QUITO, mercredi 6 avril 2011 (LatinReporters.com) - Priée
de quitter l'Equateur "dans le plus bref délai", Heather Hodges, ambassadrice
des Etats-Unis à Quito, a été déclarée
le 5 avril persona non grata par le gouvernement du président socialiste
équatorien Rafael Correa. Cette crise a été provoquée
par WikiLeaks, qui a dévoilé un câble diplomatique secret
de l'ambassadrice sur la corruption de la police équatorienne.
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L'ambassadrice Heather Hodges lors d'une excursion touristique dans la province équatorienne de Guayas. (Photo US Embassy, Quito) |
Il s'agirait d'une corruption policière généralisée, à en croire ce
câble
daté du 10 juillet 2009 et publié le 4 avril dernier par le
quotidien espagnol El Pais. Heather Hodges y affirme notamment que le président
Correa avait nommé un chef de la police en sachant qu'il était
corrompu.
L'affaire intervient quelques semaines à peine après la démission
de l'ambassadeur des Etats-Unis au Mexique, Carlos Pascual, en raison également
de télégrammes de ce diplomate révélés
par WikiLeaks.
Le ministre équatorien des Affaires étrangères, Ricardo
Patiño, avait convoqué lundi l'ambassadrice Hodges pour explications.
La diplomate s'est refusée à commenter le câble qu'elle estime
"volé". "Cette réponse est absolument insuffisante et insatisfaisante"
a déclaré le ministre à la presse, précisant
que le chef de l'Etat était "indigné".
Interviewé par plusieurs chaînes de radio,
le président
Rafael Correa a estimé mardi que les relations avec les Etats-Unis
sont actuellement bonnes et qu'il est donc regrettable "qu'on espionne notre
police et qu'on tente d'impliquer le président de la République
dans des cas de corruption". Il en a rejeté la responsabilité
sur l'ambassadrice Hodges, "qui n'a jamais aimé notre gouvernement",
et il a souhaité que "cela ne nuise pas aux relations entre les Etats-Unis
et l'Equateur, mais, quoiqu'il en soit, ici nous allons faire respecter la souveraineté
du pays".
Début 2009, le gouvernement équatorien avait déjà
expulsé deux fonctionnaires de l'ambassade américaine, les
accusant de s'immiscer dans les affaires internes de la police équatorienne.
Représailles américaines?
Aux Etats-Unis, la mesure d'expulsion est jugée "injustifiée"
par le département d'Etat. Selon son porte-parole, Mark Toner, l'ambassadrice
Hodges est l'une des diplomates américaines "les plus expérimentées
et talentueuses". Il a ajouté que Washington "regrette profondément"
la décision de Quito et va "examiner les options pour répondre
à cette action de l'Equateur".
Le démocrate occupant le plus haut rang au sein du comité pour
l'Amérique latine de la Chambre des représentants des Etats-Unis,
Elliot Engel, a averti dans un communiqué que l'expulsion "décevante
et contre-productive" de Heather Hodges met en péril le renouvellement,
au profit des exportations équatoriennes, des avantages douaniers
octroyés par les Etats-Unis aux pays andins.
Consignés dans l'Andean Trade Preferential Drug Eradication Act (ATPDEA
- Accord commercial préférentiel andin d'éradication
de la drogue), ces avantages incitant à lutter contre les stupéfiants
permettent aux exportateurs de la Communauté andine -Equateur, Bolivie,
Pérou et Colombie- de maintenir des dizaines de milliers d'emplois.
[NDLR - La Bolivie a été écartée de cet accord
après l'expulsion par le gouvernement de La Paz, en 2008, de l'ambassadeur
des Etats-Unis et des agents de la Drug Enforcement Administration (DEA),
l'agence américaine de lutte contre la drogue. Le Pérou, lui,
jouit d'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis et n'aurait
plus besoin d'un renouvellement de sa participation à l'ATPDEA].
Arrivée à Quito en juillet 2008, l'ambassadrice Heather
Hodges écrivait dans son télégramme diplomatique du
10 juillet 2009 que la corruption est "généralisée"
au sein de la police équatorienne et que celui qui fut son commandant
en chef d'avril 2008 à juin 2009, le général Jaime Aquilino
Hurtado, utilisa son autorité pour recourir à l'extorsion, faciliter le trafic
de personnes et faire obstruction aux enquêtes sur des compagnons corrompus,
accumulant ainsi argent et propriétés.
L'ambassadrice signalait que les agissements de Jaime Aquilino Hurtado étaient
connus du haut commandement de la police nationale. Elle ajoutait que
des fonctionnaires de l'ambassade des Etats-Unis étaient persuadés
que le président Rafael Correa savait qu'il assurait la promotion
d'un officier corrompu lorsqu'il nomma Hurtado commandant en chef de la police. Par cette
nomination, le président équatorien aurait cherché à
avoir sous la main un homme facilement manipulable.
Investissements freinés par la corruption
"Les activités corrompues décrites dans ce câble nuisent
aux investissements américains en Equateur. Les investisseurs des
Etats-Unis se montrent réticents à risquer leur patrimoine,
car ils savent qu'ils pourraient être extorqués par des agents
corrompus des corps de sécurité" poursuivait l'ambassadrice
Hedges. A son avis, "en prêtant assistance au trafic de personnes,
Hurtado créait des opportunités d'entrée aux Etats-Unis" que
risquaient de mettre à profit "des délinquants et des terroristes".
Toujours selon le câble signé par Heather Hodges, les pratiques
corrompues de la police équatorienne frapperaient la majorité
de la population, disposée à verser des pots-de-vin, importants
ou non, pour mener à bien tout type de gestion, évitant ainsi
une bureaucratie inefficace et asphyxiante. Aux yeux de l'ambassadrice, les
mécanismes devant veiller à la probité des institutions
seraient faibles en Equateur et les changements constitutionnels de septembre
2008 les auraient affaiblis davantage.
De "nombreuses sources" , lit-on encore dans le câble, ont informé
l'ambassade des Etats-Unis que Jaime Aquilino Hurtado extorquait même
des policiers. En contrepartie, il les protégeait et facilitait leurs
activités illégales. Des enquêteurs gênants étaient
destitués.
Suite à la publication de ce document diplomatique polémique,
le parquet équatorien a annoncé l'ouverture d'une enquête
sur les faits imputés au général Hurtado, aujourd'hui
à la retraite. Ce dernier clame son innocence et envisage de saisir
lui-même la justice pour défendre son honneur.
Dans un classement de 180 pays dressé en 2009 par
Transparency
International, le premier pays de la liste étant considéré
comme celui souffrant le moins de la corruption et le dernier celui qui en
pâtit le plus, l'Equateur occupait la 146ème place, entre le Cameroun
et le Kenya. Sur le continent américain, seuls le Paraguay (154ème), le
Venezuela (162ème) et Haïti (168ème) étaient jugés
plus corrompus que l'Equateur.