Accueil   |  Politique   |  Economie   |  Société   |  Pays+dossiers  

La "passivité" du gouvernement "revient à tolérer ces crimes" affirme Amnesty International

Mexique : assassinat de 370 femmes en dix ans à Ciudad Juárez et Chihuahua

Croix dans un ancien champ de coton où les corps de huit femmes ont été trouvés en nov. 2001, à Ciudad Juárez
© Amnesty International
MEXICO, lundi 11 août 2003 (Amnesty International) – "La passivité dont fait preuve le gouvernement mexicain face à dix années de meurtres et d'enlèvements touchant les femmes de l'État de Chihuahua remet sérieusement en cause sa capacité à faire de ses belles paroles sur les droits humains une réalité", a déclaré Irene Khan, secrétaire générale d'Amnesty International.

Au cours de sa première visite au Mexique, où elle rencontrera le président Vicente Fox, des ministres de son gouvernement, des dirigeants de partis politiques et des représentants de la société civile, Irene Khan fera campagne pour que les autorités fédérales interviennent de manière plus énergique en enquêtant sur les violences brutales et récurrentes infligées aux femmes dans les villes de Ciudad Juárez et Chihuahua, afin que les responsables soient déférés à la justice.

"Les autorités témoignent d'un manque flagrant de détermination pour élucider ces affaires, ce qui revient à tolérer ces crimes", a affirmé Irene Khan à l'occasion du lancement d'un rapport qui traite des meurtres et des enlèvements dont sont victimes les femmes de Ciudad Juárez et Chihuahua depuis dix ans. Elle s'était auparavant rendue à Ciudad Juárez, où elle avait rencontré des mères de femmes portées disparues et assassinées.

Les premiers cas d'enlèvements et de meurtres de femmes et de filles présentant des similitudes ont été signalés à Ciudad Juárez il y a dix ans.

Située dans le désert, à la frontière avec les États-Unis, cette ville est aujourd'hui la plus peuplée de l'État de Chihuahua. Au vu de sa position géographique, Ciudad Juárez est devenue un territoire propice au trafic de stupéfiants et autres activités du crime organisé, engendrant une violence et une insécurité élevées.

L'installation des maquiladoras (usines de montage), dont la rentabilité s'appuie largement sur une main d'oeuvre locale très bon marché, attire un très grand nombre de travailleurs venus d'autres régions du Mexique. Beaucoup sont des femmes vivant et travaillant dans des conditions précaires, ce qui les expose davantage encore aux risques de violences à motivations sexistes.

(Amnesty International)

Selon les chiffres officiels, 70 femmes sont toujours portées disparues à Ciudad Juárez et, plus récemment, dans la ville de Chihuahua. D'autres sources portent à 400 le nombre de femmes portées disparues depuis 1993. Leurs familles craignent le pire, étant donné le nombre alarmant de ces femmes que l'on a retrouvées assassinées des jours, voire des années, plus tard.

Les investigations d'Amnesty International ont établi qu'au cours des dix dernières années, quelque 370 femmes ont été tuées, dont au moins 137 ont subi des sévices sexuels avant de mourir. Soixante-quinze autres cadavres n'ont toujours pas été identifiés. On croit savoir que certains seraient ceux de femmes portées disparues, mais des enquêtes médicolégales manifestement insuffisantes n'ont pas permis de le confirmer.
VOIR AUSSI

Dossier
Droits de l'homme

Dossier Mexique

Nombre de ces femmes ont été enlevées, maintenues en captivité plusieurs jours durant et soumises à des humiliations, à des actes de torture et aux plus atroces sévices sexuels avant de périr. Pour la plupart, elles ont été asphyxiées par étranglement ou battues à mort. Leurs corps ont ensuite été retrouvés, dissimulés parmi des décombres ou abandonnés dans des zones désertes non loin de la ville.

Parmi les femmes portées disparues ou assassinées, beaucoup étaient employées dans les maquiladoras (usines de montage). Les assaillants ont également pris pour cible des serveuses, des étudiantes ou des femmes travaillant au sein de l'économie parallèle. En somme, ils ont choisi des jeunes femmes sans aucun pouvoir dans la société, ayant parfois des enfants à charge et issues de milieux défavorisés, dont la mort ne représente aucun enjeu politique pour les autorités locales.

"Pour nombre de femmes qui migrent à Ciudad Juárez et à Chihuahua en quête d'un emploi et de nouvelles opportunités, le rêve s'est transformé en cauchemar, se heurtant à la violence récurrente exercée contre les femmes ayant manifestement un caractère systématique, a indiqué Irene Khan.

"Il est révoltant que dans les premières années qui ont suivi les enlèvements et les meurtres, les autorités aient ouvertement fait preuve de discrimination à l'égard des femmes et de leur famille dans des déclarations publiques. Plus d'une fois, les femmes ont été rendues responsables de leur propre enlèvement ou meurtre, en raison de leur tenue vestimentaire ou parce qu'elles travaillaient dans des bars la nuit."

Selon le rapport d'Amnesty International, depuis dix ans, les autorités compétentes se sont abstenues de manière scandaleuse de prendre des mesures en vue d'enquêter sur ces crimes, que ce soit par indifférence, manque de volonté, négligence ou incapacité. L'organisation de défense des droits humains a constaté des retards injustifiables dans les premières tentatives visant à localiser les femmes portées disparues, une incapacité à assurer le suivi des éléments de preuve déterminants et des dépositions des témoins, ainsi que l'invention de preuves et le recours à la torture à l'égard de suspects. Dans d'autres affaires, les examens médicolégaux laissaient à désirer, à tel point que des informations contradictoires et inexactes ont été livrées aux familles quant à l'identité des dépouilles, redoublant leur détresse et bouleversant leur deuil.

"La souffrance des familles de ces femmes a été exacerbée à maintes et maintes reprises. Les autorités n'ont pas davantage prêté attention à leurs requêtes concernant l'ouverture d'une information judiciaire officielle dès le premier jour où une "disparition" est signalée, qu'à leurs revendications pour que justice soit rendue, a déploré Irene Khan.

"Les vrais protagonistes de cette tragédie sont les familles de ces femmes qui ont sans aucune aide extérieure bravé l'hostilité et se sont battues en faveur de la justice", a-t-elle poursuivi, faisant référence aux menaces et à l'intimidation qu'ont subies les proches, les avocats et les membres d'organisations non gouvernementales (ONG). Mettant en évidence la manière dont les autorités de l'État ont systématiquement cherché à dénigrer les familles et leur combat, elle a invité les autorités à respecter leur dignité et leur droit à participer activement au processus d'enquête.

Les autorités de l'État affirment que la plupart des meurtres ont été "élucidés". Certes, selon leurs chiffres, 79 personnes ont été déclarées coupables. Mais dans la vaste majorité des affaires, la justice n'a pas été rendue. En outre, la qualité des enquêtes et les allégations de torture émanant des suspects détenus dans le cadre de ces meurtres portent à douter de l'intégrité des procédures pénales engagées contre nombre des personnes arrêtées. Pendant ce temps, année après année, les crimes se poursuivent.

"Les affaires de Ciudad Juárez et Chichuahua incarnent les déficiences de l'administration de la justice à l'échelle nationale", a affirmé Irene Khan.

Le Mexique se doit d'entreprendre de toute urgence une importante réforme structurelle de son système judiciaire, afin qu'au travers de ses mécanismes et procédures d'enquête, les victimes obtiennent pleinement justice et les accusés bénéficient d'un procès équitable. Mené dans le cadre de l'accord d'assistance technique, le "Diagnostic" en matière de droits humains offre une occasion idéale de remédier à ces graves problèmes structurels. Signé entre le gouvernement mexicain et le Bureau du haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, cet accord s'appuie sur les observations de la société civile mexicaine et les recommandations des organes internationaux relatifs aux droits humains.

"Le diagnostic en matière de droits humains et le programme qui en résultera requièrent l'appui public et sans équivoque des autorités fédérales au plus haut niveau, a précisé Irene Khan. La capacité à élucider des affaires comme celles des meurtres de Ciudad Juárez permettra d'évaluer l'efficacité du processus de réforme."

Tout en saluant les avancées prometteuses telles que la récente création d'une sous-commission interinstitutionnelle, chargée sous les auspices du Secretaría de Gobernación (ministère de l'Intérieur) d'examiner de près les affaires de Ciudad Juárez, Irene Khan a émis une réserve : "Nous devons considérer ces mesures positives à la lumière de dix années de promesses creuses et du refus persistant d'impliquer les proches des victimes dans ces initiatives. Il est temps que s'achèvent dix années de crimes intolérables.

"Le président Fox et son gouvernement se sont engagés à promouvoir la protection des droits humains à tous les niveaux, tant au Mexique qu'à l'extérieur des frontières. Les affaires de ces femmes assassinées et portées disparues à Ciudad Juárez et Chichuahua contribuent dans une large mesure à miner la crédibilité de ces engagements.

"La mise en oeuvre intégrale des recommandations d'Amnesty International et d'autres organisations permettra de faire clairement savoir que les autorités ne tolèrent pas ces meurtres ni ces enlèvements", a conclu Mme Khan.

(Rappel: ce texte est un communiqué de presse de l'organisation de défense des droits humains Amnesty International)

Réagissez en rappelant titre et/ou date de l'article

  - Réaction de MARC DELOUCHE

  Accueil   |  Politique   |  Economie   |  Société   |  Pays+dossiers  
 

LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne