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La noce princière du 22 mai à Madrid ne fait pas l'unanimité

Espagne: mariage du prince héritier Felipe avec Letizia Ortiz critiqué

Letizia Ortiz et le prince Felipe
Photo LatinReporters.com-TVE
MADRID, vendredi 14 mai 2004 (LatinReporters.com) - En dépit du battage des médias, le mariage de l'ex-journaliste Letizia Ortiz avec le prince héritier Felipe de Bourbon, le 22 mai à Madrid, n'a pas que des partisans. Rétablie de la main du général Franco, qui avait écrasé la République dans le sang, la monarchie espagnole joue sa continuité dans cette union. Plus que monarchiste, l'Espagne actuelle est sans doute "Juan Carliste", en reconnaissance à l'appui à la démocratisation exercé depuis la mort de Franco, en 1975, par l'actuel roi Juan Carlos Ier. Dans cette ambiguïté, des critiques de la noce princière peuvent être significatives.

Hérédité monarchique:
exception tolérée aux
règles démocratiques

"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits". L'hérédité monarchique ignore cet article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Et si la Constitution espagnole prohibe par son article 14 la discrimination "pour raison de naissance", elle se contredit en consacrant par ailleurs l'hérédité de la couronne.

Qu'il faille naître au sein de la famille royale pour être chef d'Etat est en effet une discrimination pour raison de naissance frappant tous ceux et toutes celles qui ne remplissent pas cette condition. Que la fonction royale soit symbolique ou non, il s'agit, dans nombre de pays européens, d'une exception aux règles démocratiques générales. Au nom de la stabilité ou d'attaches historico-folklorico-sentimentales, cette exception est globalement tolérée, sans nécessairement faire l'unanimité.

Cette tolérance doit avoir pour contre-partie le souci de la couronne pour tous les aspects de la démocratie. Dans une royauté occidentale, un manque notoire de sensibilité démocratique et sociale de la part du souverain ferait basculer l'institution monarchique, qui ne pleut plus, comme au Moyen Âge, se prévaloir du droit divin.

A cet égard, nos rois, en Europe, gagneraient à se distancier des prélats. Nos démocraties sont en effet, notamment, le fruit d'un long combat de la laïcité contre la théocratie.

La longévité de la couronne en Espagne et dans d'autres royaumes démocratiques dépend donc d'une tolérance réciproque. Les royalistes exacerbés ne la favorisent pas. Encore moins en brandissant le goupillon.

Et lorsqu'en Espagne ou ailleurs les médias ne sont plus que des haut-parleurs infantiles d'un mariage princier, la raison, assiégée, tend à pencher naturellement pour la République, en dépit de la sympathie éventuelle que peuvent susciter tel roi, tel prince ou telle princesse.

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"Le prince, comme n'importe quel citoyen, peut se marier selon le rite religieux qui lui plaît sans fournir d'explications, mais si ce rite se convertit en instrument d'affirmation nationale et institutionnelle, payé par tous les Espagnols, il conviendrait peut-être de ne pas se lier à une religion" écrit dans l'influent journal El Pais le politicien, écrivain et architecte catalan Oriol Bohigas.


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d'une Espagnole
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"Une religion, en outre, dont les deux contractants se sentent ou se sont sentis apparemment très peu militants" ajoute-t-il. Une allusion à peine voilée aux diverses romances attribuées au prince Felipe et au premier mariage, uniquement civil, de Letizia Ortiz, qui est divorcée.

Le mariage sera célébré dans la cathédrale madrilène de l'Almudena, qui jouxte le palais royal, par l'archevêque de Madrid et en présence de dizaines de familles royales et de chefs d'Etat ou de gouvernement étrangers. Pour assurer la sécurité, alors que l'Espagne est encore traumatisée par les attentats islamistes du 11 mars dernier, même l'OTAN a été sollicitée. Elle fera tourner pendant deux jours dans le ciel espagnol un avion radar AWACS et ses 15 hommes d'équipage.

"Ce festival public, pour autant qu'il soit nécessaire, ne pourrait-il se concentrer sur le mariage civil, prescrit par le nouvel Etat... reléguant à une intimité secondaire le rite catholique, qui contredit d'autres religiosités -et antireligiosités- également respectables?" s'interroge Oriol Bohigas.

Selon lui, un mariage présidé non par des évêques mais par le maire de Madrid ou par le plus haut magistrat du pays aurait servi "de pédagogie générale sur la séparation État-Église et d'affirmation de neutralité".

Outre son souhait d'une "laïcité de la scénographie", Oriol Bohigas se demande pourquoi la noce du 22 mai sera "aussi luxueuse et pompeuse... Il s'agit sûrement d'un système tonitruant pour obtenir l'enracinement forcé des oripeaux de la monarchie dans les imaginaires populaires via les sentiments, vu qu'on ne peut l'obtenir via la raison".

"La monarchie, poursuit-il, se sent-elle si faible en tant que structure d'Etat au point de recourir à ces populismes qui, curieusement, prennent l'allure d'antipopulismes car, au lieu de répartir argent, santé et bienfaisance comme d'ordinaire dans la tradition paternaliste, ils exhibent un luxe et une distanciation aristocratique?"

"Il aurait été instructif et porteur d'espoir d'assumer les responsabilités civiques et égalitaires... Nous avons perdu une scène possible de démocratisation et de tolérance" conclut Oriol Bohigas.

Nationalistes et communistes déclinent l'invitation

Quant aux nationalistes basques et indépendantistes républicains catalans associés au gouvernement de leur région respective, ainsi que les nationalistes galiciens et les néocommunistes et écologistes d'Izquierda Unida (Gauche unie), leurs porte-parole parlementaires ont décliné l'invitation à la noce princière. Ils rappellent qu'un mariage n'est en principe qu'un acte privé.

A partir de sa "distanciation républicaine", le coordinateur général d'Izquierda Unida, Gaspar Llamazares, souligne qu'il préfère ne pas assister à des cérémonies "au caractère religieux marqué" et au cours desquelles le prince héritier "fera preuve d'ostentation militaire", une référence à l'uniforme de commandant que devrait porter Felipe de Bourbon le 22 mai.

Une dizaine d'organisations féministes, républicaines et de gauche, regroupées au sein du "Mouvement populaire contre la noce royale", menacent de manifester à cette date contre "ce spectacle grotesque, grossier et onéreux d'exaltation des valeurs les plus réactionnaires".

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