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Raul Rivero: Cuba for ever, même si "le plus dur est de rester ici"

Par Fabrice Bory

Raul Rivero - © IPI
PARIS, 14 février 2002 (LatinReporters.com) - La France est l'invitée d'honneur de la Foire internationale du livre de La Havane (du 7 au 17 février 2002). A cette occasion, on peut souligner que nombreux sont les écrivains cubains dont les ouvrages sont interdits dans l'île. C'est le cas du poète et journaliste indépendant Raul Rivero, figure reconnue de la dissidence interne et à ce titre très surveillé par la police de Fidel Castro.

Raul Rivero refuse l'aller simple pour l'exil que lui a offert plusieurs fois le dernier régime communiste du monde occidental. "Pour moi, dit-il, partir serait la solution de facilité. Le plus dur, c'est de rester ici".

Nous avons rencontré Raul Rivero à Cuba. Dans son petit appartement de Centro Havana, une photo au mur : il est en compagnie de José Maria Aznar, le chef du gouvernement espagnol. C'était en novembre 1999, à l’occasion du 9ème sommet ibéro-américain réuni à La Havane. Ce jour- là, plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement rencontraient au grand jour les principaux leaders de la dissidence cubaine.

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«J’ai vécu dans un pays dont je rêvais tout seul... Le rêve est devenu réalité lorsque j’étais assis en face du Premier ministre espagnol» se rappelle Raul Rivero. «Cette rencontre, précise-t-il, marquait l’aboutissement du long cheminement semé d’embûches, de pénuries et de souffrances qu’ont entamé il y a bientôt 30 ans une poignée de défenseurs des droits de l’homme...».

Raul Rivero est né en 1945 dans une petite ville de la province de Camagüey. Après des études de journaliste à l'Université de La Havane, il se met au service de la révolution et marche sur les traces de Guillermo Cabrera Infante, d'Eduardo Manet, d'Heberto Padilla, de Jesus Diaz et de bien d'autres artistes et écrivains cubains qui croyaient alors en Fidel Castro.

Quarante-trois ans plus tard, la plupart de ceux cités plus haut se sont dispersés de par le monde : les uns ont décidé de quitter rapidement le pays, d’autres ont été expulsés par le régime castriste et certains vivent toujours à La Havane. Parmi ces derniers figure Raul Rivero, qui exprime à haute voix son opposition et refuse obstinément de prendre le chemin de l’exil : « Pendant des années, j’ai collaboré à la presse officielle. J’éprouve parfois un sentiment de culpabilité d’avoir participé à un mensonge... Le fait d’avoir contribué à ce mensonge me fait rester à Cuba».

La lune de miel entre le poète cubain et le régime castriste prend fin en plusieurs étapes. En 1989, il décide de quitter la très respectueuse Union des écrivains et artistes cubains, célèbre institution des lettres cubaines plus connue sous le sigle Uneac. Deux ans plus tard, il signe « La lettre des 10 », une pétition qui demandait à Fidel Castro des élections libres et la libération des prisonniers politiques .Ce n’est qu’un début, car à la même époque Raul Rivero et les journalistes Yndamiro Restano, Nestor Baguer et Rafael Solano ouvrent une brèche dans le monopole de l’information et font peu à peu sortir les premières infos de sources cubaines indépendantes.

Il faut souligner qu’à Cuba la situation des journalistes indépendants est très précaire. Dans ce pays, explique Raul Rivero, « il n’y a pas de liberté de la presse. Pis encore : il n’y a pas de presse. Sous forme de journaux, de revues, d’émissions de radio et de télé circule une vision de la vie que l’Etat veut imposer à la population».

Raul Rivero devra attendre 1995, période où se développent de petites agences de presse indépendantes, pour fonder Cuba Press. Il quitte ainsi le journalisme officiel et s’expose de plus en plus au harcèlement des autorités. Il est aujourd’hui le seul cosignataire de "La lettre des 10" à demeurer  à Cuba. En dépit des pressions, des menaces et des arrestations, il refuse l’exil.

«Raul Rivero est devenu pour nous, écrivains, intellectuels et journalistes de l’Europe démocratique, l’homme que nous aimons admirer. Un exemple de conscience professionnelle exceptionnelle. Une personne... à qui l’idée de quitter son pays d’origine est insupportable» explique son compatriote Eduardo Manet.

Décidé à rester à Cuba, le fondateur de Cuba Press a refusé à plusieurs reprises un visa de sortie définitive, le seul que les autorités sont prêtes à lui accorder. A Cuba, « dans l’espace qui existe entre partir et revenir, il faut fonder la permanence, parce que rester sera toujours un antidote contre le désenchantement et un venin contre l’oubli » estime le poète-journaliste.

Sa liberté de circuler a été restreinte, il fut séquestré et menacé à plusieurs reprises, sa famille intimidée et ses documents confisqués. Appelé en 1999 à recevoir un prix spécial de l’Université Columbia, aux Etats-Unis, Raul Rivero se voit invité à l’exil. «Le gouvernement m’a souvent proposé un aller simple pour l’étranger, mais j’estime que ma place est ici. Je suis avant tout un professionnel de l’information... c’est ici à Cuba que je veux continuer à faire mon travail. »

Raul Rivero continue donc avec acharnement son métier de journaliste dans des conditions souvent précaires et avec des moyens techniques très limités. Depuis le mois de mai 2001, il fait partie de la Société de Journalistes «Manuel Marquez Sterling », qui s’est donnée pour mission la promotion de la liberté d’expression et d’information, ainsi que la formation professionnelle de journalistes cubains. Reporters sans frontières a protesté contre le harcèlement dont est victime Raul Rivero pour ses activités de professeur au sein de cette association de la presse indépendante.

Si vous passez par Centro Habana, promenez-vous du côté de Penalver entre Franco et Oquendo pour prendre quelques nouvelles du dissident Rivero. Il vous invitera bien volontiers à boire un café. Sinon, plongez-vous dans les premiers vers de son poème « Patrie » et vous comprendrez pourquoi il ne veut pas partir :

«Ma patrie tu me faisais mal
comme un baiser et une blessure
et comme eux cette douleur était
douce et profonde
insupportable et tendre.»


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