Des signes avant-coureurs existaient. Le 3 mai 2009, un
autre milliardaire de centre droit, Ricardo Martinelli, succédait
à la présidence du Panama au social-démocrate Martin
Torrijos. En juillet, au Mexique, la droite populiste qu'est aujourd'hui
l'historique PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) remportait
les élections législatives en passant facture aux conservateurs
du président Felipe Calderon, mais surtout en écrasant la gauche
mexicaine, le PRD (Parti de la révolution démocratique) n'obtenant
que 12% des suffrages.
En Argentine, les législatives partielles du même mois de juillet
2009 ont humilié la gauche péroniste de la présidente
Cristina Kirchner au profit notamment de péronistes libéraux
et du centre droit de Mauricio Macri, le maire de Buenos Aires.
Et au Brésil, première puissance latino-américaine,
c'est l'opposant de centre droit José Serra, gouverneur de l'Etat
de Sao Paulo, que les sondages situent avec insistance en tête
pour l'élection présidentielle d'octobre prochain.
Jusqu'à présent, le président brésilien Luiz
Inacio Lula da Silva, icône conciliatrice de la nouvelle gauche latino-américaine,
n'a pas réussi à transmettre son immense popularité
à sa dauphine désignée, Dilma Rousseff, actuelle ministre
de la Présidence. Elle aura pris note que le taux de popularité
de 80% de la présidente sortante du Chili, la socialiste Michelle
Bachelet, autre icône de la gauche régionale, n'a pas non plus
conforté les résultats d'Eduardo Frei, candidat de la gauche
battu par Sebastian Piñera au second tour de la présidentielle
chilienne.
Quant à la victoire du conservateur Porfirio Lobo aux législatives
du 29 novembre au Honduras, la polémique qui l'a entourée
conseille de ne pas l'inclure dans cette analyse.
La gauche, elle, a répété ces douze derniers mois ses
triomphes électoraux en Bolivie, en Equateur, en Uruguay et au Venezuela
(référendum sur la réélection présidentielle).
Elle a aussi conquis la présidence du Salvador après vingt
ans de domination de la droite ultralibérale. Toutes tendances confondues,
la gauche régionale ne sortira pas nécessairement consolidée
des principaux rendez-vous électoraux de 2010: présidentielle
et législatives au Costa Rica (7 février), législatives
en Colombie (14 mars) suivies de la présidentielle (30 mai), élections
des gouverneurs dans la moitié des Etats au Mexique (juillet), législatives
au Venezuela (26 septembre), présidentielle et législatives
au Brésil (3 octobre).
S'ajoutant à ceux de 2009 et à la victoire de la droite au
Chili, les résultats de ces scrutins, au Brésil surtout, permettront
sans doute de définir si, en Amérique latine, la gauche est
globalement en recul, stable ou en progrès.
Dans l'immédiat, l'alternance au Chili forcée par un triomphe
démocratique de la droite porte un rude coup psychologique au messianisme
des gauches radicales latino-américaines, à "l'irréversibilité"
de leur "révolution" que proclament des leaders radicaux tels que
le président vénézuélien Hugo Chavez et son allié
bolivien Evo Morales.
A Caracas et à La Paz, ainsi qu'à Quito et à Managua,
le pouvoir n'appréciera pas l'exemple du Chili, dont les électeurs
viennent de prouver que même un peuple longtemps opprimé par
la pire des droites, pendant 17 ans sous Pinochet, ne confère pas
une supériorité morale éternelle à la gauche
et peut lui préférer l'alternance. Mais il est à craindre
que, dans ces capitales de la gauche radicale, des présidentialismes
en pleine dérive vers le césarisme n'entravent davantage les
possibilités d'alternance.
Le Venezuela, la Bolivie, l'Equateur et le Nicaragua les réduisent
déjà progressivement. Le pouvoir s'y arroge l'usage électoral
exclusif ou préférentiel des biens et médias de l'Etat.
Il multiplie les lois idéologiques limitant les libertés fondamentales
sous couvert de promotion de droits économiques et sociaux. Ce nouvel
autoritarisme latino-américain soumet aussi opposants et médias
indépendants à de multiples rétorsions policières,
fiscales et judiciaires, ainsi qu'aux actions musclées de groupes
violents téléguidés par la présidence. Comme
le maire persécuté de Caracas, l'antichaviste Antonio Ledezma,
des analystes appellent cela "le coup d'Etat à petit feu" ou le "coup
d'Etat endogène".
Deux anecdotes éclairent le fossé séparant la gauche
modérée de la gauche radicale en Amérique latine. Au
soir du second tour de l'élection présidentielle chilienne,
le candidat de la gauche vaincu, Eduardo Frei, comparaissait aux côtés
du vainqueur, le milliardaire Sebastian Piñera, pour inviter ensemble
les démocrates chiliens à travailler à l'unité
du pays. Hugo Chavez, lui, en conférence de presse télévisée
et entouré de l'état-major militaire, qualifiait le 5 décembre
2007 à Caracas de "victoire de merde" ("victoria de mierda") de l'opposition
l'unique défaite électorale qu'il a subie, au référendum
tenu trois jours plus tôt sur une révision constitutionnelle.
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