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Bolivie-guerre du gaz: référendum annoncé par le "pouvoir blanc" rejeté au nom du "sang des morts"

Les manifestations s'amplifient à La Paz

Des milliers de policiers et de soldats gardent les routes boliviennes
Photo archives Jeremy Bigwood
LA PAZ, jeudi 16 octobre 2003 (LatinReporters.com) - "Au nom du sang" des manifestants abattus par l'armée (plus de 80 selon une organisation humanitaire), l'opposition a rejeté le référendum proposé mercredi par le président bolivien Gonzalo Sanchez de Lozada pour tenter de désamorcer la "guerre du gaz" qui secoue la Bolivie depuis la mi-septembre.

Dirigeants indiens et syndicaux affirment qu'ils continueront à paralyser le pays contre l'exportation de gaz naturel bolivien vers l'Amérique du Nord tant qu'ils n'auront pas obtenu la démission du chef de l'Etat. Ce dernier tente de ressouder ce que des observateurs appellent parfois le "pouvoir blanc", majoritaire au Parlement dans une Bolivie qui compte pourtant plus de 60% d'Indiens. Les manifestations antigouvernementales s'amplifiaient jeudi à La Paz.

La gestion du gaz naturel bolivien -dont les projets d'exportation vers de nouveaux marchés, via le Chili (ennemi historique de la Bolivie), sont d'autant plus contestés qu'une distribution nationale est inexistante- sera soumise à référendum dans les neuf départements du pays.

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En l'annonçant mercredi soir à la télévision, le président libéral-conservateur Gonzalo Sanchez de Lozada était entouré des deux autres dirigeants de sa coalition gouvernementale et parlementaire: le social-démocrate Jaime Paz Zamora (l'un des 34 vice-présidents de l'Internationale socialiste) et le populiste nationaliste Manfred Reyes Villa, ex-capitaine de l'armée, accusé l'an dernier par l'Union nationale des prisonniers politiques et exilés de Bolivie de tortures sous la dictature militaire de Luis Garcia Meza (1980-1981).

Aux élections présidentielles et législatives de juin 2002, ces trois hommes et leurs partis récoltaient les deux tiers des suffrages exprimés. C'est cette réalité arithmétique et démocratique qu'ont voulu rappeler à la nation les trois dirigeants de la coalition gouvernementale en comparaissant ensemble à la télévision. En outre, leur soudaine union médiatique tentait d'effacer la sensation de décomposition du pouvoir qui avait suivi, au début de la semaine, la démission de quatre ministres et le refus du vice-président Carlos Mesa de s'associer à la répression sanglante des manifestations. Deux vice-ministres affiliés au parti de Manfred Reyes Villa ont néanmoins abandonné à leur tour le gouvernement jeudi matin.

La gauche ethnique est la seule opposition parlementaire au "pouvoir blanc"

Avec leurs partis dont le nom ne reflète nullement l'idéologie, Gonzalo Sanchez de Lozada (Mouvement nationaliste révolutionnaire, MNR), Jaime Paz Zamora (Mouvement de la gauche révolutionnaire, MIR) et Manfred Reyes Villa (Nouvelle force républicaine, NFR) représentent de fait le "pouvoir blanc" et les métis, l'unique opposition parlementaire étant la gauche ethnique des leaders indiens Evo Morales et Felipe Quispe.

Principaux stratèges, aux côtés de la Centrale ouvrière bolivienne (COB, premier syndicat du pays), de l'actuelle "guerre du gaz", les deux dirigeants autochtones, candidats à la présidence en juin 2002, ne réunissaient alors, ensemble, que 27% des votes. Ils ne peuvent donc pas s'exprimer légitimement au nom de tous les autochtones, qui constituent 65% de la population, même si le "pouvoir blanc" est le premier bénéficiaire d'une abstention électorale plus élevée parmi les populations indiennes.

Mais avec un score de 21%, le Quechua Evo Morales, porte-parole des cocaleros (cultivateurs de coca) et député du Mouvement vers le socialisme (MAS) se classait second de la présidentielle, talonnant à la surprise générale Gonzalo Sanchez de Lozada (22,5%), un multimillionnaire qui a vécu si longtemps aux Etats-Unis qu'il parle moins bien l'espagnol que la langue de l'oncle Sam.

Pour tenter donc de désamorcer la "guerre du gaz", qui n'aurait jamais éclaté sans les inégalités ethniques et sociales entretenues par le "pouvoir blanc", Gonzalo Sanchez de Lozada, Jaime Paz Zamora et Manfred Reyes Villa ont annoncé aussi à la télévision, outre le référendum sur la gestion du gaz naturel, une révision de la loi sur les hydrocarbures "en concertation avec les firmes pétrolières" (l'opposition ethnique et syndicale réclame la suppression de cette loi qui a privatisé l'exploitation du gaz et du pétrole) et l'ouverture d'un processus qui permettrait la révision de la Constitution.

Lu devant les caméras par le porte-parole présidentiel Mauricio Antezana, le manifeste contenant ce train de mesures concluait qu'il "devrait servir à faire disparaître les causes réelles ou apparentes de la contestation sociale. Si elle persistait, il deviendrait évident qu'elle répond à des intérêts politiques visant à en finir avec l'ordre constitutionnel et l'unité de la nation".

"Comment pourrions-nous négocier avec un criminel"?

On attendait avec d'autant plus d'intérêt la réaction de la gauche ethnique qu'elle réclame depuis longtemps, sur la gestion du gaz naturel, un référendum soudainement octroyé.

"Comment pourrions-nous négocier avec un criminel (le président Sanchez de Lozada) qui cherche à détourner l'attention?" s'est écrié Evo Morales à l'issue d'un meeting à Cochabamba. Le leader quechua ne veut plus rien entendre "aussi longtemps que n'aura pas démissionné Goni" (surnom de Gonzalo Sanchez de Lozada).

Evo Morales critique en outre l'absence de date pour le référendum sur le gaz et son caractère non contraignant. La Constitution bolivienne ne confère toutefois à tout référendum qu'un caractère consultatif.

L'indien aymara Felipe Quispe, leader combatif de la Confédération syndicale des travailleurs agricoles, exprime peut-être mieux pourquoi l'opposition exige désormais, avant d'accepter toute mesure ou dialogue, la démission du président Sanchez de Lozada, qu'il qualifie de "boucher".

"Trop de gens sont morts. Nous ne pouvons pas négocier ce sang" dit Felipe Quispe. Il ne nie pas que Sanchez de Lozada fut élu démocratiquement, mais il sous-entend que la démocratie n'est pas seulement une élection. C'est aussi la manière de gérer le pouvoir octroyé par les électeurs. Et lorsqu'on a fait tuer plus de 80 manifestants, fussent-ils violents, que reste-t-il de la légitimité démocratique?

"Terrorisme d'Etat"

Le troisième dirigeant de la "guerre du gaz", Jaime Solares, secrétaire exécutif de la Centrale ouvrière bolivienne, maintient son mot d'ordre de grève générale indéfinie qui paralyse partiellement six des neuf départements boliviens. Selon lui, la proposition de référendum ne serait qu'un "chantage" tardif. Il réaffirme ensuite que la loi qui a privatisé les hydrocarbures ne devrait pas, à ses yeux, être révisée, mais purement et simplement annulée.

Plus de 20.000 paysans, ouvriers et mineurs, la plupart indiens, convergeaient jeudi vers La Paz quadrillée par l'armée et les chars pour forcer la démission du chef de l'Etat. L'Assemblée permanente des droits de l'homme en Bolivie, une ONG indépendante, évalue à plus de 80 morts et quelque 400 blessés le bilan actuel de la répression. Son président, Waldo Albarracin, dénonce le "terrorisme d'Etat" que pratiquerait l'armée, qu'il accuse d'effectuer des perquisitions sans mandat pour arrêter des opposants à leur domicile.

Selon l'agence Bolpress, proche de la gauche ethnique, des habitants d'El Alto, ville dortoir à 12 km de La Paz, lançaient jeudi matin des bâtons de dynamite en direction de militaires qui tentaient de pénétrer dans la demeure de responsables de comités de quartier pour les emmener.

Plusieurs médias indépendants, journaux et radios, auraient été la cible d'attentats ou de menaces dénoncés par la Confédération des travailleurs de la presse de Bolivie.

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