BRASILIA / MADRID, lundi 3 janvier 2011 (LatinReporters.com) - Marquée par l'émotion du président sortant Luiz Inacio
Lula da Silva, l'investiture de Dilma Rousseff, première femme présidente
du Brésil, a été aussitôt suivie, le 1er janvier
à Brasilia, de la prestation de serment de ses 37 ministres et secrétaires
d'Etat. Dominé par le Parti des travailleurs (PT, gauche) fondé
par Lula, ce nouveau gouvernement est comme le précédent une
coalition ouverte au centre droit. L'arithmétique parlementaire l'exige.
Cette contrainte est un facteur de modération lié au succès
des années Lula (2002-2010).
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Emotion partagée de la première femme présidente du
Brésil, Dilma Rousseff, 63 ans, et de son prédécesseur
Luiz Inacio Lula da Silva, qui vient de la revêtir de l'écharpe
présidentielle aux couleurs nationales. (Brasilia, 1er janvier 2011.
Photo Fabio Rodrigues Pozzebom / ABr) |
Menée par le PT auquel appartient Dilma, comme l'appellent les Brésiliens,
une coalition de dix partis avait soutenu la candidature de la nouvelle présidente.
Son gouvernement accueille neuf femmes et compte huit ministres sans étiquette,
dont l'ex-ambassadeur à Washington Antonio Patriota, nommé
aux Relations extérieures. Sept partis de la coalition présidentielle
sont représentés dans ce gouvernement :
1. Parti des travailleurs (PT, gauche); 17 portefeuilles ministériels.
2. Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre droit); 6 portef.
3. Parti socialiste brésilien (PSB, gauche); 2 portefeuilles.
4. Parti de la République (PR, centre droit); 1 portefeuille.
5. Parti progressiste (PP, libéral); 1 portefeuille.
6. Parti démocrate travailliste (PDT, gauche); 1 portefeuille.
7. Parti communiste du Brésil (PCB); 1 portefeuille.
Ministre de la Défense contre l'abrogation de l'amnistie des
militaires
La part du lion revient logiquement au Parti des travailleurs. Outre la présidence
de la République et le poste clef de chef du cabinet présidentiel,
qu'assumait Dilma avant d'entrer en campagne électorale, le PT domine
notamment les Finances, la Justice, l'Education, la Santé, les Communications,
les Droits de l'homme, l'Industrie et le Commerce.
Le principal allié du PT de Lula et Dilma demeure le Parti du mouvement
démocratique brésilien. La densité de l'implantation
nationale, régionale et municipale de ce PMDB de centre droit lui
permet d'occuper depuis un quart de siècle une place stratégique
dans la politique brésilienne. Il n'a présenté qu'une
seule fois un candidat à la présidence, en 1989, mais il a
été l'allié de tous les présidents élus
depuis la fin de la dictature militaire (1964-1985).
L'une de ses principales personnalités, José Sarney, ex-chef
de l'Etat et actuel président du Sénat, fut autrefois sénateur
et président de l'ARENA (Alliance de rénovation nationale),
parti créé en 1965 pour soutenir la dictature. Un autre grand
nom du PMDB, Nelson Jobim, qui conserve avec Dilma Rousseff le portefeuille
clef de la Défense que lui avait déjà confié
Lula, est un adversaire notoire d'une abrogation éventuelle
de l'amnistie dont jouissent les militaires impliqués dans la répression.
Que Dilma Rousseff, alors guérillera d'extrême gauche, ait été
torturée et emprisonnée pendant trois ans sous la dictature
incite à observer avec intérêt l'évolution
de ses relations avec le PMDB, auquel appartient aussi Michel Temer, vice-président
de la République élu sur le même ticket que Dilma. Outre
la Défense, le grand parti de centre droit, peuplé de millionnaires,
va gérer l'Agriculture, la Prévoyance sociale, les Mines et
l'Energie, les Questions stratégiques, ainsi que le Tourisme, secteur
phare après l'attribution au Brésil du Mondial de football
de 2014 et des Jeux olympiques de 2016.
"Consolider l'oeuvre transformatrice" de Lula
Très fragmenté, le paysage parlementaire justifie à
lui seul la nécessité d'une coalition. Les élections
législatives du 3 octobre dernier ont confirmé la prééminence
des deux grands alliés. A la Chambre des députés, le
plus grand nombre d'élus revient au PT (88), suivi du PMDB (79). Au
Sénat, le classement est inversé : le PMDB (20 sénateurs)
y devance le PT (14). Jamais le PT n'avait été aussi bien représenté
dans les deux hémicycles. Sur le plan régional, les deux partis
dominent chacun 5 des 27 Etats fédérés. Quant au nombre
de mairies, la suprématie du PMDB est constante.
Le caractère extrêmement relatif de la prééminence
parlementaire du PT et du PMDB, au regard des 513 députés et
81 sénateurs que compte le Congrès national brésilien,
justifie à son tour l'amplitude de la coalition gouvernementale. Les
dix partis qui la soutiennent contrôlent dans les deux Chambres une
majorité des deux tiers qui laisse les coudées franches à
Dilma. La nouvelle présidente devra toutefois adapter sa personnalité
de "dame de fer", souvent jugée tranchante et technocratique, pour
conserver, comme savait le faire Lula, l'harmonie au sein d'une coalition
multicolore.
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Après l'investiture de Dilma Rousseff, Lula et sa femme, Marisa Leticia,
font un signe d'adieu à l'aéroport de Brasilia avant de s'envoler
vers Sao Paulo. (Photo Renato Araujo / ABr, 1er janvier 2011) |
En principe, la continuité est assurée. Onze ministres l'étaient
déjà dans le gouvernement précédent. Dans son
discours d'investiture devant le Congrès, Dilma Rousseff s'est engagée
à "consolider l'oeuvre transformatrice du président Lula" :
priorité à "la lutte la plus obstinée" contre la pauvreté,
ainsi qu'à l'éducation, la santé et la sécurité;
intégration de l'Amérique du Sud pour l'ériger en "élément
essentiel du monde multipolaire"; revendication d'une réforme des
Nations unies et de son Conseil de sécurité pour y accroître
le rôle des grands pays émergents (dont le Brésil, 8e
économie mondiale); promotion de la paix et du principe de non-intervention
et contribution au rétablissement de la stabilité financière
internationale.
La phrase "nous préserverons et approfondirons les relations avec
les Etats-Unis et l'Union européenne" n'aura laissé indifférents
ni la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton ni le président
vénézuélien Hugo Chavez, qui se sont salués à
l'investiture.
Modèle pour l'Amérique du Sud ?
Le Brésil que Lula laisse en héritage à Dilma et aux
193 millions de Brésiliens est un pays plus puissant, plus respecté,
moins pauvre et d'un dynamisme économique continu que n'a pas entamé
la crise mondiale. Selon l'influent analyste politique argentin Rosendo Fraga,
"l'apport le plus important du Brésil est d'avoir généré
un modèle de développement possible pour la région [sud-américaine],
combinant croissance économique et progrès social graduel".
La cohabitation forcée, au grand dam de l'aile dure du PT, d'une présidence
de gauche avec un centre droit néolibéral est sans doute l'une
des caractéristiques essentielles de ce modèle brésilien.
Sa réussite apparente ne sera pas éternelle, mais pour l'heure
elle met en évidence certaines débâcles économiques, totale
à Cuba, importante au Venezuela et naissante en Bolivie, trois pays
phares de la gauche radicale latino-américaine.
"Nous ne permettrons sous aucun prétexte que la plaie de l'inflation
ne vienne corrompre notre tissu économique et châtier les familles
les plus pauvres" promettait Dilma Rousseff dans son discours d'investiture.
Au Venezuela, la Banque centrale a déjà reconnu un taux d'inflation
de 26,9% en 2010 (estimation provisoire), succédant à ceux de 25,1% en 2009 et 30,9%
en 2008.
Autre différence : alors que les frères Castro dominent Cuba
depuis plus d'un demi-siècle, qu'au Venezuela Hugo Chavez a fait réviser
la Constitution afin de briguer la présidence sans limitation du nombre
de mandats et qu'en Bolivie Evo Morales envisage de suivre la même
voie, Lula, lui, s'en est tenu aux deux mandats consécutifs autorisés
par la Charte suprême brésilienne, malgré une popularité record
de 87% en fin de mandat.
Lors de sa dernière rencontre formelle avec la presse, le 27 décembre à
Brasilia, il affirma n'avoir "jamais" songé à réformer la Constitution pour
s'éterniser au pouvoir. "On demande un mandat de plus, puis on en
veut quatre ou cinq et le pays se convertit en une petite dictature sans
que nul ne le remarque" estimait alors Lula.
Sa modération a souvent tempéré son
bouillant voisin vénézuélien. Mais ce modèle
brésilien dont hérite Dilma tempère aussi l'autre bord
de l'éventail idéologique. L'exemple du Brésil incite
en effet les droites chilienne et colombienne des présidents Piñera
et Santos à s'ancrer au centre et à regarder moins en direction
de Washington.