Dimanche 20 mars 2011 (LatinReporters.com) - La tournée actuelle
en Amérique latine (Brésil, Chili, Salvador) du président des Etats-Unis, Barack
Obama, et la convocation par le président français, Nicolas
Sarkozy, du "Sommet de Paris pour le soutien au peuple libyen", qui s'est
tenu le 19 mars, ont pu faire croire à Mouammar Kadhafi qu'il disposait
d'un délai suffisant pour prendre Benghazi, chef-lieu de la rébellion
contre son régime. Mais en attaquant cette ville, il a précipité
l'intervention armée internationale, ouverte par la France.
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Le président des Etats-Unis, Barack Obama, reçu le
19 mars 2011 à Brasilia par la présidente pacifiste du Brésil,
l'ex-guérillera Dilma Rousseff, au moment où s'ouvre une nouvelle guerre en Libye. (Photo José Cruz / ABr) |
Après les premières frappes aériennes
françaises, le 19 mars en fin d'après-midi, contre des véhicules
et des chars des forces gouvernementales libyennes, les Etats-Unis et le
Royaume-Uni ont lancé en soirée une vague d'environ 110 missiles
de croisière Tomahawk, a annoncé l'amiral américain
William Gortney lors d'un point presse au Pentagone. Les missiles ont été
envoyés depuis des navires et des sous-marins et ont touché
"plus de 20 objectifs" parmi lesquels des systèmes de défense
anti-aérienne et des noeuds de communication stratégiques,
tous situés sur la côte, a précisé le militaire.
La France a engagé un vingtaine d'appareils, dont huit chasseurs Rafale.
Le porte-avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle devait
appareiller ce dimanche 20 mars de Toulon en direction de la Libye. Le Qatar,
plusieurs pays européens (Belgique, Pays-Bas, Danemark, Norvège,
Espagne) et le Canada, ont confirmé au sommet de Paris leur volonté
de participer aussi aux opérations militaires, en fournissant des
avions. L'Espagne offre en outre, comme l'Italie, l'usage de bases.
Frappes militaires couvertes par l'ONU
L'action de la coalition internationale contre la Libye est couverte par la
résolution
1973 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies
(ONU). Elle autorisait le 17 mars la communauté internationale "à
prendre toutes les mesures nécessaires" afin de "protéger
les civils et les zones peuplées de civils sous la menace d'attaques
en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant une
occupation par la force". La résolution du Conseil prévoit
notamment la mise en place "d'une zone d'exclusion aérienne" pour
clouer au sol l'aviation militaire libyenne.
Le Conseil de sécurité a condamné "les violations systématiques
des droits de l'homme y compris la détention arbitraire, les disparitions
forcées et les exécutions sommaires" et a rappelé
"la condamnation par la Ligue arabe, l'Union africaine et le Secrétaire
général de l'Organisation de la Conférence islamique
des violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire international
qui ont été commises en Libye" par le régime du colonel
Kadhafi pour tenter de réduire la vive contestation populaire qu'il
affronte depuis un mois. La Cour pénale internationale de La
Haye (CPI) a ouvert une enquête pour crimes présumés
contre l'humanité.
Les 15 membres du Conseil de sécurité avaient adopté
cette résolution par dix voix (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Afrique
du Sud, Bosnie-Herzégovine, Colombie, Gabon, Liban, Nigéria
et Portugal) et cinq abstentions (Chine, Russie, Allemagne, Brésil et Inde).
Avant le vote, le ministre des Affaires étrangères français,
Alain Juppé, avait annoncé des frappes aériennes quasi
immédiates sur la Libye si la résolution était adoptée,
car, disait-il, "nous n'avons plus beaucoup de temps. C'est une question
de jours. C'est peut-être une question d'heures. Chaque jour, chaque
heure qui passe resserre l'étau des forces de la répression
autour des populations civiles". Paris et Londres affirmaient en outre
depuis plusieurs jours avoir déjà élaboré des
plans d'intervention.
En Amérique latine, Obama n'a pas intérêt à apparaître
comme un va-t-en-guerre
Mais voilà qu'après le feu vert du Conseil de sécurité,
le président Sarkozy convoquait le "Sommet de Paris pour
le soutien au peuple libyen", invitant l'ONU,
les principaux pays de l'UE, des pays arabes et la Ligue arabe, ainsi que
les Etats-Unis et le Canada à y définir leur rôle et
leur degré d'implication dans la mise en oeuvre de la résolution.
Le colonel Kadhafi a pu en déduire logiquement, quoiqu'au risque de
se tromper, qu'aucun plan précis d'intervention ne le visait à
ce moment. Et ce d'autant que le jour même du sommet de Paris, le 19
mars, le président Barack Obama s'envolait pour une tournée
de cinq jours au Brésil, au Chili et au Salvador, avec l'ambition
avouée d'accéder au pétrole brésilien et de relancer
avec l'Amérique latine les échanges commerciaux pour soutenir
l'emploi aux Etats-Unis.
Dans cette région qui apprécie peu,
pour en avoir souffert, l'interventionnisme militaire américain, il
était logique aussi de croire que Barack Obama, déjà
englué en Irak et en Afghanistan, éviterait, au moins jusqu'à
la fin de sa tournée, d'apparaître comme un va-t-en-guerre pour
une intervention en Libye que le Brésil n'avait pas approuvée
au Conseil de sécurité.
De là sans doute le coup de poker de Kadhafi. Au matin du 19 mars,
ses chars pénétraient dans Benghazi, malgré le cessez-le-feu
qu'il avait proclamé la veille. Contrôler ce chef-lieu de la
rébellion et deuxième ville de Libye pouvait lui conférer
une position de force dans toute négociation et, si sa victoire mettait
fin aux combats, restreindre les prétextes à une intervention
militaire étrangère.
A Paris, Nicolas Sarkozy comprit soudain qu'il ne demeurerait pas roi de
Jérusalem s'il ne brisait pas l'élan de Saladin. Pour désserrer
l'étau sur Benghazi, les Rafale se sont envolés. L'avion de
Dassault s'offre ainsi une vitrine internationale retentissante au moment
où, au Brésil, Barack Obama tente de convaincre l'ex-guérillera
devenue présidente pacifiste, Dilma Rousseff, d'acheter plutôt
le F-18 de Boeing.
Profil bas d'Obama et réaction de Chavez
Contraint de suivre l'offensive déclenchée par Paris en pleine
tournée latino-américaine, le président des Etats-Unis
s'efforce de maintenir un profil bas. A Brasilia, il a annoncé aux
journalistes avoir autorisé une "action militaire limitée"
en Libye, assurant avec insistance que "nous ne déploierons pas de
troupes américaines au sol".
La crainte de l'irruption du dossier libyen et de manifestations annoncées
contre sa visite par divers partis de gauche et mouvements sociaux brésiliens
explique qu'Obama se retranchera dans le théâtre municipal,
qui peut abriter 2.000 personnes, pour prononcer ce dimanche 20 mars à
Rio de Janeiro un discours dédié à tous les Brésiliens.
Initialement, il était prévu que le président américain
s'adresse à 30.000 personnes sur la place symbolique de Cinelandia.
Au Venezuela, les frappes contre la Libye ont été jugées
"irresponsables" par le président Hugo Chavez, demeuré ami
et allié de Mouammar Kadhafi malgré sa répression brutale
du peuple libyen. Selon Chavez, "il est lamentable que l'ONU se soit prêtée
à avaliser cette guerre au lieu d'envoyer en Libye une commission
d'enquête". Mais en juillet 2010, alors que des bruits de botte retentissaient
entre Bogota et Caracas, la Colombie accusant le Venezuela d'abriter des
camps de la guérilla marxiste colombienne des FARC, Hugo Chavez avait
refusé d'accueillir une commission d'enquête de l'Organisation
des Etats américains.