BUENOS AIRES, vendredi 2 septembre 2011 (LatinReporters.com) - "La crise
libyenne a interrompu le rapprochement entre Brasilia et Washington", "le
dénouement du conflit a mis en évidence les divergences au
sein de l'Unasur (Union des nations sud-américaines) en matière
internationale" et la décision de Hugo Chavez de rapatrier l'or vénézuélien
"est la conséquence de l'efficacité avec laquelle ont été
saisis les avoirs de la Libye à l'extérieur" estime Rosendo
Fraga, directeur du think tank argentin Centro de Estudios Nueva Mayoría (CENM).
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Hugo Chavez offre à Mouammar Kadhafi une réplique de l'épée
de Simon Bolivar, "libertador" historique d'une grande partie de l'Amérique
du Sud. (Archives - Venezuela, 28 septembre 2009, Photo Prensa
Presidencial) |
Observant l'évolution socio-politique de l'Amérique latine,
le CENM conseille forces politiques et organisations sociales. Certaines de
ses analyses sont diffusées sur le site
NuevaMayoria.com.
Membre aussi du Conseil argentin des relations internationales, Rosendo Fraga est un chroniqueur
habituel des principaux quotidiens argentins (Clarín, La Nación,
Ambito Financiero, Página 12, etc.).
Éloignement Washington - Brasilia
"L'Iran fut la cause de l'éloignement entre Washington et Brasilia
lors de la phase finale du second mandat de [l'ex-président brésilien]
Lula. La tentative de médiation conjointe du Brésil et de la
Turquie dans le conflit entre l'Iran et les puissances occidentales sur le
dossier nucléaire provoqua cette distanciation" rappelle Rosendo Fraga
dans une analyse intitulée
"
Répercussions
du conflit libyen en Amérique latine".
"Avec [l'actuelle présidente du Brésil] Dilma Rousseff, cela
a changé. Au cours des premiers mois de sa gestion, elle chercha à
améliorer les relations avec les Etats-Unis, prévoyant une
visite officielle dans ce pays en 2012. La présidente brésilienne
a assumé une posture plus critique que celle de son prédécesseur
[Luiz Inacio Lula da Silva] à l'égard des dictatures du monde
émergent et, en particulier, elle effectua un virage dans le dossier
iranien" poursuit l'analyste argentin.
Mais il constate que "le conflit libyen a remis en évidence des différences
entre les visions internationales du Brésil et des États-Unis".
Brasilia n'a pas approuvé l'intervention militaire occidentale en
Libye, menée par l'OTAN sous couvert du Conseil de sécurité
de l'ONU. "Quoique le Brésil ait une tradition de non-intervention,
son attitude dans le conflit libyen s'inscrit désormais dans une stratégie
internationale d'acteur global ou de puissance émergente" estime Rosendo
Fraga. Il qualifie de "différence importante" par rapport aux puissances
occidentales le fait de ne pas reconnaître le nouveau gouvernement
libyen.
Les observateurs notent que le Brésil, qui a des intérêts
pétroliers en Libye, n'a effectivement pas reconnu le Conseil national
de transition (CNT), instance dirigeante de la rébellion libyenne.
Selon Brasilia, il appartient à l'ONU de définir le futur de
la Libye et de se prononcer sur la légitimité de son gouvernement.
A la conférence internationale de soutien à la "Libye nouvelle", le 1er septembre
à Paris, le Brésil était modestement représenté
par son ambassadeur au Caire, Cesario Melantonio.
Au sein de l'Unasur, trois positions différentes
La crise en Syrie révèle également des divergences entre
Brasilia et Washington, affirme Rosendo Fraga. Il relève que si les
présidents américain et français, Barack Obama et Nicolas
Sarkozy, "ont réclamé publiquement la démission" du
président syrien Bachar el-Assad, par contre le Brésil, associé
à l'Inde et à l'Afrique du Sud, "tente d'ouvrir une médiation
dans le conflit syrien", alors que "la chute de Kadhafi a renforcé
les réformistes syriens, qui se transforment en rebelles et demandent
l'intervention de l'OTAN".
Au sein aussi de l'Unasur, qui englobe les 12 Etats de l'Amérique
du Sud, le conflit libyen a soulevé des divergences, mises en lumière
les 18 et 19 août à Buenos Aires lors d'une réunion des
ministres des Affaires étrangères des pays de
l'organisation.
Le directeur du CENM écrit à ce propos : "On enregistra deux
positions extrêmes. La Colombie, conformément à son alignement
stratégique sur Washington, a déjà reconnu le nouveau
gouvernement libyen, tandis qu'à l'autre l'extrême, le Venezuela
continue à reconnaître Kadhafi. Le Brésil, lui, maintient
une position intermédiaire, attendant - comme d'autres puissances
émergentes - l'évolution des événements pour reconnaître
ou non le nouveau gouvernement. Le ministre vénézuélien
des Affaires étrangères n'obtint que la condamnation par l'Unasur
de l'attaque de son ambassade à Tripoli par des groupes rebelles.
Affichant ainsi au moins trois positions différentes à l'égard
de ce conflit, les douze pays du groupe régional ont mis en évidence
leurs limites en tant qu'acteur global".
Rapatriement de l'or vénézuélien
Quant à la décision du président Hugo Chavez de rapatrier
les réserves d'or du Venezuela déposées dans des banques
occidentales, Rosendo Fraga y voit une conséquence du conflit libyen
et plus précisément une "conséquence de l'efficacité
avec laquelle ont été saisis les avoirs de la Libye à
l'extérieur, dans les pays développés". L'analyste admet
néanmoins que "l'incertitude générée par la crise
économico-financière globale" pesa également dans la
décision de Chavez.
Dans ce contexte, LatinReporters croit pertinent de rappeler que lors d'un
récent discours télévisé, le 21 août, Hugo
Chavez accusait l'opposition de préparer au Venezuela des vagues de
violences comparables à celles qui ont déferlé sur la
Libye et la Syrie afin de justifier une intervention de "l'impérialisme"
pour s'emparer du pétrole vénézuélien.
Mais des opposants se demandent si, pour se décider à rapatrier
l'or national, Chavez n'avait pas plutôt évalué les conséquences
d'événements graves que provoquerait prochainement son propre
régime bolivarien, au risque d'un gel par la communauté internationale
des avoirs extérieurs du Venezuela, comme ceux de la Libye. Des troubles
majeurs découleraient par exemple du refus d'accepter une éventuelle
victoire de l'opposition à l'élection présidentielle
de 2012, à laquelle Chavez s'est déjà porté candidat,
ou d'une altération accentuée des garanties d'une élection
démocratique.
Lorsqu'ils affirment n'être pas disposés à reconnaître
d'autre chef que Hugo Chavez, des généraux ne dissipent pas
les craintes. Le cancer du président vénézuélien
non plus. Dans son rapport
"
Violence
et politique au Venezuela" publié
le 17 août, l'International Crisis Group redoute l'éclatement
d'une "violence meurtrière" pouvant provoquer "la perte de milliers
de vies" et "menacer sérieusement la stabilité du pays et de
la région".