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Amorce d'un reflux du tsunami régional de gauche?
Le Chili vire à droite avec Piñera: message pour l'Amérique latine

par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters.com

Lundi 18 janvier 2010 (LatinReporters.com) - Dans un pays aussi symbolique que le Chili, pays de Salvador Allende et de son bourreau Augusto Pinochet, pays cité partout dans le monde dès qu'il s'agit de fustiger la droite, c'est elle que l'alternance démocratique vient de porter à la présidence après 20 ans de pouvoir de centre gauche. La victoire du milliardaire de centre droit Sebastian Piñera, dimanche avec 51,6% des voix, adresse à l'Amérique latine un message sous forme de question: est-ce le début d'un retour du balancier, l'amorce d'un reflux du tsunami de gauche qui a déferlé sur la région?

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Le vainqueur de l'élection présidentielle chilienne, Sebastian Piñera (à gauche), et le vaincu, Eduardo Frei, appellent ensemble au soir du scrutin les démocrates à travailler à l'unité du pays - Photo Hector Flores / El Mercurio
Des signes avant-coureurs existaient. Le 3 mai 2009, un autre milliardaire de centre droit, Ricardo Martinelli, succédait à la présidence du Panama au social-démocrate Martin Torrijos. En juillet, au Mexique, la droite populiste qu'est aujourd'hui l'historique PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) remportait les élections législatives en passant facture aux conservateurs du président Felipe Calderon, mais surtout en écrasant la gauche mexicaine, le PRD (Parti de la révolution démocratique) n'obtenant que 12% des suffrages.

En Argentine, les législatives partielles du même mois de juillet 2009 ont humilié la gauche péroniste de la présidente Cristina Kirchner au profit notamment de péronistes libéraux et du centre droit de Mauricio Macri, le maire de Buenos Aires.

Et au Brésil, première puissance latino-américaine, c'est l'opposant de centre droit José Serra, gouverneur de l'Etat de Sao Paulo, que les sondages situent avec insistance en tête pour l'élection présidentielle d'octobre prochain. Jusqu'à présent, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, icône conciliatrice de la nouvelle gauche latino-américaine, n'a pas réussi à transmettre son immense popularité à sa dauphine désignée, Dilma Rousseff, actuelle ministre de la Présidence. Elle aura pris note que le taux de popularité de 80% de la présidente sortante du Chili, la socialiste Michelle Bachelet, autre icône de la gauche régionale, n'a pas non plus conforté les résultats d'Eduardo Frei, candidat de la gauche battu par Sebastian Piñera au second tour de la présidentielle chilienne.

Quant à la victoire du conservateur Porfirio Lobo aux législatives du 29 novembre au Honduras, la polémique qui l'a entourée conseille de ne pas l'inclure dans cette analyse.

La gauche, elle, a répété ces douze derniers mois ses triomphes électoraux en Bolivie, en Equateur, en Uruguay et au Venezuela (référendum sur la réélection présidentielle). Elle a aussi conquis la présidence du Salvador après vingt ans de domination de la droite ultralibérale. Toutes tendances confondues, la gauche régionale ne sortira pas nécessairement consolidée des principaux rendez-vous électoraux de 2010: présidentielle et législatives au Costa Rica (7 février), législatives en Colombie (14 mars) suivies de la présidentielle (30 mai), élections des gouverneurs dans la moitié des Etats au Mexique (juillet), législatives au Venezuela (26 septembre), présidentielle et législatives au Brésil (3 octobre).

S'ajoutant à ceux de 2009 et à la victoire de la droite au Chili, les résultats de ces scrutins, au Brésil surtout, permettront sans doute de définir si, en Amérique latine, la gauche est globalement en recul, stable ou en progrès.

Dans l'immédiat, l'alternance au Chili forcée par un triomphe démocratique de la droite porte un rude coup psychologique au messianisme des gauches radicales latino-américaines, à "l'irréversibilité" de leur "révolution" que proclament des leaders radicaux tels que le président vénézuélien Hugo Chavez et son allié bolivien Evo Morales.

A Caracas et à La Paz, ainsi qu'à Quito et à Managua, le pouvoir n'appréciera pas l'exemple du Chili, dont les électeurs viennent de prouver que même un peuple longtemps opprimé par la pire des droites, pendant 17 ans sous Pinochet, ne confère pas une supériorité morale éternelle à la gauche et peut lui préférer l'alternance. Mais il est à craindre que, dans ces capitales de la gauche radicale, des présidentialismes en pleine dérive vers le césarisme n'entravent davantage les possibilités d'alternance.

Le Venezuela, la Bolivie, l'Equateur et le Nicaragua les réduisent déjà progressivement. Le pouvoir s'y arroge l'usage électoral exclusif ou préférentiel des biens et médias de l'Etat. Il multiplie les lois idéologiques limitant les libertés fondamentales sous couvert de promotion de droits économiques et sociaux. Ce nouvel autoritarisme latino-américain soumet aussi opposants et médias indépendants à de multiples rétorsions policières, fiscales et judiciaires, ainsi qu'aux actions musclées de groupes violents téléguidés par la présidence. Comme le maire persécuté de Caracas, l'antichaviste Antonio Ledezma, des analystes appellent cela "le coup d'Etat à petit feu" ou le "coup d'Etat endogène".

Deux anecdotes éclairent le fossé séparant la gauche modérée de la gauche radicale en Amérique latine. Au soir du second tour de l'élection présidentielle chilienne, le candidat de la gauche vaincu, Eduardo Frei, comparaissait aux côtés du vainqueur, le milliardaire Sebastian Piñera, pour inviter ensemble les démocrates chiliens à travailler à l'unité du pays. Hugo Chavez, lui, en conférence de presse télévisée et entouré de l'état-major militaire, qualifiait le 5 décembre 2007 à Caracas de "victoire de merde" ("victoria de mierda") de l'opposition l'unique défaite électorale qu'il a subie, au référendum tenu trois jours plus tôt sur une révision constitutionnelle.

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