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Vote final très serré pour succéder à la socialiste Michelle Bachelet
Chili-présidentielle: Frei, la gauche et Pinochet contre Piñera au 2e tour

par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters.com

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Le milliardaire Sebastian Piñera (à gauche) et l'ex-président démocrate-chrétien Eduardo Frei se serrent la main le 11 janvier 2010 quelques instants avant leur unique débat télévisé pour le second tour de l'élection présidentielle chilienne.
Photo Galeria de Eduardo Frei - http://www.flickr.com/photos/efrei/

SANTIAGO / MADRID, samedi 16 janvier 2010 (LatinReporters.com) - Cette élection présidentielle est la première dans un Chili sans Pinochet. Le général-dictateur est monté au paradis (Dieu est de droite, non?) le 10 décembre 2006. Mais la gauche l'a ressuscité pour le jeter à la figure du candidat de centre droit, le milliardaire Sebastian Piñera, et réduire à néant ou presque son avantage du premier tour sur son rival dit progressiste, l'ex-président démocrate-chrétien Eduardo Frei. Second tour très serré donc ce dimanche 17 janvier pour succéder à la présidente socialiste Michelle Bachelet.

Principal actionnaire de la compagnie aérienne LAN, du canal Chilevision et du club de football Colo Colo, Sebastian Piñera pèse à 60 ans plus d'un milliard de dollars. Déjà finaliste de la présidentielle de 2005, il remportait le premier tour le 13 décembre dernier avec plus de 14 points d'avance sur Eduardo Frei, 44,05% contre 29,6%. Etaient alors éliminés le jeune député indépendant Marco Enriquez-Ominami (20,13%) et le candidat des gauches communiste et radicales, Jorge Arrate (6,21%), tous deux dissidents du Parti socialiste.

Ajoutée à l'usure naturelle du pouvoir et provoquée par le refus d'élections primaires pour désigner le candidat de la gauche à la présidence, cette double dissidence explique la défaite sans précédent subie le 13 décembre par la Concertation démocratique, dont Eduardo Frei est le candidat. A 67 ans, il ne pèse, le pauvre, "que" 4 millions de dollars avoués.

La Concertation rassemble socialistes, démocrates-chrétiens, radicaux et sociaux-démocrates. Au pouvoir depuis la fin de la dictature du général Pinochet, en 1990, cette coalition de centre gauche a remporté les quatre élections présidentielles précédentes. La 5e est devenue son chemin de croix, soudain dégagé par la publication, le 13 janvier, du sondage de l'institut Mori.

Pour être le seul réalisé avant le second tour dans toutes les régions du Chili, pays de 16 millions d'habitants étiré entre les Andes et le Pacifique, ce sondage était plus qu'attendu. Il a chauffé la présidentielle au rouge vif en réduisant à 1,8 point l'avantage de 14 points de Piñera et de sa Coalition pour le changement. Le milliardaire est crédité de 50,9% des intentions de vote, contre 49,1% à Frei. La marge d'erreur étant de 3%, les deux adversaires se retrouvent techniquement à égalité. Des analystes prédisent même la victoire du candidat de la gauche, car le sondage Mori a été réalisé la semaine dernière et depuis la roue n'a cessé de tourner en faveur d'Eduardo Frei.

Lundi, le démocrate-chrétien surpassait légèrement, selon la plupart des observateurs, Sebastian Piñera lors de l'unique débat télévisé du second tour. Mercredi, il recevait l'appui tant convoité du candidat révélation du premier tour, Marco Enriquez-Ominami, évincé de la présidentielle le 13 décembre, mais titulaire théorique d'un capital de 20% des voix. Un capital qui s'ajoute aux 6% de l'extrême gauche de Jorge Arrate, rangée sous la bannière de la Concertation pour l'épreuve finale.

Et jeudi, c'est la présidente socialiste Michelle Bachelet en personne, auréolée de son taux de popularité de 80%, qui invitait les 8,3 millions d'électeurs chiliens à voter comme elle pour Eduardo Frei. Elle voit en lui, disait-elle à Radio Cooperativa, un candidat "honnête" sachant séparer les affaires de la politique et pouvant "transformer en progrès des acquis qui doivent être soutenus dans le temps". La Constitution du Chili prohibant deux mandats présidentiels consécutifs, Michelle Bachelet ne pouvait pas briguer sa propre succession.

Pinochet et la dictature, armes électorales de la gauche

La fortune de Sebastian Piñera a facilité la remontée de son rival. Il était à la fois simple, logique et porteur, pour Eduardo Frei et la Concertation démocratique, de présenter le milliardaire en acheteur, comme s'il s'agissait d'un paquet d'actions, d'une présidence qu'il mêlerait indélicatement à ses affaires et à ses sociétés, à la manière de Berlusconi insinuent ses adversaires.

Mais alors qu'il prône "l'économie sociale de marché" et le "renforcement des droits de l'homme", alors aussi qu'il incarne l'aile modérée de la droite depuis son vote négatif à la continuité d'Augusto Pinochet au référendum décisif perdu par le tyran en 1988, alors encore qu'il a condamné la récente "rupture de la démocratie au Honduras", Sebastian Piñera a pourtant pour principal adversaire le spectre du général-dictateur agité par la gauche.

"Le pays connaît parfaitement la candidature de droite et sa relation avec la dictature. Nous n'offensons personne. C'est une réalité. Les Chiliens devront juger" affirmait le 8 janvier Eduardo Frei aux correspondants à Santiago de la presse étrangère.

Opportunément, en décembre déjà, six jours avant le premier tour de la présidentielle, le juge chilien Alejandro Madrid soutenait la thèse de l'assassinat, par empoisonnement décidé par la dictature, dans l'enquête sur la mort en 1982 d'Eduardo Frei Montalva, également ex-président du Chili et père du candidat actuel. Sebastian Piñera dut réagir, s'engageant à faire, s'il était élu président, "tout le nécessaire pour établir la vérité dans cette affaire et dans beaucoup d'autres".

Quarante-huit heures plus tôt, les restes du chanteur, compositeur et directeur de théâtre Victor Jara, assassiné en 1973 par les putschistes de Pinochet, étaient inhumés une seconde fois à Santiago en présence de plus de 10.000 personnes.

Devenus instruments non avoués de campagne électorale, ces flashs-back très médiatisés sur un passé douloureux ont culminé le 11 janvier dernier, à six jours seulement du 2e tour de la présidentielle, par l'inauguration à Santiago du Musée de la mémoire. Des écrits, des photographies, des films, des enregistrements et des objets y rappellent les 2.279 morts et disparus et les 28.000 torturés de la dictature recensés par les rapports Rettig et Valech.

Elle-même torturée sous la dictature, comme son père, le général Alberto Bachelet mort en 1974, la présidente Michelle Bachelet était entourée à l'inauguration du musée de ses trois prédécesseurs immédiats à la présidence du Chili, Patricio Aylwin, Eduardo Frei et Ricardo Lagos, tous élus comme elle sous l'enseigne de la Concertation démocratique. La présidente a exprimé sa reconnaissance à "ces trois hommes justes qui représentent 20 ans de liberté et de respect des droits de l'homme." Autrement dit, il serait malvenu de changer de cap.

En annonçant deux jours plus tard son soutien à Eduardo Frei, l'ex-candidat indépendant Marco Enriquez-Ominami fut plus direct. "Dans le secteur qui appuie Sebastian Piñera", disait-il, se trouve "une grande partie de ceux qui ont endeuillé notre patrie. Ce sont les complices de ceux qui ont assassiné mon père et qui aujourd'hui ne se repentent de rien". [Ndlr - Marco Enriquez-Ominami est le fils naturel du guérillero Miguel Enriquez, leader du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), tué en 1974 lors d'un affrontement avec des militaires].

Ex-ambassadeur de Salvador Allende "lassé de la supériorité morale" de la gauche

Les doutes sincères ou tactiques sur la démocratisation de la droite chilienne tiennent compte de la composition du Congrès national (Parlement) issu des élections législatives qui accompagnaient le 13 décembre le premier tour de la présidentielle. Malgré le renfort de 3 élus du Parti communiste, qui revient au Parlement pour la première fois depuis 1973 grâce à un accord avec la Concertation démocratique, cette dernière a perdu sa majorité à la Chambre des députés. Elle y compte 57 des 120 élus, contre 58 à la Coalition pour le changement qui regroupe toutes les droites. Une poignée d'indépendants sera très courtisée par les deux camps, aucun n'ayant la majorité absolue.

Au sein de la droite, la force parlementaire dominante demeure l'Union démocratique indépendante (UDI, 37 députés), parti qui s'est le moins démarqué de l'héritage de Pinochet. Laissera-t-il les mains libres à Sebastian Piñera et à sa droite modérée incarnée par le parti Rénovation nationale (RN) si le milliardaire est élu président?

Peu d'intellectuels chiliens appuient ouvertement le candidat de la droite. Un ralliement à Sebastian Piñera a néanmoins fait grand bruit, celui de l'écrivain Jorge Edwards, ancien ambassadeur à Cuba du Chili socialiste de Salvador Allende et ex-ambassadeur à l'UNESCO sous le gouvernement de la Concertation démocratique.

"Je pense qu'on ne doit pas craindre l'alternance. Moi en tout cas, je me suis lassé du monopole, de la supériorité morale de la Concertation" explique-t-il, considérant que la droite chilienne s'est rénovée davantage que la gauche. "Le centre droit s'est distancié complètement de ce que fut la répression (de Pinochet), mais je ne vois pas le Parti communiste ni un secteur de la gauche chilienne éloignés de la même façon de ce que furent les socialismes réels" précise Jorge Edwards.

L'élection de "l'anti-Chavez" Sebastian Piñera serait "un événement en Amérique latine" prédit pour sa part le célèbre écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, venu au Chili appuyer "une droite moderne, démocratique et libérale".

Une victoire démocratique de la droite à l'élection présidentielle dans le pays symbolique de Salvador Allende annoncerait-elle le retour du balancier après le tsunami de gauche en Amérique latine? Ce serait en tout cas une première au Chili depuis la victoire en 1958 du conservateur Jorge Alessandri.

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LE CHILI  VIRE À DROITE
SEBASTIAN PIÑERA
ÉLU PRÉSIDENT

SANTIAGO, dimanche 17 janvier 2010 - Le milliardaire de centre droit Sebastian Piñera a remporté dimanche le second tour de l'élection présidentielle au Chili, ramenant ainsi la droite au pouvoir après 20 ans de gouvernement de centre gauche depuis la fin de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990).

Le dépouillement de 99,2% des bulletins de vote octroie à Sebastian Piñera 51,61% des voix, contre 48,38% au candidat de la coalition gouvernementale, l'ex-président (1994-2000) démocrate chrétien Eduardo Frei.

Ce dernier a rapidement reconnu sa défaite dimanche soir. "Je souhaite féliciter Sebastian Piñera. La majorité des Chiliens lui a accordé sa confiance pour qu'il conduise les destinées du pays pour les quatre prochaines années" a déclaré Eduardo Frei.

Sebastian Piñera sera investi le 11 mars prochain et succédera alors à la présidente socialiste Michelle Bachelet. Celle-ci a félicité par téléphone le vainqueur en émettant l'espoir que "le Chili pourra continuer à suivre le chemin de la justice et du progrès social que nous avons développé ces vingt dernières années".

La dernière victoire démocratique de la droite chilienne à une élection présidentielle remontait à 1958.
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