MADRID / ASUNCION, dimanche 30 octobre 2011 (LatinReporters.com) - Selon
divers médias et analystes, la crise politico-économique qui
frappe l'Europe saperait l'influence diplomatique du Vieux continent et en
particulier de l'Espagne, comme en témoignerait l'absence de la majorité
des chefs d'Etat d'Amérique latine invités au 21e sommet ibéro-américain,
le 29 octobre à Asuncion, capitale du Paraguay.
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XXIe sommet ibéro-américain, le 29 octobre 2011 à
Asuncion. De gauche à droite au 1er plan : José Luis Rodriguez
Zapatero, président du gouvernement espagnol, le roi Juan Carlos d'Espagne
et Fernando Lugo, président du Paraguay et hôte du sommet. (Photo
Galeria de Fernando Lugo APC) |
"L'Amérique latine tourne le dos à l'Europe" titrait samedi
à la une l'influent quotidien espagnol El Pais (centre gauche). Il
constatait déjà l'absence de 11 des 21 chefs d'Etat invités par le président
paraguayen Fernando Lugo et par le secrétariat général
ibéro-américain, dont le siège est à Madrid.
Les absents avaient invoqué des raisons d'agenda, de santé
ou de force majeure (inondations en Amérique centrale) pour se faire
représenter au niveau ministériel. Brésil, Argentine,
Venezuela, Colombie, Uruguay, Cuba, Costa Rica, Salvador, Nicaragua, Honduras
et République dominicaine étaient les onze pays ainsi sous-représentés.
Convoqué sur le thème "Transformation de l'Etat et développement",
thème éclipsé par la crise économique globale,
le sommet a donc été dévalué par l'absence de
poids lourds tels que la Brésilienne Dilma Rousseff, l'Argentine Cristina
Fernandez de Kirchner, le Vénézuélien Hugo Chavez, le Colombien Juan
Manuel Santos et le Cubain Raul Castro. Leur défection fut d'autant plus significative
que la partie européenne, elle, était représentée
au plus haut niveau : l'Espagne par le roi Juan Carlos et par le président
du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero; le Portugal par son
président, Anibal Cavaco Silva, et son Premier ministre, Pedro Passos Coelho.
Il est significatif aussi que ceux qui n'ont pas fait le déplacement
n'aient donc pas jugé utile de venir saluer une dernière fois
M. Zapatero, qui quittera le pouvoir après les élections législatives
espagnoles du 20 novembre.
Sommets ibéro-américains "blessés à mort"?
Parlant de "faux bond sans précédent" en deux décennies
de sommets ibéro-américains annuels, El Pais souligne que "même
l'intervention personnelle du roi Juan Carlos pour tenter de convaincre certains
mandataires [de venir à Asuncion] n'a pas eu de succès". Et
d'ajouter : "L'Amérique latine a cessé de regarder l'Europe.
La Chine est son nouvel objectif".
Selon l'envoyé spécial du journal madrilène à
Asuncion, "les sommets ibéro-américains, nés en 1991
à Guadalajara (Mexique) pour forger une communauté entre les
anciennes métropoles ibériques et leurs ex-colonies américaines,
sont blessés à mort (...) L'Amérique latine, avec une
croissance annuelle proche de 5% du PIB, regarde par dessus l'épaule
l'économie européenne affligée, spécialement
l'Espagne et le Portugal, à l'épicentre de la crise de la dette".
Le même journaliste, Miguel Gonzalez, cite dans ce contexte des sources
diplomatiques latino-américaines selon lesquelles "l'Espagne n'a pas
encore compris que ce sont maintenant les nations ibéro-américaines
qui peuvent lui tendre la main et non le contraire".
Le quotidien conservateur espagnol La Razon était sur la même
longueur d'onde en prévoyant avec perspicacité que "Zapatero
ne fera pas précisément un parcours triomphal au sommet
(...) Le mandataire espagnol devra expliquer à ses collègues
[d'Amérique latine] les motifs pour lesquels l'ancienne métropole,
avec ses cinq millions de chômeurs, n'est désormais plus ce qu'elle était
et il devra prendre note des recettes économiques
du Brésil et de l'Argentine".
"L'Espagne a perdu beaucoup d'influence dans la région ces dernières
années à cause de la crise économique" insistait, cité
par La Razon, Bernardino Cano, professeur de Sciences politiques à
l'Université nationale d'Asuncion.
On en déduirait que l'Espagne, mais non nécessairement l'Europe dans son ensemble,
était peut-être la cible de l'offense infligée de facto
par les chefs d'Etat qui ont boudé le sommet d'Asuncion. Qu'auraient-ils
gagné à entendre le socialiste Zapatero, arrivé au sommet
auréolé d'un record de 4.978.300 chômeurs (21,52 % de
la population active espagnole), leur dire au nom de l'Europe, sans avoir
été mandaté par l'Union européenne, que la consolidation
fiscale et la réduction du déficit budgétaire demeurent
la route à suivre, mais qu'une politique de "stimulation de l'activité
économique" est vivement recommandée aux pays "qui ont encore
une marge de manoeuvre"?
Le Paraguay, hôte du sommet, n'a pas que des amis dans la région
Les absences au 21e sommet ibéro-américain avaient sans doute
aussi des causes régionales. Taxant d'antidémocratique l'évolution
du régime instauré par Hugo Chavez à Caracas,
le Parlement du Paraguay, que le président de gauche Fernando Lugo
ne contrôle pas, n'a toujours pas donné son indispensable
feu vert à l'adhésion du Venezuela au Mercosur (Marché
commun du Sud), approuvée en 2006 par les gouvernements des quatre
pays fondateurs (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). A cet égard,
la presse tant espagnole que paraguayenne estime que l'absence au sommet
des présidents de ses trois partenaires du Mercosur, ainsi celle de
Hugo Chavez ont été pour le Paraguay une gifle diplomatique
peut-être préméditée.
Enfin, des dossiers bilatéraux, notamment le partage de la production et des bénéfices
des centrales hydroélectriques frontalières d'Itaipu et de
Yacyreta, compliquent les relations entre le Paraguay et ses deux grands
voisins, le Brésil et l'Argentine. "Tandis que de nombreux 'progressistes'
s'occupent de combattre de lointains 'centres de domination', nous, les Paraguayens,
supportons le plus exécrable impérialisme de la part de deux
nations voisines autoproclamées soeurs" enrageait le 29 octobre l'éditorialiste
d'ABC Color, principal quotidien du Paraguay. L'hôte du sommet, le
président Fernando Lugo, visa lui aussi implicitement Brasilia et
Buenos Aires en réclamant une solidarité régionale plus
réelle et moins verbale.
Le socialiste radical Rafael Correa, président de l'Equateur, a remonté
l'ambiance par sa sortie bruyante de séance plénière
afin de ne pas écouter Pamela Cox, représentante pour
l'Amérique latine de l'institution "néolibérale soumise
aux intérêts hégémoniques" que serait la Banque
mondiale.
La
Déclaration
d'Asuncion qui a clôturé le sommet vise,
en 58 points, à protéger "les secteurs les plus vulnérables
en temps de crise", impulsant des politiques qui garantiraient l'investissement
social. Un autre document, dit
Programme
d'action d'Asuncion, trace les lignes prioritaires
d'une nouvelle coopération ibéro-américaine, avec une
attention particulière pour la coopération sud-sud.
Ces textes grossiront-ils ce que Juan Jesus Aznarez, analyste d'El Pais, appelle "les
avalanches de rhétorique et d'inaccomplissements qui ont enseveli la
crédibilité des sommets ibéro-américains"? Rendez-vous,
néanmoins, dans un an au sud de l'Espagne, à Cadix, pour le
22e sommet ibéro-américain.