la Défense colombien
Juan Carlos Pinzon a répliqué que l'armée poursuivra
ses opérations contre "cette organisation terroriste", y compris durant
sa trêve.
"La force publique a le devoir de poursuivre tous les criminels qui ont violé
la Constitution" a affirmé le ministre Pinzon dans une
déclaration
diffusée lundi à Bogota. Émettant l'espoir que les Farc (Forces
armées révolutionnaires de Colombie, marxistes) respectent
leur promesse de trêve unilatérale, le ministre a néanmoins
estimé que "la réalité démontrée par l'histoire
est que cette organisation terroriste ne respecte jamais rien et il donc
difficile de croire qu'elle cessera de tuer des enfants, de perpétrer
des attentats contre la population civile".
Depuis l'annonce de la mise en marche du processus de paix entre le gouvernement
colombien et les Farc, le 26 août dernier, la guérilla a commis
48 attentats qui ont fait 47 morts (dont 17 civils) et 83 blessés
(dont 43 civils) relevait lundi Caracol Radio. En revanche, depuis la même
date, 50 guérilleros ont été tués et 60 autres
capturés indiquait le ministre de la Défense le 29 octobre
dernier.
Le président colombien Juan Manuel Santos
a lui-même rejeté à plusieurs reprises l'idée
d'un cessez-le-feu , réclamé d'emblée par les Farc,
pendant la durée des négociations.
Dimanche, avant son départ de Bogota vers La Havane, le chef de la
délégation gouvernementale, l'ex-vice-président Humberto
de la Calle, a écarté à nouveau tout cessez-le-feu tel
qu'il avait été décrété pour de précédentes
négociations qui avaient échoué. "Pas de concessions
de caractère militaire, ni cessez-le-feu, ni zones démilitarisées"
a-t-il dit.
Mais en arrivant lundi matin au Palais des conventions de La Havane pour
y entamer réellement le dialogue de paix mis sur les rails le 18 octobre
à Oslo, le chef de la délégation des Farc, Ivan Marquez,
a lu devant une nuée de journalistes un
communiqué dans lequel
le secrétariat de l'état-major central de la guérilla
annonce un cessez-le-feu unilatéral de deux mois.
Pas de reddition
"Le secrétariat des Farc-EP [EP pour "ejército del pueblo",
"armée du peuple"; ndlr], accueillant l'immense clameur de paix des
divers secteurs du peuple colombien, ordonne aux unités de guérilleros
dans toute la géographie nationale de cesser tout type d'opérations
militaires offensives contre la force publique et les actes de sabotage contre
l'infrastructure publique ou privée, durant la période comprise
entre le 20 novembre 2012 à 00h00 et le 20 janvier 2013 à 00h00"
proclame le communiqué lu par Yvan Marquez, qui est aussi le nº2
de la guérilla.
"C'est une démonstration de plus de notre volonté de générer
un climat politique propice au progrès des conversations qui visent
à parvenir à un véritable traité de paix mettant
fin au conflit social et armé, conformément au désir
de la majorité des Colombiens" ajoute le texte, avant de critiquer
avec virulence le gouvernement colombien pour, notamment, sa "guerre économique
contre le peuple", "l'accumulation capitaliste" ou encore "les lois dont
bénéficient les multinationales au prix des intérêts
du pays".
Cette entrée en matière semble confirmer que, contrairement
aux espoirs de Bogota, les Farc ne sont pas venus négocier leur reddition.
Ils tentent plutôt de faire considérer leur conception de la
paix. "La paix ne signifie pas le silence des fusils. Elle recouvre aussi
des changements dans les structures de l'État et les structures économiques"
avait lancé Ivan Marquez en octobre à Oslo, priant la
délégation du gouvernement colombien de négocier une
"paix avec justice sociale". "Ni le modèle économique ni les
investissements étrangers ne sont à l'agenda de ces pourparlers"
avait alors répliqué Humberto de la Calle.
Réactions
Le cessez-le- feu unilatéral de la guérilla est qualifié
de "preuve de bonne volonté des Farc" par l'ex-sénatrice colombienne
Piedad Cordoba, connue pour sa médiation dans la libération
d'une vingtaine d'otages des insurgés marxistes.
Le maire de Bogota, Gustavo Petro, ex-guérillero du M-19, croit que
si réellement la trêve unilatérale est observée,
cela "démontrerait la volonté des Farc d'aboutir à la
fin définitive du conflit armé".
"Cela me paraît un signe très positif" estime pour sa part Rafael
Correa, président de l'Équateur. Ce pays voisin de la Colombie
abrite plus de 50.000 réfugiés qui ont fui le conflit.
Lors de plusieurs mois de négociations secrètes en début
d'année, guérilla et gouvernement colombien ont adopté
un ordre du jour des discussions de paix en cinq chapitres: développement
rural, participation des Farc à la vie politique, fin des hostilités,
lutte contre le trafic de cocaïne, dont la Colombie est le premier producteur
mondial, et droits des victimes.
Garanti par la Norvège et Cuba, secondées par le Venezuela
et le Chili en tant qu'"accompagnateurs", le processus vise à
mettre un terme à un conflit qui a fait depuis 1964 plusieurs centaines
de milliers de morts et près de quatre millions de déplacés,
selon l'ONU. Trois tentatives précédentes de dialogue ont échoué,
la dernière en 2002. Le président Santos et son négociateur
Humberto de la Calle n'affichent qu'un "optimisme modéré".