Argentine - Le président Kirchner face à son heure de bâtir un pouvoirPar Julio Burdman
Il est certain que Kirchner affronte un scénario complexe. Il assume la présidence avec seulement 22% des votes, dont la majorité lui est "prêtée" par le "duhaldisme". Et il est aussi certain que le "kirchnerisme" n'a pas d'appuis propres dans les Chambres législatives. Mais d'autres caractéristiques excédentaires entourant son arrivée peuvent compenser ce déficit. D'abord, il arrive avec un "climat d'appui additionnel". A un moment dominé par "l'antimenemisme", par les enquêtes de ballottage qui lui prédisaient 65-70% des votes et par la sensation d'un virage idéologique anti-marché continental (les vedettes de l'investiture présidentielle furent Castro, Chavez et Lula, tous lui adressant des éloges), Kirchner apparaît comme entraîné par un courant d'opinion majoritaire et virtuelle - dont une grande partie du monde journalistique se fait l'écho - qui n'a aujourd'hui pas de meilleur représentant que lui. Même non matérialisé en votes, cela a une valeur ajoutée initiale.
Le péronisme "menemiste" est minoritaire et continuera à diminuer. Le péronisme provincial, laissé en marge de ce processus, élèvera la voix, mais pas dans l'immédiat. Kirchner dispose néanmoins d'une grande coalition potentielle à l'intérieur même du péronisme, qui contrôle quasi la moitié des députés et la majorité absolue au Sénat. Sa base de sustentation s'élargira grâce à l'influence de Duhalde - le duhaldisme présidera le bloc PJ et la Chambre basse - et d'autres grands secteurs qui accompagneront, sans l'approuver inconditionnellement, Kirchner au Congrès et dans de nombreux gouvernements provinciaux. Une bonne part des radicaux et frepasistes qui demeurent au Congrès (ils représentent plus de 30% des députés) pourrait l'accompagner au début. C'est-à-dire que l'axe Duhalde-Alfonsín pourrait être clé pour l'approbation des lois au Congrès. Ce superavit de Kirchner, qui peut dissimuler ses problèmes théoriques de gouvernabilité, doit aussi être relié au fait que le pouvoir politique, au niveau national et institutionnel, est fragmenté en Argentine. Ce facteur ne peut pas être séparé des précédents, mais il explique le processus général que nous vivons. Notre politique est provincialisée et notre système de partis désarticulé et, dans ce cadre, la gouvernabilité est autre chose. Comme personne ne peut s'arroger le leadership d'un parti majoritaire ni l'appui véritable d'une majorité de législateurs et de gouverneurs (car il n'existe plus de mécanismes qui faisaient que ce leadership soit durable et réel, comme dans les cas de Roche, Yrigoyen, Perón ou Menem), la clé de la gouvernabilité ne passe plus désormais par le capital politique que l'on détient, mais par la gestion des ressources politiques existantes. Toutes ces raisons expliquent pourquoi, en dépit d'être le président le plus mal élu de l'histoire, Kirchner se sent un président fort et agit comme tel. Kirchner profitera de toutes ces conditions pour se renforcer et construire sa coalition politique, en vue d''une année électorale qui lui permettra d'additionner de nouveaux triomphes. Certains gestes excessifs, dont l'emballage idéologique a alarmé de nombreux secteurs, doivent aussi être compris dans ce contexte : celui d'affirmer et de construire le pouvoir. Sa purge précipitée des forces armées et prochainement de la police fédérale s'explique, en grande partie, par ce processus de construction. Dans la Justice - Cour suprême et bonne part de la juridiction fédérale -, dans la pépinière d'ambassadeurs et dans les lignes intermédiaires de l'administration publique, nous allons assister à court terme à la mise en place d'autorités de rechange. En vue de la rénovation politique de l'année électorale, il est prioritaire pour le nouveau gouvernement de Kirchner d'additionner des appuis propres dans les élections de tous niveaux. Des doutes demeurent sur ce qui se passera au ministère de l'Economie, unique secteur du gouvernement, avec celui de la Santé, où Kirchner n'exerce pas son influence directe. Deux forces pourraient entrer en collision dans les prochains mois : la volonté du ministre de l'Economie, Roberto Lavagna, d'accroître son pouvoir (cas de la commission de réforme du système financier, créée lors des derniers jours du mandat de Duhalde, ou des membres du directoire de la Banque, plus liés à Lavagna qu'à Prat-Gay) et celle de Kirchner de le limiter (la création du ministère de la Planification fédérale peut faire place à d'autres mouvements, tels que l'ouverture de lignes secondaires au sein du portefeuille de l'Economie ou la croissante participation personnelle de Nestor Kirchner dans l'orientation de la politique économique). Lavagna ne sera pas un superministre tant que Kirchner sera président, ce qui anticipe une relation où tout reste à voir et à faire. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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