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Des critères plus politiques que techniques risqueraient de décourager les investisseurs

Révision de privatisations en Argentine?

Par Julio Burdman

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BUENOS AIRES, lundi 23 juin 2003 (NuevaMayoria.com) - En accord avec la demande dominante, reflétée par les enquêtes d'opinion, de "plus de contrôle et de régulation" des entreprises et concessions de services publics, trois des cinq principaux candidats présidentiels -y compris le vainqueur, Nestor Kirchner- avaient introduit dans la campagne électorale la question des privatisations de la décennie des années 1990.

Ce thème fut l'un des points forts de la campagne, car jusqu'alors on n'avait pas remis en question de manière concrète les privatisations, effectuées dans leur grande majorité sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999). En outre, la simple possibilité d'une ingérence injustifiée de l'État dans un contrat de privatisation provoque, en Argentine et dans tout pays du monde, des dommages difficilement réparables à la confiance. L'opinion publique a créé un contexte différent, bien que "plus de contrôle et de régulation" ne soit pas la même chose que "réétatisation", alternative que la société rejette.

Les annonces de l'annulation de la renégociation du contrat entre Aeropuertos Argentina 2000 -entreprise concessionnaire de 33 aéroports nationaux- et l'État national ont nourri des spéculations sur la possibilité de conflits entre le gouvernement de Kirchner et les entreprises privatisées. Le report annoncé pour trois mois de plus de la révision des tarifs de services publics renforce cette possibilité de conflits.

Le processus de renégociation avait des fondements compréhensibles. Le contrat originel d'Aeropuertos Argentina 2000, signé au début de la récession économique, prévoyait le paiement d'une redevance annuelle de 170 millions de pesos. Mais la réduction de l'activité industrielle fut très forte depuis lors et drastique à partir de 2001, vu l'effondrement de l'économie locale. Et ce dans le cadre, il faut le rappeler, de la crise globale de l'aviation déclenchée à partir du 11 septembre 2001. Les projections financières sur lesquelles se basait le contrat se trouvèrent dépassées. L'Etat diminua des taxes aériennes, ce qui entraîna l'entreprise concessionnaire à protester contre une situation dès lors désavantageuse pour elle.

Un des aspects de la renégociation avait souligné la controverse sur la redevance, établissant une somme variable en fonction du flux de passagers. Le nouvel accord établissait que si le concessionnaire s'était engagé à payer 170 millions de pesos sur la base de 25 millions de passagers par an, il payerait désormais proportionnellement aux 13 à 14 millions de passagers actuels du système. Un investissement supplémentaire d'un milliard de pesos était par ailleurs exigé du concessionnaire.

La renégociation était conclue dès les premiers mois de cette année, mais une mesure préventive, décrétée par un Juge dans le cadre d'une procédure ouverte à la demande d'Aerolíneas Argentinas, suspendait le dossier jusqu'à son approbation, le 22 mai, dans les derniers jours du gouvernement du président sortant Eduardo Duhalde. Mais le juge fédéral de San Martín, le Dr Bustos, vient de suspendre par une autre mesure préventive le décret de Duhalde. La question suivra sûrement son cours devant les tribunaux. L'entreprise se plaindra certainement auprès de la nouvelle administration.

Politiquement, le risque existait que les termes de la relation entre Kirchner et Duhalde soient affectés par l'image d'un nouveau président "défaisant" des accords de l'administration précédente - image également reflétée par d'autres décisions des quinze premiers jours de gestion de Nestor Kirchner.

Les actions en justice d'Aeropuertos Argentina 2000 et de l'État se croisent, l'entreprise concessionnaire étant visée pour non respect du contrat et l'État pour non respect des conditions du même contrat. Et le cas présente quelques aspects internationaux, comme la participation de capitaux publics italiens dans le consortium concessionnaire et la persistante préoccupation américaine pour le contrôle-radar aérien.

Des doutes demeurent quant à savoir jusqu'où s'avancera le gouvernement dans le dossier des concessions privatisées. Selon certaines spéculations, l'annulation de la renégociation serait un pas vers un ou plusieurs décrets de révision des contrats d'entreprises déterminées. D'autres envisagent un décret général qui ouvrirait un processus global de révision de tous les contrats de concession et/ou de privatisation.

La seconde hypothèse paraît peu probable. Une décision de ces caractéristiques créerait une grande inquiétude dans des entreprises et chez des concessionnaires privés, affectant davantage encore le très pauvre climat d'investissement et d'affaires qu'on respire dans un pays dont l'économie est en voie de récupération, mais qui reste en suspension de paiements, avec un risque pays très élevé. Il s'en dégagerait une vision globale contraire au processus des privatisations en Argentine, créant des risques sur toutes les opérations en cours. Cela ne semble pas correspondre à l'esprit du gouvernement de Kirchner.

Il ne faut toutefois pas écarter qu'on s'avance vers des processus spécifiques de révision. Comprises techniquement, ces révisions ne devraient pas être très différentes du cadre régulateur général des services publics privatisés.

En général, les entreprises ne craignent pas cette seconde alternative. Quelques entreprises attendent même la révision comme une opportunité de retourner l'image excessivement mauvaise qu'a fait peser sur elles la dernière campagne électorale.

Dans le cas d'Aeropuertos, il n'y a pour le moment pas de raisons de penser que le processus déclenché autour de la renégociation de la redevance se transforme en conflit qui porte atteinte à la continuité de la concession.

Dans d'autres cas, toutefois, la décision d'une révision pourrait être conflictuelle. En ce qui concerne Correo Argentino, par exemple, les différences judiciaires avec l'État sont plus complexes. Et le contexte politique aussi. Dans un peu plus de deux mois auront lieu les élections à Buenos Aires-ville, sur lesquelles le président Kirchner a fondé de grands espoirs. Les éventuelles victoires d'Ibarra dans la ville et de Sola dans la province représentent, du point de vue du gouvernement, la consolidation d'un projet politique. L'ouverture du dossier de Correo Argentino -dans lequel, outre sa complexité, l'élément central pour l'opinion publique est qu'un puissant chef d'entreprise doit des millions à l'Etat alors que le pays traverse une crise grave- est l'un des thèmes qui peut affecter le plus l'image de Maurice Macri, qui est aujourd'hui avec Ibarra le principal combattant dans la lutte pour la ville.

Le contexte, disions-nous, a changé, mais cela doit être compris avec prudence.

A l'époque des privatisations, l'Argentine était marquée au fer rouge d'une méfiance à l'égard de l'intervention de l'État dans l'économie. La société appuya les privatisations et continue à les soutenir. Ni les agents économiques ni l'opinion publique en général ne toléraient "l'Étatisme". Aujourd'hui, la société continue à se méfier de l'État -et particulièrement de ceux qui le dirigent, les politiciens- en tant qu'agent économique. Cette méfiance a néanmoins diminué. Et les demandes de "plus de contrôle et de régulation" des entreprises privatisées laissent au gouvernement une marge d'action. Mais avec des limites.

Des décisions telles que décréter la révision de contrats pourraient compter sur le soutien de l'opinion publique à un Président apparemment disposé à compenser par ce soutien les appuis concrets ou politiquement légitimés qui lui manquent encore. Mais nous traitons ici d'un mécanisme très délicat. L'Argentine peut trouver un chemin de normalisation politique et économique, mais elle est encore dans une situation d'énorme fragilité. Si surgissaient dans ce processus des considérations politiques, étrangères aux aspects strictement techniques en matière de règlement de services publics, des risques pèseraient alors sur le futur des investissements en Argentine.


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