Argentine: l'élection présidentielle la plus incertaine de l'histoire marquée par le phénomène Menem
Parmi les dix-neuf candidats, à peine cinq semblent avoir la possibilité de passer à un second tour quasi inévitable et, selon les sondages, les prévisions pour quatre d'entre eux constituent ce qu'on appelle un "match nul technique" pour la première place, les écarts étant minimes. L'ex-président Carlos Menem, l'ex-ministre de l'Economie Ricardo Lopez Murphy, le gouverneur de la province de Santa Cruz, Nestor Kirchner, l'ex-président intérimaire Adolfo Rodriguez Saa (qui déclara le moratoire sur la dette en décembre 2001) et la députée Elisa Carrio ont, dans cet ordre, le plus de chances d'occuper la Casa Rosada présidentielle.
Une autre donnée intéressante est que, pour la première fois, l'historique parti radical (UCR, Union civique radicale) apparaît aussi scindé en trois fractions: deux issues des désertions d'Elisa Carrio et de Ricardo Lopez Murphy, devançant une troisième, officielle mais pratiquement inexistante, conduite par Leopoldo Moreau. La mort du bipartisme traditionnel, jointe à l'absence de figures capables de représenter une classe moyenne grièvement blessée, explique peut-être les progrès foudroyants de Lopez Murphy, qui est remonté ces derniers jours, dans les sondages, de la quatrième place jusqu'à la porte d'accès au ballottage. Les scénarios probables Quoique les principaux aspirants affirment qu'ils gagneront au premier tour (hypothèse quasi impossible, aucun d'eux ne surpassant de 20 à 24% des intentions de vote) ou qu'au moins ils seront sûrement en ballotage, les derniers chiffres dessinent des scénarios aussi probables que surprenants. Plusieurs études d'opinion défendent la thèse d'un ballottage entre Menem et Kirchner; d'autres le prévoient entre Menem et Lopez Murphy; quelques-unes, plus osées, supposent que le second tour se jouera entre Menem et Rodriguez Saa et seulement un sondage annonce une lutte finale entre Lopez Murphy et Kirchner. Les possibilités d'Elisa Carrio apparaissent réduites, mais vu la quantité d'indécis, nul ne s'aventure à la rayer d'un trait de plume de la course à la présidence. La seule conclusion claire que l'on pourrait tirer des prédictions est que Menem passera au second tour et s'y mesurera soit à Kirchner (appuyé par l'appareil du président sortant Duhalde, mais sans pénétration dans une grande partie de la société), soit à Lopez Murphy (considéré comme un libéral orthodoxe aux propositions claires, mais qui porte le fardeau d'avoir été pendant quelques jours le ministre des Finances de Fernando De la Rua, l'ex-président radical renversé par des émeutes populaires), soit encore à Rodriguez Saa (un caudillo de province aux propositions pittoresques, de tendance populiste-nationaliste, marqué par les stigmates de sa déclaration de moratoire sur la dette et de la briéveté de sa présidence intérimaire, qui ne résista que sept jours). Toutes les enquêtes d'opinion s'accordent sur un point: quel que
soit l'adversaire de Carlos Menem au second tour, l'ex-président le
perdrait à cause du fort sentiment antimenemiste perceptible dans
l'opinion. Le monde entier se demande comment il est possible que l'homme qui fut incarcéré à cause de soupçons de trafic d'armes, qui est accusé d'avoir conduit l'Argentine à la ruine et d'avoir dirigé l'un des gouvernements considérés comme les plus corrompus puisse aujourd'hui être à la première place des intentions de vote. Plusieurs explications sont plausibles. Selon l'une d'elles, une grande partie de la classe moyenne argentine aurait la nostalgie de l'époque du "un pour un" (un peso pour un dollar), du crédit facile et à long terme, de la stabilité et de la sensation de "premier-mondisme" qui s'incarna dans de nombreux Argentins. Une autre explication possible est que lorsque la société misa sur le changement, la situation se dégrada. Le gouvernement de Fernando De la Rua (l'Alliance UCR-Frepaso) commit tant d'erreurs et démontra tant d'incapacité qu'il recourut aux mesures parmi les plus anticonstitutionnelles de mémoire d'Argentin, de la mise sous enclos ("corralito") de l'épargne jusqu'à la déclaration d'un état de siège qui fut un boomerang. Aussi pourrait-on en déduire que beaucoup se souviennent du proverbe "de deux maux, il faut choisir le moindre". Un autre argument serait que l'offre de candidats n'est pas suffisamment représentative d'une société qui se débat entre la frustration, la colère, le dégoût et la déception. Ou encore que les Argentins, si l'on considére qu'une majorité d'entre eux sympathise avec le péronisme, s'identifient mieux à Menem qu'aux deux autres candidats péronistes. Il ne faut pas non plus perdre de vue que, selon plusieurs sondages, la plupart des personnes interrogées désignent Menem comme vainqueur des élections et elles s'inclinent à nouveau en faveur de l'ex-président au moment d'estimer qui aurait la plus grande capacité de gouverner. On doit se souvenir aussi des élections présidentielles de 1989 et 1995. Tous les pronostics annonçaient alors la défaite de Menem, qui triompha néanmoins avec une majorité écrasante. On appelle cela l'expérience du "vote de la honte", de nombreux Argentins interrogés lors de sondages préélectoraux ayant eu apparemment honte d'exprimer aux enquêteurs leur sympathie pour Carlos Menem. A quoi faut-il donc s'attendre? A coup sûr, à rien de glorieux, compte tenu surtout de la fragmentation politique et que, jusqu'à la fin de l'année, le nouveau chef de l'Etat devra gouverner avec le Congrès actuel. Le vainqueur héritera d'un pays fortement ligoté, baignant dans un ordre apparent, mais avec des problèmes de fond non résolus, tant en matière politique qu'économique et sociale. Comment réagiront les Argentins, qui viennent de vivre la crise économique la plus dramatique de leur histoire, une fois seuls devant le bulletin de vote? Impossible de le prédire avant dimanche à minuit. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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