SANTIAGO, jeudi 11 mars 2010 (LatinReporters.com) - Investiture historique
ce 11 mars au Chili. La socialiste Michelle Bachelet transmet son écharpe
présidentielle au milliardaire de centre droit Sebastian Piñera,
60 ans, élu le 17 janvier avec 51,6% des suffrages. Dans un pays aussi
symbolique que le Chili, marqué par la dictature (1973-1990) du général
Pinochet, l'entrée de Sebastian Piñera au palais de la Moneda,
encore hanté par le souvenir de Salvador Allende, confirme que l'alternative
démocratique n'est pas nécessairement de gauche en Amérique
latine. Le nouveau président sera celui de la reconstruction après
le séisme du 27 février.
A la veille du pire tremblement de terre souffert au Chili depuis 1960,
Sebastian Piñera avait encore pour priorité l'étude de
la mise en oeuvre de ses principales promesses électorales : créer
un million d'emplois, vaincre la délinquance, améliorer la santé
et l'éducation, avec une attention particulière pour "les plus
humbles, ceux de la campagne et des régions", parfois délaissés,
selon M. Piñera, lors des vingt ans de gouvernement de la Concertation démocratique, la coalition de centre gauche à laquelle appartient la présidente sortante Michelle Bachelet.
Parmi les 17 millions de Chiliens, ce sont précisément les
plus humbles qui ont été les plus frappés le 27 février
par un séisme d'une magnitude de 8,8 sur l'échelle de Richter.
A en croire des experts de quatre universités américaines, la
force de la secousse, suivie d'un tsunami et de répliques quotidiennes,
fut telle qu'elle déplaça de plus de trois mètres vers
l'Ouest la position géographique de la deuxième agglomération
urbaine du Chili, Concepcion, à 400 km au sud de Santiago, dans la
région du Maule qui concentre l'essentiel des victimes et des dégâts.
Le bilan humain est de 497 morts identifiés (chiffre qui corrige
provisoirement celui de plus de 800 morts annoncé initialement) et
deux millions de sinistrés. Quelque 500.000 logements sont détruits
ou endommagés. L'infrastructure lourde -route, ponts, ports, hôpitaux,
usines- a été durement frappée. La société
américaine EQECAT, spécialisée dans la modélisation
du risque, situe les dégâts dans une fourchette allant de
15 à 30 milliards de dollars. Le deuxième chiffre signifierait
15% du produit intérieur brut annuel parti en fumée dans
un pays modèle de stabilité et de croissance économique
en Amérique latine. La reconstruction prendra au moins "trois ou quatre
ans" estime Michelle Bachelet, soit la durée du mandat de son successeur
à la présidence.
Reconstruire favorisera l'emploi
"Notre gouvernement sera celui de la reconstruction" a déclaré
Sebastian Piñera. Pour atteindre cet objectif, il devra adapter le
programme qui l'a fait élire à la présidence et mettre
entre parenthèses une orthodoxie budgétaire désormais
incompatible avec les coûts de la reconstruction et de l'aide extraordinaire
aux sinistrés. L'économie sociale de marché et la protection
sociale qui caractérisaient la gestion de la Concertation démocratique
seront maintenues, mais avec un réajustement de priorités.
Sebastian Piñera affirmait après le séisme qu'il destinera
deux pour cent du budget de l'Etat à un plan dénommé
"Relevons le Chili". Les experts croient que les dépenses publiques
surpasseront de cinq milliards de dollars celles programmées dans le
budget national 2010, qui sera révisé. Ils ajoutent toutefois
que relever le Chili pourrait dynamiser fortement le secteur de la construction,
grand consommateur de main d'oeuvre, et favoriser donc la création
massive d'emplois.
Le président de la Banque centrale, José de Gregorio, soutient
en outre que les dommages dus au séisme n'altéreront pas une
prévision de croissance pour 2010 comprise entre 4,5 et 5,5%. Les
analystes relèvent par ailleurs que la stabilité et la réputation
du Chili lui permettraient d'emprunter facilement sur les marchés
financiers internationaux si l'effort de reconstruction l'exigeait.
Selon un sondage diffusé par la société Adimark, 59%
des Chiliens croient que les effets du tremblement de terre n'empêcheront
pas Sebastian Piñera de gérer le pays de manière satisfaisante.
La confiance octroyée au niveau président atteint 63% en matière
de reconstruction et de travaux publics et 70% dans le domaine de la sécurité
et de l'ordre public.
Le séisme facilitera aussi le dialogue entre Sebastian Piñera
et l'opposition de gauche. Réticents avant la tragédie à
la proposition du milliardaire de faire revivre "la démocratie des
accords" en vigueur lors des premières années suivant la fin
de la dictature militaire, les quatre partis de la Concertation démocratique
se sont montrés plus réceptifs après le séisme
afin d'accélérer la reconstruction et l'aide aux sinistrés.
La composition du gouvernement formé par le nouveau président
ne devrait pas compliquer le dialogue politique. Sur 22 ministres, à
peine huit appartiennent aux deux partis de droite qui soutenaient la campagne
électorale de Sebastian Piñera. Les technocrates et hommes et
femmes d'entreprise sont les plus nombreux au sein du cabinet. Le ministre
de la Défense, Jaime Ravinet, vient de la démocratie chrétienne,
principale composante, avec les socialistes, de la Concertation démocratique
désormais dans l'opposition après deux décennies de
pouvoir.
International : l'épine Chavez
Sur le plan international, les Etats-Unis, l'Union européenne, la
Chine, le Japon et l'Amérique latine resteront les points cardinaux
du complexe diplomatico-commercial chilien soutenu par une vingtaine de traités
de libre-échange. L'agenda latino-américain de Sebastian Piñera
a pour priorité les relations avec les deux puissances régionales,
le Brésil et le Mexique, le rapprochement avec les pays voisins (Pérou,
Bolivie et Argentine) et le renforcement des liens avec l'Equateur et la Colombie.
Seul le Venezuela s'est montré ouvertement contrarié par
l'élection de Sebastian Piñera qui, il est vrai, avait affiché
des réserves à l'égard du modèle vénézuélien.
Chef de file de la gauche radicale régionale, le président
vénézuélien Hugo Chavez insérait le 20 janvier
dernier le résultat de l'élection présidentielle
chilienne dans une "offensive de la droite continentale et de l'empire [américain]".
Selon Chavez, cette offensive expliquerait aussi le coup d'Etat du 28 juin
2009 au Honduras, l'accord militaire américano-colombien d'octobre
dernier et la tentative actuelle de "faire triompher le néo-libéralisme"
à l'élection présidentielle brésilienne du 3
octobre prochain.
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