Chambre des députés, Madrid 11 juillet 2012 - Le président
du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, annonce une réduction des
indemnités des chômeurs. La mesure est aussitôt applaudie
par les élus de son Parti Populaire (PP, droite), dont la députée
Andrea Fabra. Celle-ci s'exclame en outre "Oui Monsieur, très bien,
très bien, très bien. Qu'ils se fassent chier !"
par ROBIN de los BOSQUES
MADRID, samedi 14 juillet 2012 (LatinReporters.com) - "Que se jodan !"
["Qu'ils se fassent chier !" ou aussi "Qu'ils aillent se faire foutre !"] ... Soulevant un scandale qui ne s'apaise pas, ce cri du coeur
de la députée de droite Andrea Fabra était lancé
le 11 juillet aux Cortes (Parlement) au moment où son chef de file, le président du gouvernement
espagnol Mariano Rajoy, désignait les chômeurs parmi les victimes
d'une énième vague d'austérité. A l'égal d'Andrea,
ses coreligionnaires du Parti Populaire (PP) applaudissaient alors vivement dans l'hémicycle.
A partir du septième mois, annonçait en substance don Mariano,
l'indemnité des chômeurs sera réduite à 50% du
salaire au lieu de 60% actuellement. Rappelons qu'à la fin du 24e
mois, les indemnités s'évanouissent. Un tiers des 5,6 millions
de chômeurs espagnols (24,4% de la population active) sont ainsi abandonnés
par l'État. Cela signifie que pour près de 2 millions d'ex-travailleurs,
les bouées de secours sont désormais en Espagne la solidarité
familiale, les petits boulots au noir, la mendicité, la délinquance ou l'émigration.
Dr Jekill et Mr Hyde
Applaudir dans ces conditions, en criant de surcroît "Que se jodan
!", ravit sans doute la majorité ultralibérale de l'Union
européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI), deux
institutions soucieuses - qui en douterait ?... - du bonheur des peuples et de la démocratie.
Elles ont aussi applaudi, par communiqué. Ce sont elles que le señor Rajoy voulait complaire, en échange
du renflouement européen des banques espagnoles, par l'annonce d'une montée
en flèche de la TVA, de la suppression du double salaire traditionnel
de Noël des fonctionnaires, de la réduction des indemnités
de chômage et d'autres joyeusetés, toutes ovationnées par les députés
du PP, censées réduire de 65 milliards € supplémentaires le déficit public d'ici fin 2014.
Andrea Fabra, députée du Parti Populaire. (Photo Congreso de los Diputados)
Ces mesures, comme les coupes précédentes de Mariano Rajoy
dans l'éducation et la santé, contredisent ses promesses électorales.
Ni en Ouganda ni en Papouasie-Nouvelle-Guinée ni moins encore au Venezuela
un gouvernement n'a peut-être jamais, en à peine six mois et demi de pouvoir,
perpétré à posteriori une fraude électorale aussi
rapide et globale que celle du Galicien Rajoy, élu en tant que Dr Jekill,
mais devenu Mr Hyde dès son investiture, fin décembre dernier,
avec la complicité de l'UE et du FMI.
La droite en rejette la responsabilité uniquement sur l'héritage négatif
laissé par l'ingénu socialiste José Luis Rodriguez Zapatero.
Pourtant, les deux tiers du dérapage par rapport aux prévisions
du déficit de 2011 sont attribuables aux régions, en majorité
aux mains du PP. En outre, le nouveau coup de massue sur les contribuables
espagnols est lié à la déconfiture de Bankia, qui
débouche aujourd'hui sur le sauvetage européen conditionné de l'ensemble
du secteur bancaire dans une Espagne désormais sous tutelle. Fédération
de caisses d'épargne régionales érigée en banque,
Bankia doit son trou de 23,5 milliards € à l'effondrement de l'immobilier,
mais aussi et probablement autant à sa gestion politisée par
Madrid et Valence, deux régions régentées depuis des
lustres par le PP de Mariano Rajoy.
Notons dans ce contexte, sans contenir un sourire,
qu'un
ex-directeur général du FMI et ex-ministre espagnol de l'Économie,
Rodrigo Rato, notable du PP, est menacé en Espagne par la justice d'une
éventuelle inculpation d'"escroquerie",
de "détournement de fonds", de "falsification des comptes annuels",
d'"administration frauduleuse et déloyale" et de "manipulation des
prix" lorsqu'il était le patron de Bankia. Entre un possible futur escroc (l'Espagnol Rodrigo Rato)
et son successeur accusé de viol (le Français Dominique Strauss-Kahn), la direction
générale du FMI, assumée aujourd'hui par Christine Lagarde,
n'en a pas moins jamais cessé de prodiguer des conseils de bonne conduite
aux économies des trois quarts de la planète.
Déshumanisation
Mais revenons au "Qu'ils se fassent chier !" Est-ce le véritable
credo social de Mariano Rajoy ? Des internautes se posent la question sur
Facebook et surtout sur Twitter, où le hashtag
#quesejodan
fait fureur. Mieux encore : le même "Que se jodan !", mais visant cette fois le
gouvernement Rajoy et le PP, est devenu le slogan vedette des
fonctionnaires, étudiants, retraités, chômeurs et indignés
de tous bords qui multiplient les manifestations contre cette sorte de coup
d'État à petit feu que devient l'émiettement progressif
de conquêtes sociales dont certaines sont théoriquement garanties
par la Constitution.
Parallèlement, l'opposition socialiste réclame du PP le limogeage
de la députée Andrea Fabra pour insulte intolérable
aux chômeurs. Couverte par son parti, l'éduquée Andrea
reconnaît avoir prononcé les mots doux qu'on lui attribue. Elle
prétend toutefois s'en être pris non aux sans-emploi, mais plutôt
aux élus socialistes, qui chahutaient Mariano Rajoy lors de la présentation
de son nouveau plan de rigueur.
Qu'elle ait visé les chômeurs (à notre humble avis ce
fut le cas) ou la gauche parlementaire, Andrea Fabra a enrichi avec son "Que
se jodan !" la saga familiale. Une chanson-protestation,
"Que se
joda Andrea Fabra", lui a été dédiée et l'influent quotidien
El Pais réitère que son père, Carlos Fabra, président
du PP de la province de Castellon, est impliqué dans plusieurs procès
pour délits présumés de corruption.
(P.S.: Tire-t-on prétexte de la crise pour mieux rompre le contrat social entre
travail et capital qui caractérisait le modèle dit européen
? Beaucoup plus importante que la Grèce, l'Espagne est-elle aujourd'hui
le principal banc d'essai social européen d'une déshumanisation
ultralibérale, comme elle fut lors de sa guerre civile de 1936-1939
le banc d'essai militaire de la déshumanisation hitlérienne
? Bah ! n'exagérons pas, mais...)