Argentine: union nationale et dollarisation totale pour affronter la faillite?Analyse, par Christian Galloy
La confiance, facteur clef absent aujourd'hui en Argentine, doit être rétablie tant sur le plan politique qu'économique. Dans l'incertitude accentuée par la suspension de l'aide du Fonds monétaire international (FMI), la dette publique argentine de 132 milliards de dollars risque d'être très vite l'objet du moratoire le plus gigantesque, en valeur nominale, de l'histoire mondiale.
Financièrement, cette double gifle jette l'Argentine dans un cul-de-sac. Le remboursement de deux milliards de dollars attendu par ses créanciers en décembre risque de se révéler impossible. La banqueroute devient une réalité proche. L'explosion de la bourse de Buenos Aires, dont l'indice Merval a progressé de 18,6% en deux jours (mercredi et jeudi), témoigne paradoxalement de la panique. Les actions sont en effet devenues des valeurs refuges dans la crainte d'une dévaluation du peso ou d'un effondrement du système bancaire évité de justesse par des restrictions monétaires appliquées depuis lundi. En outre, l'achat par chèque d'actions négociables à l'étranger permet de contourner les nouvelles restrictions sur les retraits d'argent liquide, limités mensuellement à 1.000 dollars ou pesos par compte bancaire.
Politiquement, ce marasme a fait subir à l'Alliance de centre gauche du président Fernando de la Rua un affront cinglant aux élections législatives du 14 octobre dernier. L'opposition justicialiste (péroniste) obtenait alors 40% des suffrages contre 23 % à l'Alliance. Les péronistes dominent et président aujourd'hui le sénat et la chambre des députés. Socialement, le mécontentement est confirmé par une nouvelle grève générale, convoquée pour le 13 décembre par les deux grands syndicats argentins contre les nouvelles restrictions monétaires (surtout contre l'interdiction de retirer mensuellement plus de 1.000 dollars ou pesos de chaque compte bancaire). Le climat social est explosif depuis la réduction de 13%, à partir d'août dernier, des salaires des fonctionnaires et des retraites. La méfiance internationale à l'égard de l'Argentine
avait fortement grandi en juin dernier, lorsque le ministre de l'Economie,
Domingo Cavallo, remplaça le couple peso-dollar par le trio euro-peso-dollar
pour définir le taux de change dans les opérations de commerce
extérieur. Il s'agisssait de faire profiter les exportateurs argentins
de la faiblesse de l'euro par rapport au dollar. Les analystes assimilèrent
la manoeuvre à une dévaluation de fait du peso. Cette gymnastique monétaire est peu appréciée par les investisseurs dans un continent où l'euro n'est encore qu'une valeur exotique. Domingo Cavallo a d'autant plus surpris qu'il avait instauré lui-même en 1991, sous la présidence péroniste de Carlos Menem, la dollarisation partielle de l'Argentine et la parité fixe un peso = un dollar. L'Argentine déjà en défaut de paiement Plusieurs agences internationales de notation financière plaçaient déjà le mois dernier l'Argentine dans la catégorie des pays en défaut de paiement, pour modification unilatérale des conditions octroyées à ses créanciers. Dans le cadre de la restructuration de sa dette publique, l'Argentine oblige en effet ses créanciers à accepter de nouveaux titres du Trésor argentin portant un intérêt maximum de 7% en échange de titres servant en moyenne 11%. Quant au risque-pays argentin, qui mesure les risques des investisseurs, il atteignait jeudi le score sidéral de 3.988 points, quatre fois plus que le risque-pays turc. Le retour de la confiance nationale et internationale passe nécessairement soit par un départ anticipé, deux ans avant la fin de son mandat, du président Fernando de la Rua et de ses ministres, soit par un élargissement du gouvernement à l'opposition péroniste. La seconde formule serait moins traumatisante. Majoritaires au sénat et à la chambre des députés, gouvernant les deux tiers des provinces argentines, les péronistes apporteraient à l'exécutif une véritable base politique. Cette unité nationale provisoire faciliterait une éventuelle dollarisation totale de l'économie. Les partisans de la dollarisation intégrale estiment qu'elle rendra impossible toute dévaluation, qu'elle garantira la sécurité des transactions financières et réduira les taux d'intérêts, redonnant ainsi confiance aux investisseurs. Dollarisé entièrement l'an dernier après la faillite de son système bancaire, l'Equateur est cité en exemple. Son produit intérieur brut devrait progresser en 2001 de 5%, le taux le plus élevé du continent américain. Et au Salvador, la dollarisation partielle lancée le 1er janvier dernier a permis de maintenir à flot une économie secouée cette année par deux tremblements de terre et une sécheresse catastrophiques. Un gouvernement d'union nationale et la dollarisation accrue de l'économie pourraient en outre créer un choc psychologique favorisant l'acceptation, par les créanciers extérieurs de l'Argentine, de la délicate restructuration de sa dette publique. L'alternative à la dollarisation accrue serait la dévaluation du peso. Elle serait dramatique pour des milliers de familles argentines endettées en dollars. Quel que soit son choix, l'Argentine devra agir vite pour éviter la banqueroute ...ou pour en sortir.
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