Jimmy Carter à Cuba: victoire des droits de l'homme ou de Fidel Castro?
A Washington, ni la Maison blanche ni le département d'Etat n'ont apprécié cette intrusion sans précédent d'un ex-président dans la politique étrangère officielle. "J'espère que cette visite améliorera les relations entre les deux peuples" a déclaré vendredi Jimmy Carter lors de la conférence de presse concluant son séjour. L'ex-président américain (de 1977 à 1981) a rappelé qu'il a pu établir "une communication maximale avec le peuple de Cuba" et tenir de "vastes discussions" avec le président Fidel Castro, avec des membres de son gouvernement, ainsi qu'avec de nombreux dissidents.
"Je n'ai pas la moindre idée de ce que sera le résultat de ma visite ici. Je sais qu'après 43 années d'hostilité, un bref voyage ne peut pas changer immédiatement la situation, mais j'espère qu'il contribuera modestement à améliorer les relations bilatérales" a indiqué l'ex-mandataire américain. Plaidant pour une plus grande collaboration scientifique, technique, commerciale, économique et contre le "bioterrorisme", Jimmy Carter a évité de se référer aux mesures sur Cuba, sans doute peu amicales, que va annoncer le président américain George W. Bush à l'occasion du centenaire de l'indépendance de l'île. Jimmy Carter a exprimé sa satisfaction pour la transmission en direct par la radio-télévision cubaine et pour la publication par la presse officielle de l'intégralité de son discours prononcé mardi dernier à l'Université de La Havane. Ce discours était centré tant sur les relations entre Cuba et les Etats-Unis que sur la nécessité d'une démocratisation du régime castriste. Devant Fidel Castro et ses ministres, l'ex-président Carter avait alors longuement mentionné le "Projet Varela", dont la majorité des Cubains entendaient ainsi parler pour la première fois. Se prévalant de la Constitution cubaine qui admet le référendum lorsque plus de 10.000 citoyens le réclament, le "Projet Varela" (du nom d'un prêtre qui s'illustra au 19e siècle dans la lutte pour l'indépendance), fort de 11.020 signatures recueillies par des dissidents et remis le 10 mai au Parlement cubain, propose de soumettre à la consultation populaire des réformes qui déboucheraient sur des élections libres, la liberté d'expression et d'association, le droit de créer des entreprises privées et la libération de tous les prisonniers politiques. Que 11.020 Cubains aient avalisé, avec nom et signature, de telles demandes malgré la répression qui frappe la dissidence fait du "Projet Varela" une étape historique dans la lutte pour les libertés dans l'île communiste. Le principal promoteur de cette initiative soutenue par la majorité des organisations dissidentes est Oswaldo Paya, dirigeant du Mouvement chrétien de libération. "Il faudra observer la réaction du gouvernement et voir si de cette initiative surgit un débat politique", a commenté Jimmy Carter avec une philosophie laissant une large place au doute. L'ex-président américain s'était réuni jeudi avec plus de vingt dirigeants de la dissidence et leur avait conseillé de s'unir. Mais le jour même de l'arrivée à La Havane de Jimmy Carter, le ministre cubain des Relations extérieures, Felipe Perez Roque, avait refroidi les espoirs d'ouverture démocratique en qualifiant le "Projet Varela" de "produit importé financé et dirigé par des intérêts étrangers". Comme Jimmy Carter, mais contrairement aux exilés cubains de Miami, de nombreux opposants intérieurs au régime castriste estimeraient inutile le maintien de l'embargo économique décrété depuis 1962 par les Etats-Unis contre Cuba. "L'embargo restreint plus les libertés des Etats-Unis que celles des Cubains", a estimé l'ex-président démocrate. Par ailleurs, selon lui, les problèmes économiques de Cuba seraient dus plus à la nature du régime politico-économique de l'île qu'à l'embargo américain, car, a-t-il dit, Cuba peut commercer librement avec plus de cent pays dans le monde et y acquérir des produits à plus bas prix qu'aux Etats-Unis. Appuyant, comme plusieurs dizaines de parlementaires américains, la levée de l'embargo souhaitée par Jimmy Carter, un éditorial publié par le New York Times du 17 mai estimait "sensé de penser que le fait d'exposer des sociétés fermées au commerce global et aux influences culturelles de la démocratie puisse miner le pouvoir des régimes totalitaires". Des adversaires américains de l'embargo estiment en outre qu'il sert de bouée de sauvetage à Fidel Castro, car il lui permet de rejeter sur les Etats-Unis la responsabilité des problèmes cubains. Le commerce serait donc vecteur de démocratie. Mais la levée de 40 ans d'embargo américain serait aussi une formidable victoire politique de Fidel Castro et de son régime. En invitant Jimmy Carter, le "lider maximo" a sans nul doute misé sur un tel dénouement.
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