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Les Gibraltariens préfèrent rester Britanniques, mais ils revendiquent l'autodétermination

Gibraltar-référendum: non massif (99%) à un éventuel condominium hispano-britannique sur le rocher

L'Espagne et la Grande-Bretagne n'octroient pas de valeur légale à ce référendum qui les embarrasse

Colonne d'Hercule de la mythologie grecque, le rocher de Gibraltar, place forte au confluent de la Méditerranée et de l'Atlantique, est britannique depuis 1704.
Photo Government of Gibraltar

par Christian Galloy

GIBRALTAR / MADRID, vendredi 8 novembre 2002 (LatinReporters.com) - Infligeant un camouflet à Londres et à Madrid, la quasi totalité des votants de Gibraltar -98,97%- a dit non jeudi à un éventuel condominium hispano-britannique sur le rocher lors du référendum convoqué par le Premier ministre de cette colonie britannique, Peter Caruana.

La participation au scrutin, 88%, a surpassé celle enregistrée lors des élections des vingt-deux dernières années à Gibraltar. Ni l'Espagne ni la Grande-Bretagne n'octroient de valeur légale à ce rejet massif d'une souveraineté partagée que les deux pays envisagent d'exercer sur le rocher dans le cadre d'un processus de décolonisation auquel ne sont pas associés les 30.000 Gibraltariens.

Ces derniers préfèrent rester britanniques. Echaudés par l'attitude de la métropole, ils revendiquent néanmoins le droit à l'autodétermination. N'en déplaise à Londres et surtout à Madrid, l'unanimité que les Gibraltariens viennent d'afficher risque de conférer un caractère antidémocratique à toute négociation les ignorant.
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Dès jeudi soir, avant même que ne soient connus les résultats du référendum, l'influente Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Communes du parlement britannique offrait déjà la victoire diplomatique aux Gibraltariens en invitant le gouvernement de Tony Blair à "tenir pleinement compte du point de vue exprimé par le peuple de Gibraltar". La Commission critiquait en outre le principe même d'une négociation avec l'Espagne, contre la volonté des Gibraltariens, de la souveraineté sur le rocher.

Après l'annonce du triomphe du "non", le secrétaire d'Etat britannique aux Affaires européennes, Dennis McShane, admettait que de nombreux Gibraltariens "sont préoccupés par le dialogue entre le Royaume-Uni et l'Espagne" et il promettait que son gouvernement continuerait "à prêter attention aux points de vue de la population" du rocher.

Dennis McShane avertissait cependant "qu'il ne pourra y avoir de futur stable pour Gibraltar aussi longtemps que n'auront pas été résolues d'importantes questions dans le cadre du différend avec l'Espagne".

Pour le Premier ministre gibraltarien, le social-démocrate Peter Caruana, le rejet par référendum d'une souveraineté partagée signifie que "le peuple gibraltarien a écarté l'option d'être espagnol et a signifié clairement que la cosouveraineté n'est pas possible sans le consentement de Gibraltar".

"Nous sommes un peuple avec des droits politiques, décidant librement de notre futur, et nous ne permettrons pas que nos droits soient bafoués" a poursuivi Peter Caruana, qui a salué l'appui à Gibraltar de la Commission des Affaires étrangères du parlement britannique. Le Premier ministre s'est néanmoins déclaré ouvert à des négociations à condition que les résultats n'en soient pas définis d'avance par Londres et Madrid.

"La souveraineté partagée porterait préjudice à notre droit à l'autodétermination" avait commenté jeudi Peter Caruana. Selon lui, "Gibraltar doit être décolonisé. Il ne nous plaît pas d'être la dernière colonie d'Europe... La question est comment mener à bien cette décolonisation".

Le dirigeant de l'opposition travailliste gibraltarienne, l'ex-Premier ministre Joe Bossano, revendique lui aussi explicitement "l'autodétermination". Il avertissait pendant le vote que "nous allons dire aux gouvernements anglais et espagnol que Gibraltar n'appartient pas à Londres et n'appartiendra jamais à Madrid. Gibraltar est nôtre et nous n'aurons de cesse de lutter jusqu'à ce qu'on reconnaisse que nous sommes un peuple souverain".

Sur un total de 18.176 votes exprimés, soit une participation de 88%, 17.900 Gibraltariens ont dit "non" à une cosouveraineté hispano-britannique. Le nombre de "oui" n'est que de 187. Lors du précédent référendum de 1967, à peine 44 électeurs sur un total de 12.182 avaient dit "oui" à un rattachement du rocher à l'Espagne.

La question posée lors du référendum de jeudi était "Approuvez-vous le principe selon lequel la Grande-Bretagne et l'Espagne devraient partager la souveraineté sur Gibraltar?"

Sur les bulletins de vote, qui prévoyaient pour seule réponse "oui" ou "non", cette question était précédée du texte suivant: "Le 12 juillet 2002, le secrétaire au Foreign Office, Jack Straw, déclara formellement à la Chambre des Communes qu'après douze mois de négociations le gouvernement britannique et l'Espagne étaient parvenus à un large accord sur de nombreux principes qui devraient étayer un règlement durable de la revendication espagnole de souveraineté, incluant le principe selon lequel la Grande-Bretagne et l'Espagne devraient partager la souveraineté sur Gibraltar".

Moins longtemps espagnol que britannique

Officiellement territoire d'Outre-mer du Royaume-Uni, colonne d'Hercule de la mythologie grecque et place forte stratégique à la jonction de l'Atlantique et de la Méditerranée et de l'Europe et de l'Afrique, Gibraltar et ses modestes 6 km2 furent conquis en 1462 par les Espagnols, qui en expulsèrent les Maures arrivés au début du 8e siècle. Le rocher tomba aux mains d'une force expéditionnaire anglo-hollandaise en 1704 et le Traité d'Utrecht de 1713 consacra sa cession aux Britanniques par les Espagnols qui, depuis, ne cessent de le revendiquer.

Historiquement, depuis la naissance de la notion d'Etat en Europe, Gibraltar a donc été moins longtemps espagnol que britannique. Plusieurs sièges militaires et blocus imposés en vain par l'Espagne contribuèrent à forger l'identité des Gibraltariens, descendants pour la plupart de Britanniques, de Maltais, d'Indo-Pakistanais et... d'Espagnols.

Le droit des peuples à l'autodétermination, moteur universel de la majorité des processus de décolonisation, est, dans le cas de Gibraltar, refusé par l'Espagne et limité par la Grande-Bretagne.

L'Espagne estime que sur le rocher le droit d'intégrité territoriale doit supplanter le droit à l'autodétermination. Ce dernier est explosif aux yeux de Madrid, car derrière Gibraltar se profilent les problèmes du Pays basque et des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc.

Quant à la Grande-Bretagne, si elle a depuis longtemps promis de ne pas modifier le statut des Gibraltariens sans les consulter, l'acceptation de négocier la souveraineté sur la colonie sans l'accord de Gibraltar a été interprétée sur le rocher comme un parjure. En fait, Londres conditionne l'autodétermination des Gibraltariens au traité d'Utrecht de 1713, qui rend théoriquement impossible l'indépendance de Gibraltar sans le consentement de l'Espagne. Si l'Espagne considère anachronique la survivance d'une colonie en Europe, la référence au traité d'Utrecht paraît tout aussi anachronique aux yeux de Gibraltariens, qui notent qu'en 1713 les droits de l'homme et des peuples n'étaient pas encore codifiés.

A l'heure de la globalisation et de l'Union européenne et malgré des divergences sur l'éventuelle utilisation conjointe de la base aéro-navale du rocher, les responsables politiques et économiques de l'Espagne et de la Grande-Bretagne, deux pays qui totalisent 100 millions d'habitants et de consommateurs, tendent à résoudre le problème de Gibraltar sans tenir compte des aspirations de ses habitants.

Mais le référendum de jeudi a modifié les paramètres. L'Espagne en est la grande perdante, même si le vice-président de son gouvernement, Mariano Rajoy, prétend que le référendum est "illégal". Pour Madrid, un condominium hispano-britannique, désormais très incertain, aurait été la première étape vers la pleine récupération de Gibraltar.

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