Par Christian GALLOY
directeur de LatinReporters.com
MADRID, vendredi 18 juillet 2008
(LatinReporters.com) - "Une photo pour l'histoire"
estime l'influent journal de centre gauche El Pais. Tous les grands quotidiens
espagnols publiaient en première page, le 18 juillet 2008, cette photographie
du roi Juan Carlos d'Espagne marchant, la veille, le bras sur l'épaule
d'Adolfo Suarez, premier président du gouvernement de la démocratie
post-franquiste.
Affligé par la maladie d'Alzheimer, Adolfo Suarez,
75 ans, n'a pas reconnu le souverain, venu lui remettre en sa résidence
madrilène la Toison d'or, la plus haute distinction espagnole.
Discret et émouvant, le cliché à été pris
par le fils de l'ex-chef du gouvernement, Adolfo Suarez Illana. "Mon père,
dit-il, ne reconnaît personne. Il n'a pas reconnu le roi, mais il a noté sa tendresse. Ils ont
vécu beaucoup de choses ensemble et ils sont arrivés à
la fin d'un chemin".
La mémoire perdue d'Adolfo Suarez est pour les historiens un
trésor évaporé avant d'avoir été palpé.
Ex-secrétaire général du Movimiento, le parti unique
franquiste, il mena pourtant, de 1976 à 1981 avec son Union du centre
démocratique (UCD), l'Espagne vers la démocratie. C'est le
roi Juan Carlos qui l'avait choisi comme président du gouvernement.
Les Espagnols doivent à Adolfo Suarez l'amnistie générale,
la légalisation de tous les partis politiques, y compris le communiste,
l'abolition de la censure, les premières élections démocratiques
du 15 juin 1977 et la nouvelle Constitution de 1978, qui reconnaît
les autonomies régionales réclamées alors surtout par
les Basques et les Catalans.
Sa démission, en janvier 1981, demeure l'objet de conjectures. Les
ambitions personnelles qui divisaient l'UCD et la grogne de l'armée,
à l'époque encore encore dominée par des officiers franquistes,
sont les deux causes les plus évoquées.
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Affiche électorale d'Adolfo Suarez (1977) |
C'est lors du vote parlementaire qui désignait le successeur d'Adolfo Suarez à
la présidence du gouvernement, le centriste Leopoldo Calvo Sotelo,
que quelque 200 gardes civils armés prirent en otages, le 23 février 1981, les
députés et le gouvernement.
Les caméras de télévision filmèrent
l'irruption au Parlement des putschistes commandés par le lieutenant-colonel
Antonio Tejero. Sous les coups de feu d'intimidation tirés en l'air
par les assaillants, on vit les centaines d'élus et les ministres
se coucher au sol. Restées assises ou debout, seules trois personnalités
sauvèrent alors par leur attitude physique la dignité institutionnelle:
Adolfo Suarez, son ministre de la Défense, le général
Manuel Gutierrez Mellado, et le leader communiste Santiago Carrillo.
Cette tentative de coup d'Etat militaire échoua quelques
heures plus tard grâce notamment à une intervention télévisée
du roi Juan Carlos, en grand uniforme de commandant en chef des armées.
Adolfo Suarez fut anobli en 1996 sous le titre de Duc de Suarez. Sa maladie, révélée en
2005, la perte prématurée de
sa femme et de sa fille aînée, emportées par le cancer, la nostalgie, ainsi que
l'importance mieux perçue de son rôle dans la transition entre dictature et
démocratie expliquent l'affection collective et/ou le respect voués aujourd'hui par les
Espagnols à l'ex-chef de l'exécutif, moins apprécié lorsqu'il
gouvernait le pays.