Vendredi 25 mars 2011 (LatinReporters.com) - Au Brésil,
au Chili et au Salvador, du 19 au 23 mars, la première tournée
de Barack Obama en Amérique latine, redevenue économiquement
essentielle aux yeux de Washington, a été bousculée par
la crise libyenne. Cette malchance serait compensée à la condition
très incertaine que perdure dans le souvenir collectif latino-américain
l'image du président des Etats-Unis se recueillant à San Salvador
devant la tombe de l'archevêque martyr Oscar Romero.
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Devant la tombe de l'archevêque martyr Oscar Romero, le 22 mars 2011
dans la crypte de la cathédrale de San Salvador, le président
Obama est entouré de l'archevêque de la ville, Mgr José
Luis Escobar, et du président du Salvador, Mauricio Funes. (Photo
Presidencia) |
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Cette image forte valait à elle seule le voyage d'un président
qui auparavant, en deux ans de mandat, n'avait effectué au sud du Rio
Grande que deux sauts au Mexique et un autre à Trinité-et-Tobago
pour le Ve Sommet des Amériques.
Jamais avant Barack Obama un locataire de la Maison blanche n'avait honoré la
mémoire de celui qu'on appelait "la voix des sans voix". L'archevêque
Oscar Romero avait 62 ans lorsqu'un des escadrons de la mort formés
par des paramilitaires l'exécuta d'une balle dans le coeur en pleine
messe, sous les yeux d'une multitude de fidèles.
Le crime fut commis le 24 mars 1980, au début de la guerre civile
salvadorienne. Elle fit 75.000 morts jusqu'en 1992. Mgr Romero s'était
érigé en référence morale contre la violence
et les injustices frappant les plus humbles. Les Etats-Unis soutenaient
à l'époque le gouvernement et les militaires du Salvador contre
la guérilla marxiste du Front Farabundo Marti pour la libération
nationale (FMLN), appuyée par Cuba et par le Nicaragua sandiniste.
"Mgr Romero est le Gandhi de l'Amérique latine (...) Obama est le
premier président nord-américain à lui rendre hommage.
C'est une façon d'admettre la transcendance du crime commis et de reconnaître
de quel côté se situait la raison en ces années sauvages
au cours desquelles les intérêts stratégiques justifiaient
toute atrocité" estime l'envoyé spécial pour la visite
d'Obama du quotidien espagnol El Pais.
Mais l'étape salvadorienne, centrée sur les problèmes
migratoires et la sécurité face à la délinquance
et au narcotrafic, était la dernière de la tournée d'Obama.
Une étape parcourue au pas de course et même écourtée
pour revenir suivre la crise libyenne à Washington. Dommage pour le
symbolisme, pas assez exploité pour cause d'urgence. Il était
pourtant double, puisqu'au Salvador Barack Obama faisait un pied de nez au
président vénézuélien Hugo Chavez, bête
noire des Etats-Unis, en étant reçu à bras ouverts par
un président de gauche, l'ex-journaliste Mauricio Funes. Elu en mars 2009
sous la bannière du FMLN, le président salvadorien a résisté
depuis à la radicalisation et aux pétrodollars du maître
de Caracas.
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Barack Obama a allumé une bougie à la mémoire de Mgr Romero.
(Photo Presidencia) |
Pétrole brésilien : "les Etats-Unis veulent être un grand
client"
Au Brésil, puis au Chili, fleurons d'une région qui grâce
à ses exportations vers la Chine et l'Inde a proportionnellement mieux résisté
à la crise que l'Amérique du Nord, le président
Obama s'était présenté sans complexe tel un démarcheur
commercial convoitant les sources d'énergie, surtout le pétrole
brésilien, et les opportunités d'exportation qui réduiraient
le chômage aux Etats-Unis.
Aux côtés de la présidente brésilienne Dilma
Rousseff qu'il rencontrait pour la première fois, Obama déclarait
par exemple à Brasilia : "Le Brésil se préparant à
recevoir la Coupe du monde [de football, en 2014] et les Jeux olympiques d'été
[de 2016], nous nous assurons que les compagnies américaines
puissent jouer un rôle dans les nombreux projets d'infrastructure nécessaires".
Ou encore : "Nous ouvrons un nouveau dialogue stratégique sur l'énergie
pour nous assurer que nos gouvernements travaillent ensemble au plus haut
niveau pour mettre à profit de nouvelles opportunités. A propos,
en particulier, des nouvelles découvertes de pétrole au large
du Brésil, la présidente Rousseff a dit que le Brésil
veut être un fournisseur important de nouvelles sources stables d'énergie
et je lui ai dit que les Etats-Unis veulent être un grand client, ce
qui serait un gain pour nos deux pays".
Le
discours de Rio de Janeiro adressé par Obama
au peuple
brésilien, puis celui de Santiago du Chili
à l'Amérique
latine toute entière,
présentaient le même canevas : éloge de gouvernements
et de peuples latino-américains qui, Obama tentant là de surfer
sur l'actualité dérangeante, devraient servir de modèle
à la démocratisation des pays arabes en ébullition; promesses
aussi d'un développement social et politique plus riche, par une collaboration
entre partenaires égaux, avec droits et devoirs réciproques,
dans la conscience que "nous sommes tous des Américains".
Barack Obama a reçu confirmation de l'ambition de Brasilia d'accéder
à davantage de responsabilités dans la gouvernance financière
et politique mondiale. Comme son prédécesseur Luiz Inacio Lula
da Silva (qui a boudé la visite d'Obama), la présidente Dilma
Rousseff veut pour le Brésil un siège permanent au Conseil de
sécurité des Nations unies. Le président Obama en a
pris note, mais s'est abstenu de s'engager, d'autant que Brasilia n'était
pas sur la même longueur d'onde que Washington en s'abstenant au Conseil
de sécurité, le 17 mars dernier, sur le feu vert à l'intervention
armée en Libye contre la répression menée par l'armée
du colonel Kadhafi.
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Barack Obama reçu par la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, le 19 mars 2011 à Brasilia. (Photo José Cruz / ABr) |
Au palais de La Moneda, pas de retour sur le passé
Autre abstention très remarquée de Barack Obama : contrairement
à ce que réclamaient des manifestants chiliens et souhaitaient
nombre de Latino-Américains, il n'a pas demandé pardon pour
l'appui des Etats-Unis à la dictature chilienne du général Augusto
Pinochet en prononçant son discours à l'Amérique latine
dans un lieu aussi symbolique que le palais présidentiel de La Moneda,
à Santiago du Chili. Le président socialiste Salvador Allende
s'y était suicidé lors du coup d'état militaire de Pinochet, le 11
septembre 1973. Comme au dernier sommet des Amériques, Barack Obama
a incité l'Amérique latine à "ne pas être prisonnière
du passé". Dans la foulée, il s'en est pris à la dictature
cubaine et à "certains leaders qui recourent à des idéologies
qui ont fait faillite pour réduire au silence leurs opposants".
Quelques heures seulement après que Barack Obama se soit envolé
du Brésil vers le Chili, Dilma Rousseff réclamait, par une note
de son ministère des Affaires étrangères, "un cessez-le-feu
effectif en Libye". Le président du géant pétrolier brésilien
Petrobras, José Sergio Gabrielli, avertissait pour sa
part Barack Obama qu'il devrait faire des concessions commerciales pour accéder
au pétrole brésilien.
L'éditorialiste du journal conservateur chilien El Mercurio, favorable
en principe aux Etats-Unis, traçait les limites de la tournée
présidentielle américaine en soulignant qu'il
faudra plus que des mots pour convaincre qu'un nouveau chapitre est en train
de s'écrire.
Même l'enthousiasme pro-américain du président
chilien, le milliardaire Sebastian Piñera, a été parsemé
de remarques. Il a estimé que pour relancer le commerce interaméricain
comme le souhaite Barack Obama, il conviendrait notamment que Washington élargisse
son accord de libre-échange avec le Chili et ratifie enfin les accords
de libre-échange signés par les Etats-Unis en 2006 avec la Colombie et
en 2007 avec le Panama.
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Barack et Michelle Obama, le 21 mars 2011 à Santiago du Chili, avec le président chilien,
Sebastian Piñera, et son épouse, Cecilia Morel. (White House Photo by Pete Souza) |