SANTIAGO / MADRID, samedi 16 octobre 2010 (LatinReporters.com) - C'est un gouvernement démocratique de droite et de patrons, conduit par le milliardaire Sebastian Piñera, président du Chili de
feu le dictateur Pinochet, qui vient d'écrire une belle geste de la
classe ouvrière chilienne. Les 13 et 14 octobre, il ramenait à
la vie les 33 mineurs ensevelis 69 jours dans la mine de cuivre San José,
à 700 m sous le désert d'Atacama.
Locataire depuis le 11 mars dernier du palais présidentiel de La Moneda, Sebastian
Piñera pèse 2,3 milliards de dollars selon la revue Forbes.
Son ministre des Mines, Laurence Golborne, omniprésent dans le sauvetage
des mineurs, siégeait comme nombre de ses pairs ministres au conseil
de direction de diverses entreprises avant d'être appelé au
gouvernement par le président Piñera.
Un milliard de téléspectateurs et d'internautes
En l'espace de deux mois, relève l'AFP, les "33" sont devenus des vedettes mondiales,
recevant des maillots dédicacés de stars du football, des chapelets bénis
par le pape, des IPod offerts par le patron d'Apple Steve Jobs, pour les
aider à tenir lors de leur calvaire, qui inspire déjà
des réalisateurs de cinéma. Outre quelque 800
parents et proches des mineurs, plus de 2.000 journalistes sont venus du
monde entier pour assister au "happy end" de cette histoire de survie souterraine
d'une durée inédite.
Télévisé en direct, le
sauvetage historique,
émouvant, maîtrisé à la perfection, a tenu en haleine le monde entier.
Selon les experts, plus d'un milliard de téléspectateurs et
d'internautes des cinq continents ont vu la navette Phénix ramener
à la surface, un par un au long d'un conduit
vertical perforé à travers 622 m de roche, les 33 mineurs bloqués
depuis le 5 août par un éboulement.
La résistance physique, l'organisation et
la dignité des mineurs sinistrés et de leurs familles semblent
avoir auréolé l'ensemble de la classe ouvrière chilienne.
Jamais dans ce pays andin des damnés de la terre n'ont été
aussi populaires et respectés.
On croirait volontiers, au risque de se tromper, que jamais non plus, au
Chili, en Amérique latine ou dans un quelconque pays de la planète,
un chef d'Etat n'a cru aussi longtemps que Sebastian Piñera au miracle
de la vie dans un drame minier. Il n'a jamais suspendu les recherches. Grâce
à ce volontarisme, un forage localisait enfin les 33 mineurs le 22
août, dix-sept jours après l'éboulement.
Mais au Mexique par exemple, en février 2006, les recherches de victimes
étaient abandonnées cinq jours seulement après une explosion
dans la mine de charbon de Pasta de Conchos. Soixante-cinq mineurs disparus
étaient alors donnés pour morts. Depuis, les familles réclament en
vain les cadavres. L'évêque mexicain Jose Raul Vera Lopez souligne la comparaison
"cruelle" entre le sauvetage des mineurs au Chili et les oubliés de Pasta de Conchos.
Analyses parfois très politisées
Mondialisé par les médias, le sauvetage réussi à
la mine San José engendre des analyses qui vont au-delà de
la forte hausse de popularité du président Piñera, confortée aussi par un taux de croissance annuel du PIB de 7,5%, et de celle du ministre Golborne, déjà considéré comme présidentiable pour l'élection de 2013. La Constitution empêchera alors Sebastian Piñera de se représenter.
Selon l'éditorialiste du Washington Post, le Chili, "pays le plus
libre d'Amérique latine", devrait à son ouverture au monde
et à son esprit d'entreprise d'avoir pu "utiliser efficacement [dans
le sauvetage] les technologies avancées". "Pour la construction de
la capsule d'évacuation [des mineurs], on utilisa des téléphones
cellulaires spatiaux de Corée du Sud, du câble flexible de fibre
optique d'Allemagne et l'assistance de l'Agence spatiale des Etats-Unis (NASA)"
précise le journal.
"Ce n'est pas un miracle", mais "le travail exemplaire des Chiliens" et la
capacité du président Piñera "d'obtenir des pays les
plus avancés le matériel adéquat" qui ont permis de
sauver les mineurs ensevelis, estime pour sa part l'éditorialiste
du quotidien espagnol de centre gauche El Pais. A ses yeux, le Chili a montré
"qu'il existe aussi un côté lumineux de la condition humaine".
La politisation pure et dure, de bonne ou de mauvaise foi, n'est pas en reste.
"Il y a une autre Amérique du Sud, distincte de celle des caudillos
bolivariens et des autres vaniteux de la démagogie populiste, une
Amérique sérieuse qui cherche son chemin du développement
dans les voies de la modernité et de l'occidentalisme" prétend,
en applaudissant le président Piñera, l'analyste Ignacio Camacho
dans le journal conservateur espagnol ABC.
Animosité identique, au Venezuela, du quotidien d'opposition El Nacional.
Visant implicitement le président Hugo Chavez, il veut voir dans l'exemple
de solidarité de la société chilienne "une leçon
pour ceux qui encouragent la division et la haine".
Le président Chavez téléphona néanmoins à
son homologue chilien pour lui dire que le bon déroulement du sauvetage
"nous emplit tous de joie". A Cuba, les frères Castro n'ont pas eu
ce geste. La discrétion de la presse officielle cubaine était
tout aussi idéologique que les commentaires d'ABC et d'El Nacional.
Le révolution castriste se serait-elle contredite en louant le sauvetage
spectaculaire de prolétaires d'un pays, le Chili, qui a viré
démocratiquement à droite?
Se déclarant "heureuse" du retour à la vie des 33 de la mine
San José, l'organisation humanitaire Amnesty International a néanmoins
rappelé au gouvernement chilien qu'il n'a pas ratifié la Convention
sur la sécurité et la santé dans les mines adoptée
en 1995 par l'Organisation internationale du travail.
L'homme d'affaires de centre droit Sebastian Piñera n'ayant été
investi à la présidence qu'en mars 2010, le rappel d'Amnesty
international a l'allure d'un reproche visant plutôt les gouvernements
de centre gauche de la Concertation démocratique, au pouvoir pendant
20 ans au Chili à partir de la fin de la dictature du général
Pinochet, en 1990.
Selon un décompte officiel, les accidents ont fait 374 morts dans
les mines chiliennes lors de la dernière décennie, dont 32
cette année. Le président Piñera s'est engagé
à éliminer du pays "les conditions d'insécurité
et inhumaines" qui auraient pu être fatales aux 33 rescapés.
Effets au-delà du Chili
La médiatisation planétaire de cette promesse et du sauvetage
a déjà des effets au-delà des frontières chiliennes.
En Argentine, l'Association ouvrière minière fait pression
sur les gouvernements provinciaux afin qu'ils renforcent les contrôles
de sécurité. En Turquie, où 30 mineurs périrent
le 17 mai dernier dans une mine de la région de Zonguldak gérée
par l'Etat, la Chambre turque des ingénieurs des mines prie le gouvernement
de ne plus attribuer les catastrophes au "destin" et d'imiter le volontarisme
du gouvernement chilien. Au Mexique, la comparaison "cruelle", on l'a dit
plus haut, avec les morts oubliés de la mine de Pasta de Conchos sert
d'avertissement au président Felipe Calderon. Et en Equateur, le sauvetage
de quatre mineurs bloqués depuis le 15 octobre par un glissement de
terrain boueux dans une mine d'or de Portovelo a conduit le gouvernement
du président Rafael Correa, inspiré par l'exemple chilien,
à instaurer une cellule de crise.
De tels exemples devraient se multiplier. En outre, comme l'espère
le compositeur et mariachi salvadorien Omar Angulo, qui a dédié
sa dernière chanson aux 33 mineurs chiliens, "tous ceux qui vivent
en surface peuvent désormais remercier la vie et en voir moins le
côté parfois triste qui nous rend négatifs".
Fierté et unité nationales, prestige mondial, promesses de
sécurité accrue pour les mineurs et bouffées d'optimisme
collectif au Chili et ailleurs dans le monde ... Voilà le bilan peu
banal d'un gouvernement de patrons. Sera-t-il éphémère?
Pour l'heure, la joie de 33 rescapés et le sourire du président
Piñera et de ses ministres rassurent en tout cas davantage que le
"travailler plus et gagner moins" prôné sans complexe par le
patron des patrons espagnols, Gerardo Diaz Ferran, sous prétexte de
conjurer la crise et avec la bénédiction du gouvernement dit socialiste
de José Luis Rodriguez Zapatero.