Argentine - Carlos Menem: "honorer la dette publique" et union des Amériques "de l'Arctique à l'Antarctique"
BUENOS AIRES, vendredi 25 avril 2003 (latinreporters.com) - "Honorer la dette publique" pour rendre confiance aux investisseurs, "complémentarité du Mercosur et de l'ALCA" dans le cadre d'une union continentale des Amériques "de l'Arctique à l'Antarctique", voilà les points forts de l'interview que nous a accordée Carlos Menem, favori du premier tour, le 27 avril, de l'élection présidentielle. L'inusable ex-président péroniste gouverna déjà l'Argentine de 1989 à 1999. Pro-américain et à ce titre partisan, comme George W. Bush, de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou, selon son sigle espagnol, ALCA) prévue pour 2005, Carlos Menem soufflera ses 73 bougies le 7 juin. Il a symbolisé en Argentine, avant la grave crise économique et sociale actuelle, une décennie de prospérité, mais aussi de corruption. A cause de la division des péronistes, le successeur du président Eduardo Duhalde ne sera sans doute pas élu au premier tour, mais au second, le 18 mai. Aucun candidat ne semble en effet pouvoir réunir les 45% des suffrages exigés pour conquérir la charge suprême au premier tour. La passation des pouvoirs est prévue pour le 25 mai. Deux des principaux adversaires de Carlos Menem sont eux aussi péronistes: le gouverneur de la province de Santa Cruz, Nestor Kirchner, populiste soutenu par le président sortant Eduardo Duhalde, et l'ex-président Adolfo Rodriguez Saa, éphémère chef de l'Etat du 23 au 30 décembre 2001. Il démissionna pour n'être pas soutenu par les "barons" du péronisme, mais ses sept jours de mandat ont marqué l'Argentine, car Adolfo Rodriguez Saa décréta la suspension, toujours en vigueur, du remboursement de la dette publique. L'actuelle division du péronisme est sans précédent.
Aucun de ces cinq principaux candidats ne surpasse 20% des intentions de vote et les marges qui les séparent varient constamment. Actuellement, un léger avantage est octroyé à Carlos Menem par plusieurs sondages. Il serait opposé au second tour soit à Nestor Kirchner, soit à Ricardo Lopez Murphy, bien en cour à Washington et dont la soudaine hausse de popularité surprend. Paradoxalement, des sondages estiment qu'au second tour Carlos Menem serait vaincu quel que soit son adversaire. Une prédiction qui, apparemment du moins, n'entame pas son optimisme. Voici de larges extraits, choisis pour leur intérêt, de
l'interview que nous a accordée Carlos Menem.
Optimisme et "union nationale"
"Je vais gagner au premier tour, sans ballottage. En ce moment, beaucoup
de ceux présentés comme indécis dans les sondages
définissent leur vote et la majorité d'entre eux aspire au
rétablissement de la gouvernabilité et de la stabilité.
Avec leur appui, nous allons obtenir le pourcentage et la différence
établis par la loi pour gagner au premier tour."
"Le 27 avril, l'appui majoritaire du péronisme à notre
formule sera manifeste et nous inviterons l'ensemble de notre mouvement
et du pays à soutenir un gouvernement d'union nationale. Le péronisme
a une grande capacité d'intégration comme cela s'est révélé
au long de sa trajectoire. Cette force alimente sa vigueur et aussi sa
capacité à garantir la gouvernabilité."
"Je vais gouverner avec des visages neufs, convoquant une pléiade
de jeunes politiciens, techniciens, professionnels et intellectuels qui
sont dans notre mouvement et qui méritent leur opportunité.
Et je les convoquerai parce que nous sommes face à une nouvelle
étape, avec de nouveaux défis."
"J'ai la plus ferme conviction qu'au long de notre décade (de
pouvoir) nous avons réussi l'essentiel et, probablement, nous avons
commis des erreurs dans des questions opérationnelles. Mais au-delà
de nos imperfections, le peuple nous a accompagnés lors d'élections
successives, car il a compris que le chemin suivi était le chemin
correct et il nous portera à nouveau au gouvernement, parce qu'il
sait que notre appréciation de ce qui doit être fait est celle
qui interprète le mieux ses intérêts."
Dette - Crédibilité aux yeux des investisseurs
"La déclaration de défaut (ndlr.: de l'Argentine sur
sa dette) fut une terrible erreur qui nous a mis en mauvaise position
dans le monde. Ce fut si précipité, surtout avec un président
qui s'en alla au bout de sept jours."
"Nous allons dialoguer avec nos créanciers. Nous ne demanderons
pas de rémission de la dette. Les conversations sont déjà
en cours, car nous sommes sûrs de triompher le 27 avril. Des délégations
ont déjà conversé avec les organismes internationaux
de crédit et avec les secteurs de la Communauté européenne
qui sont nos créanciers... Sur la base d'un ferme leadership, nous
ferons en sorte que les institutions de base de l'économie jouissent
à nouveau de la confiance, en rétablissant les contrats essentiels
et la sécurité juridique sur la base du droit de propriété."
"La stratégie essentielle passera par des règles du jeu
claires respectées par l'Etat lui-même et par la décision
d'honorer, en accord avec les possibilités réelles de notre
économie, les engagements acquis en matière de dette publique.
En ce domaine, nous ne solliciterons pas des rémissions, mais une
baisse substantielle des intérêts et une reprogrammation des
échéances, honorant le capital."
"Nous affronterons ces obligations avec un superavit fiscal de l'ordre
de 4%, que nous aspirons à élever à 6% à moyen
terme. Nous misons sur cette procédure pour redonner confiance aux
investisseurs internes et externes et restaurer ainsi les conditions permettant
de remettre sur pied notre structure productive, recréant avec elle
les centaines de milliers d'emplois détruits au cours des dernières
années. Les investisseurs étrangers jouiront du même
traitement que les Argentins, comme ce fut le cas lors de mes deux législatures
de gouvernement."
Politique monétaire - Privatisations
"Nous allons défendre une monnaie forte: ce sera l'objectif de
notre politique monétaire. La stratégie de dévaluation
et un peso faible ont eu des conséquences destructrices sur le pouvoir
d'achat des travailleurs... Lorsqu'on observe l'histoire de l'Argentine,
il saute aux yeux que les moments de pire distribution du revenu sont ceux
dans lesquels la valeur de notre monnaie se trouve, comme aujourd'hui,
brutalement déprimée."
"Je crois qu'une monnaie forte convient non seulement à l'Argentine,
mais aussi au Brésil et à tous les pays de n'importe quelle
partie du monde. A propos d'une incompatibilité avec le président
(brésilien) Lula, je dirais qu'elle est fictive. Il ne peut
y avoir d'incompatibilité lorsque tant lui que les autres présidents
des pays du Mercosur, ainsi que moi-même, travaillons en faveur de
nos pays et des intérêts qui doivent être compatibles
avec ceux des autres pays de la région."
"Sortir de la convertibilité fut une erreur. J'ai dit que la
dévaluation et la pesification ont été parmi les plus
graves erreurs commises en Argentine. Ce fut une erreur d'en sortir, mais
maintenant il est impossible d'y revenir. Le taux de change est bien comme
il est: un dollar vaut trois pesos. Ainsi, nous allons laisser ce taux
de change et nous ferons en sorte de l'améliorer conformément
à la situation dans mon pays et dans le monde. Améliorer
signifie laisser le marché agir comme il se doit".
"Toutes les entreprises qui, sous la conduite de l'Etat, telles les entreprises
publiques, ne fonctionnent pas seront privatisées. La majorité
des Argentins est en faveur du processus de privatisation lancé
dans les années 1990".
Politique extérieure - ZLEA - Iles Malouines
"A partir du 25 mai prochain (ndlr.: date de la passation des pouvoirs
au vainqueur de l'élection présidentielle), nous favoriserons
à nouveau une politique extérieure qui, renforçant
l'intégration régionale, aspire à la constitution
d'une union continentale de l'Arctique jusqu'à l'Antarctique, comme
le proposait déjà il y a un demi-siècle le fondateur
de notre mouvement, Juan Domingo Peron. Je ne vois pas d'incompatibilité
entre le Mercosur et l'ALCA (ndlr.: en français, ZLEA, Zone de
libre-échange des Amériques), mais plutôt une
complémentarité. Nous avons fondé le Mercosur avec l'objectif de mieux
intégrer notre région dans le grand courant d'intégration mondiale
qui est en marche."
"Il est nécessaire d'incorporer au Mercosur le Chili et la Bolivie,
qui n'en sont actuellement membres qu'à demi, mais il faut concrétiser
le terrain économique, car il y a une disparité de droits
douaniers. Dans la mesure où nous parviendrons à résoudre
cela, les deux pays pourront s'intégrer pleinement. Notre intérêt
pour le Chili est extrême, comme toujours, car l'océan commercial
par excellence est le Pacifique."
"Le Traité de libre commerce entre le Chili et les Etats-Unis
représente une alliance stratégique pour les deux pays et,
en conséquence, je ne crois pas qu'il (le Chili) soit susceptible de sanctions
(ndlr.: à cause de son manque d'appui à la guerre en Irak)
pour des questions ponctuelles ou des différences circonstancielles.
Quant à ma position à l'égard du conflit en Irak,
elle n'aurait pas été différente (ndlr.: dans l'hypothèse
ou Menem présiderait actuellement l'Argentine et si celle-ci siégeait
au Conseil de sécurité) de celle que j'ai manifestée
en temps opportun en faveur de la paix et contre le terrorisme et les tyrannies."
Iles Malouines: "Nous allons en récupérer la souveraineté
par la diplomatie. Avec le Royaume-Uni, nous approfondirons les relations
diplomatiques que nous avons entamées dès mon arrivée
au pouvoir en 1989".
Pauvreté - Piqueteros
"Quand nous sommes partis (du pouvoir), le revenu par habitant
en Argentine était de plus de 8.000 dollars, selon l'ONU, et l'indice
de pauvreté de 24%. Lorsque nous avons assumé (le pouvoir),
en 1989, l'indice de pauvreté était de 49%. Après
(nous) vint la débâcle: volée d'impôts,
baisse des salaires, l'industrie commença à se paralyser
et des mesures prises surgit une avalanche de pauvres."
"Dès le premier jour de notre gestion, nous mettrons en oeuvre
un plan destiné à garantir deux repas par jour à tous
nos compatriotes qui vivent sous la ligne de pauvreté. Nous recourrons
pour cela à la capacité logistique des organisations non
gouvernementales, à diverses confessions religieuses et à
la structure de nos forces armées."
"Dans le cadre de la loi, tout. Hors de la loi, rien. Il faut appliquer
la loi et la Constitution et pour cela la gouvernabilité est nécessaire.
Mon droit s'arrête là où commence le droit des autres,
aussi les piqueteros doivent-ils comprendre qu'ils peuvent manifester de
toutes les façons, mais qu'ils ne peuvent pas interrompre le trafic,
couper les ponts, empêcher les travailleurs d'entrer dans les usines,
cela n'est pas admis par la Constitution. Et dans un pays où la
loi n'est pas appliquée comme il se doit, il se crée évidemment
une situation de désordre généralisé".
Corruption
"Lorsque nous sommes partis (du pouvoir), l'Argentine était,
dans le classement de la corruption, dans la bonne moitié de l'échelle.
Aujourd'hui, nous côtoyons Haïti et le Nigeria, pays où
la corruption est terminale".
"Voyons, aucun gouvernement n'a lutté autant que le mien de manière
effective contre la corruption structurelle... Je ne nie pas l'éventualité
des cas de corruption résiduelle ou individuelle, mais ces cas,
ici comme n'importe où dans le monde, passent dans l'orbite de la
justice, qui est un pouvoir indépendant. Il faut les dénoncer,
les prouver et obtenir un jugement. Nos adversaires et un choeur journalistique
ont fait de nombreuses dénonciations et ont affecté l'honneur
de beaucoup de mes fonctionnaires. Je ne me rappelle pas qu'ils aient prouvé
de manière consistante en justice quoi que ce soit contre quiconque." Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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