56,05% des voix, contre 43,95% au social-démocrate José Serra
Dilma Rousseff, première femme élue présidente du Brésil
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Premier discours de Dilma Rousseff après l'annonce de sa victoire
à l'élection présidentielle, le 31 octobre 2010 à Brasilia. Photo Marcello Casal Jr / ABr |
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BRASILIA, lundi 1er novembre 2010 (LatinReporters.com) - Avec l'appui du charismatique Luiz Inacio Lula da Silva, premier
ouvrier président du Brésil, l'ancienne guérillera Dilma
Rousseff, 62 ans, est devenue le 31 octobre la première femme élue
présidente de ce pays sud-américain de 193 millions d'habitants,
grand comme deux fois l'Union européenne et situé à
la 8e place de l'économie mondiale.
La Constitution interdisait au socialiste modéré Lula da Silva
de briguer à nouveau sa propre succession au terme de deux mandats
consécutifs. Mais le triomphe de sa dauphine est d'abord le sien.
Il conforte la suprématie de la gauche en Amérique latine.
"Bienvenue camarade!" a lancé de Caracas Hugo Chavez à Dilma
Rousseff. Avec 56,05% des suffrages, elle a devancé de plus de 12
points, au second tour de l'élection présidentielle, son adversaire
social-démocrate José Serra (43,95%). Ce résultat communiqué
par le Tribunal supérieur électoral est basé sur le
décompte de 99,99% des suffrages.
Malgré le vote obligatoire, l'abstention atteint 21,5%. Ce taux est
le plus élevé depuis la fin de la dictature militaire (1964-1985).
Il s'explique par le pont de la Toussaint, mais aussi par le désintérêt
d'électeurs écologistes du Parti Vert. Leur candidate, l'évangéliste
Marina Silva, n'avait donné aucune consigne de
vote après son élimination au premier tour, le 3 octobre, sur
le score néanmoins substantiel et surprenant de 19,33%. C'est ce résultat
qui contraignit Dilma Rousseff à un second tour inattendu. Par rapport
aux prévisions des sondages, elle perdit le 3 octobre des millions
de voix à cause de son appui supposé à la libéralisation
de l'avortement et au mariage homosexuel, dont elle dut se démarquer
explicitement pour assurer sa victoire finale, compliquée par des
déclarations du pape Benoît XVI.
Fille d'un avocat communiste bulgare émigré
au Brésil, guérillera du mouvement Avant-garde armée
révolutionnaire Palmares lorsqu'elle fut capturée en 1970,
Dilma Rousseff séjourna trois ans dans les geôles de la dictature.
Elle souffrit la torture. Sa fiche policière la qualifiait de "terroriste,
assaillante de banques".
Eradiquer la misère, poursuivre l'œuvre de Lula
Muée en économiste et en gestionnaire efficace, "dame de fer"
du gouvernement de centre gauche du président Lula da Silva, Dilma,
comme l'appellent les Brésiliens, devint ministre des Mines et de l'Energie, puis
chef du cabinet présidentiel. Son protecteur et mentor Lula l'imposa
à son Parti des travailleurs (PT) comme candidate à la charge
suprême. Dilma n'avait pourtant jamais subi le feu d'élections
législatives ni même municipales. Très critiqué
par les éditorialistes pour mettre l'appareil de l'Etat au service
de la campagne de sa dauphine, Lula fut l'orateur vedette des meetings de Dilma. Il lui
remettra les clefs du palais présidentiel le 1er janvier prochain.
"Je réitère mon engagement fondamental : l'éradication
de la misère pour tous les Brésiliens et les Brésiliennes"
a affirmé Dilma Rousseff dans son discours de la victoire, dimanche
soir à Brasilia. Elle a réaffirmé son intention de poursuivre l'œuvre
de son prédécesseur et s'est félicitée du fait que, "pour
la première fois, une femme dirigera le Brésil", ce qui témoignerait de
l'évolution démocratique du pays. Elle a promis
que d'autres femmes lui succéderont. En Amérique latine, elle
grossit le maigre contingent féminin formé par la présidente
de l'Argentine, Cristina Fernandez de Kirchner, et celle du Costa Rica, Laura
Chinchilla.
Dilma s'est engagée aussi à garantir "le droit d'opinion et
d'expression", "l'emploi", "le logement digne", "la paix sociale", "les plus
absolues libertés de presse, de religion et de culte". Elle a cité
encore la lutte contre la drogue, la promotion d'un ordre international "plus
juste", la discipline fiscale et la "rationalisation" des dépenses
publiques, sans toutefois réduire les programmes sociaux qui ont assuré,
avec l'essor économique, le succès des huit années
Lula.
Enfin, Dilma a salué son protecteur, volontairement absent dimanche soir
pour ne pas lui voler la vedette. "L'émotion de ce jour se mêle
à celle du départ de Lula. Je frapperai à sa porte quand
ce sera nécessaire, avec la sécurité qu'elle sera toujours
ouverte" a dit la présidente élue.
Alliance renouvelée avec le centre droit
La coalition de dix partis qui gravitent autour du PT présidentiel
permettra à Dilma de gouverner avec une large majorité parlementaire,
issue des législatives du 3 octobre. Cette coalition contrôle
aussi 16 des 27 Etats brésiliens, mais pas la perle des perles, l'Etat
de Sao Paulo, poumon économique du pays, géré comme
sept autres Etats par les sociaux-démocrates de José Serra.
Le principal allié du PT de Lula et Dilma demeure le Parti du Mouvement
démocratique brésilien (PMDB). La densité de son
implantation nationale, régionale et municipale permet à ce
parti de centre droit d'occuper depuis un quart de siècle une place
stratégique dans la politique brésilienne. Il n'a présenté
qu'une seule fois un candidat à la présidence, en 1989, mais
il a été l'allié de tous les présidents élus
depuis la fin de la dictature. Lula lui confia plusieurs ministères.
Dilma en fera sans doute autant, car dans la nouvelle législature
le PMDB comptera quasi autant de députés et même plus de
sénateurs que le PT. Le vice-président élu sur le même
ticket que Dilma, Michel Temer, appartient lui-même au PMDB.
Cette alliance obligée avec un parti dont l'une des principales personnalités
actuelles, l'ex-président José Sarney, appuya la dictature
militaire, contribua à modérer le socialisme de Luiz Inacio
Lula da Silva, au grand dam de l'aile dure du PT.
Un historique du PT et prédécesseur de Dilma à la tête
du cabinet présidentiel, José Dirceu, écarté
par l'un des multiples scandales de corruption qui ont secoué le parti
de Lula, affirmait au cours de la campagne électorale que "l'élection
de Dilma est plus importante que celle de Lula, car elle nous représente
(...) Lula est deux fois plus grand que le PT. En revanche, la base de Dilma
est dans le parti".
Ces propos reflètent-ils l'espoir d'une radicalisation, sous Dilma,
du socialisme luliste? Dilma cherchera-elle à s'émanciper de
son mentor? Pour l'heure et sauf preuve du contraire, son élection
semble avoir pour premier objectif de maintenir le fauteuil présidentiel
à la disposition de Lula. Le taux de popularité du président
sortant, supérieur à 80%, pourrait être encore suffisant
en 2014 pour l'inciter alors à briguer à nouveau la présidence,
après l'intervalle de quatre ans imposé par la Constitution.
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